Douze ans après L'erreur boréale, qui a secoué l'industrie forestière québécoise, les cinéastes Robert Monderie et Richard Desjardins s'attaquent à l'industrie minière. Trou Story, présenté en primeur demain, dans le cadre du 30e Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, est un documentaire percutant, au ton pamphlétaire, qui dénonce l'exploitation des mines par des entreprises ayant engrangé des profits énormes, au détriment de l'environnement et de la santé des travailleurs. Ce film coup-de-poing produit par l'Office national du film, à l'affiche vendredi prochain, accuse les gouvernements canadien, ontarien et québécois de complaisance et de complicité dans ce saccage de nos ressources naturelles. Des gouvernements qui, selon les cinéastes, ont bradé sans sourciller nos richesses collectives en délivrant à bas prix «des permis de polluer».

Trou Story ne s'excuse pas le moindrement d'être militant, engagé, voire tendancieux, pour faire contrepoids à une industrie jugée sans scrupules. Une industrie qui continue de déplacer des populations pour réaliser ses projets de mines à ciel ouvert des «trous», comme celui de Malartic, dont il est question dans le film. Et qui a légué pour la postérité des rivières rouges d'arsenic et de cyanure aux Québécois. Images-chocs et photos d'archives à l'appui, Trou Story, pamphlet convaincant et ambitieux, retrace l'histoire sombre de l'exploitation minière dans le nord-est de l'Ontario et en Abitibi, où des milliers de travailleurs ont « creusé leur propre tombe» avec des machines que l'on surnommait les «faiseuses de veuves».

Les cinéastes du Peuple invisible (sur le sort du peuple algonquin, en 2007) ont voulu en quelque sorte soulever la chape de plomb qui pèse depuis des décennies sur l'exploitation minière dans leur région natale. «Quand on avait 25 ans, on se tenait avec les journalistes du coin, dit Robert Monderie, rencontré cette semaine en compagnie deson vieil ami et complice. On ne pouvait rien dire sur la mine. Il n'y avait pas de nuance possible. Tu ne pouvais pas parler d'un accident de travail à la mine ou du gaz qui s'était échappé.» «Tu perdais ta job! ajoute Richard Desjardins. On a été élevés dans l'ombre de la cheminée. Tout le monde allait travailler dans le dragon, mais personne ne se posait de questions sur comment ça marchait, à quoi ça servait. On savait qu'ils vendaient de la «cop» et c'est tout.»

Conditions de travail

Trou Story s'intéresse entre autres à l'évolution des conditions de travail dans les mines, où les ouvriers, après avoir remporté des batailles de chaude lutte, ont récemment été remplacés par des machines, et ont vu leurs syndicats marginalisés. «On a voulu établir le rapport de force dans les communautés minières, dit Robert Monderie. Il est complètement détruit. Les syndicats n'ont plus de pouvoir. Moins encore qu'il y a 10 ans. Les populations civiles devraient être concernées par la situation et reprendre le flambeau. On pense que les gens devraient être plus exigeants, plus critiques.»

C'est le message que porte ce film militant. Indignezvous!comme le dit Stéphane Hessel. Des sociétés minières qui ne paient pas leur juste part d'impôts, des gouvernements qui assistent, volontairement impuissants, au dépouillement de nos richesses naturelles, des emplois qui sont créés ailleurs plutôt qu'ici et de nos lacs et rivières, transformés en décharges de métaux lourds. «Ça a donné des pinottes, constate Claire Bolduc, une ex-directrice du ministère de l'Environnement, interviewée dans le documenta ire. La ressource est partie, les profits sontailleurs. Collectivement, on reste avec un trou.»

« On n'a jamais exigéque ce métal-là, qui sort du ventre de l'Abitibi, soit transformé le moindrement sur place, remarque Richard Desjardins. On n'en a jamais même discuté. Avec le moindrement de transformation sur place, on se serait retrouvé avec des villes de 150 000 ou 200 000 habitants. Les mines ferment sans qu'on ne développe quoi que ce soit dans la société. On ferme les fonderies et on envoie ça en Chine!»

