Depuis le fiasco des élections américaines de 2016, Facebook annonce des mesures tous azimuts pour assurer l'intégrité des élections à travers le monde. La dernière en lice : la mise sur pied d'une « bibliothèque publicitaire » répertoriant tous les annonceurs aux prochaines élections fédérales au Canada. Explications.

Que va contenir exactement cette bibliothèque publicitaire ?

Il s'agit d'une base de données « publique et interrogeable » que Facebook s'engage à mettre sur pied d'ici à la fin de juin. Essentiellement, toutes les publicités politiques associées à des enjeux qui touchent les prochaines élections fédérales y seront consignées. On pourra notamment y trouver l'identité de l'annonceur, les performances de l'annonce, les sommes dépensées, les impressions et le profil démographique - âge, sexe et emplacement - de ceux qui l'ont vue. Ce registre est une exigence explicite de la toute récente loi C-76, sanctionnée le 13 décembre dernier, qui vise notamment à moderniser le processus électoral au Canada en ciblant les plateformes en ligne. 

Alors que Google a refusé de mettre sur pied un tel registre, annonçant plutôt son refus d'accepter des publicités électorales au cours de la prochaine campagne, Facebook a signalé dès l'automne dernier son accord avec cette mesure. Les informations contenues dans sa bibliothèque seront consignées pendant sept ans. « C-76 est une pièce législative très importante qui met la responsabilité de la régulation sur nous, et nous travaillons très fort pour y répondre », a indiqué en entrevue Kevin Chan, directeur des politiques publiques chez Facebook Canada.

Un registre, et c'est tout ? Qu'est-ce qui va empêcher n'importe qui de publier n'importe quoi pendant les élections ?

Cette « bibliothèque publicitaire » n'est qu'un des volets des mesures annoncées aujourd'hui par Facebook. L'autre grande leçon des élections américaines de 2016, qui a notamment été appliquée lors de trois élections en Europe, c'est d'interdire aux annonceurs étrangers d'acheter de la publicité lors d'une élection.

Au Canada, précise M. Chan, « quiconque veut placer une publicité politique associée à la campagne devra être autorisé par Facebook et confirmer qu'il s'agit d'une organisation ou d'un groupe canadien ». 

Pour éviter que des annonceurs, étrangers ou canadiens, tentent de passer des messages électoraux en douce, sans s'afficher comme politiques, on recourra à l'intelligence artificielle pour détecter les interventions trompeuses. « Nous savons que les mauvais acteurs ne respecteront pas les règles du jeu, relève M. Chan. Ce que nous voulons faire maintenant, c'est construire un système automatisé qui va pouvoir comprendre que quelqu'un essaie de faire de la publicité politique sans l'afficher. Nous devons pour cela avoir une compréhension des enjeux qui vont être abordés au cours des prochaines élections. »

Le Canada est-il vraiment menacé ? Des trolls étrangers vont-ils tenter d'influencer les élections du 21 octobre 2019 ?

Rien ne permet de le croire. Que ce soit lors des élections provinciales récentes au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick, ou à l'occasion des trois élections partielles fédérales le 25 février dernier, aucune tentative d'intervention « à grande échelle, commanditée par des États », n'a été détectée, indique M. Chan. De faux comptes véhiculant de fausses informations ont été identifiés et fermés, mais leur nombre n'a pas été divulgué.

Et ça fonctionne, ces mesures ?

Comme répond avec franchise le directeur canadien des politiques publiques chez Facebook, « on ne peut donner une assurance absolue, ce travail ne sera jamais terminé ». Mais on est loin de l'attitude de Facebook en novembre 2016, alors que le PDG Mark Zuckerberg qualifiait d'« idée plutôt saugrenue » le fait que les fausses nouvelles diffusées par les Russes aient pu influencer les élections américaines. Dans les six premiers mois de 2018, le réseau social a effacé un nombre astronomique de 1,6 milliard de faux comptes, l'outil privilégié par les « mauvais acteurs », comme les appelle M. Chan. Divers programmes de vérification de faits, notamment en partenariat avec l'Agence France-Presse, s'attellent à débusquer les fausses nouvelles. Enfin, depuis 2015, Facebook a pratiquement triplé ses effectifs, qui sont passés de 13 000 à quelque 36 000 employés en 2018, dont la majeure partie se consacre dorénavant à la traque aux comportements « non authentiques ».