Industrie minière

L'industrie minière craint visiblement l'impact sur son image de ce documentaire très attendu. Elle fourbit ses armes. La minière Osisko a acheté cette semaine des pleines pages de publicité dans les journaux. Minalliance, un lobby qui veut « faire de l'industrie minérale une source de fierté pour tous les Québécois», a lancé une campagne de publicité télévisée et intervient sur les médias sociaux lorsqu'il est question de Trou Story. «Espérons que le film reconnaît que l'industrie, comme la société, a évolué », m'a dit un porte-parole sur Twitter, cette semaine. «Ils sont 100 lobbyistes de l'industrie minière à Québec, dit Richard Desjardins. Pour combien de députés? Ça peut être efficace quelque part. Eux ont tous les moyens pour faire valoir leur point de vue. On a fait un film d'opinion. C'est notre opinion. On a-tu le droit d'en avoir une?»

Les cinéastes, qui ont illustré «l'extravagante prospérité» des sociétés minières par un banquet rappelant celui du Temps des bouffons de Pierre Falardeau, reconnaissent volontiers leur parti pris et se défendent de ne pas avoir réalisé un documentaire équilibré. «À partir de L'erreur boréale, les deux côtés de la médaille, ça n'existe plus pour nous, admet Robert Monderie. L'industrie forestière investissait 4 millions par année pour nous faire croire que tout allait bien. On a fait L'erreur boréale avec 100 000$.»

L'erreur boréale

Le succès de L'erreur boréale a d'ailleurs compliqué la réalisation de Trou Story. Obtenir une entrevue avec un fonctionnaire ou un dirigeant d'entreprise est plus complexe lorsque l'on est précédé d'une réputation de pamphlétaire. «Tu ne peux plus aborder ces gens-là spontanément, dit Robert Monderie. Richard a dû cuisiner du monde pendant deux heures. Avec Richard, il n'y a plus de spontanéité possible au sujet des ressources naturelles, c'est clair et net!»

D'autant plus qu'il est de plus en plus difficile, selon les cinéastes, de distinguer certains sous-ministres des lobbyistes, tellement leurs discours se ressemblent. «C'est la mentalité des chambres de commerce qui s'est installée, beaucoup plus qu'il y a 20 ans», regrette Robert Monderie, qui estime que la classe politique «s'acharne» à privatiser des ressources collectives. «C'est comme si le gouvernement du Québec était devenu le bras politique de la chambre de commerce», dit Richard Desjardins.

« C'est sans gêne, ajoute Monderie. Il ne s'en cache même plus.»

Redevances

En marge de ce copinage, les cinéastes dénoncent la disproportion dans le partage des richesses. Dans la mesure où il ne reste que des grenailles pour les communautés d'accueil, en comparaison des profits faramineux des sociétés minières.

«On a voulu parler de l'Abitibi, pour parler de ce qu'on connaît, dit Robert Monderie. Pour donner un exemple ou une référence. On ne peut pas prétendre avoir fait le tour de la question. Il y a deux ou trois scandales bien documentés qu'on aurait pu explorer encore plus.»

Les pamphlétaires croientils que leur film sera l'occasion d'une prise de conscience des méfaits de l'industrie minière, comme le fut L'erreur boréale pour l'industrie forestière? «Je pense que la prise de conscience se fait indépendamment du film, croit

Richard Desjardins. Mais on espère qu'il y aura une mobilisation comme pour le gaz de schiste. C'est la même loi, utilisée dans un autre contexte.»

Trou Story prend l'affiche en pleine refonte de la Loi sur les mines, que les cinéastes jugent « aberrante ». «Un contrat complaisant qui lie l'industrie à l'État et qui s'apparente à du vandalisme corporatif », dit Richard Desjardins, dans la narration percutante de son documentaire. Un film qui se conclut avec cette phrase militante en forme de souhait: «Il est à peu près temps d'être maîtres chez nous.