(Montréal) Les annonceurs qui achètent de la publicité sur les réseaux sociaux comme X financent souvent, sans le savoir, la désinformation climatique et les discours haineux. La monétisation des contenus de désinformation aggrave la crise climatique et elle a été dénoncée lors d’une conférence organisée par Équiterre à la COP28, mardi.

Le financement de la désinformation par le biais de la publicité sur les plateformes numériques comme X, anciennement Twitter, « mine tout ce qu’on essaie de faire ici » à la COP28, a dénoncé Jake Dubbins, coprésident de Climate Action Against Disinformation, lors du panel organisé à Dubaï.

Il a souligné qu’une recherche sur X avec le mot « climate » proposait à l’internaute, de façon prioritaire, du contenu lié à la désinformation.

En pleine COP28, a-t-il expliqué, « on a fait l’expérience d’écrire le mot climat dans la barre de recherche de X, et les algorithmes nous suggéraient le mot-clic climatescam », donc « arnaque climatique ».

Lorsque l’utilisateur clique sur le mot « climatescam », proposé par X, il est dirigé vers une quantité interminable de désinformation sur les changements climatiques.

La Presse Canadienne a fait la même expérience et elle est arrivée au même constat que Jake Dubbins.

Monétiser la désinformation

Les négationnistes du climat peuvent empocher beaucoup d’argent sur X, YouTube et les autres plateformes numériques.

Jake Dubbins a donné l’exemple du compte X du Canadien Jordan Peterson, suivi par près de 5 millions d’abonnés, et qui utilise souvent le mot-clic « climatescam » pour diffuser de la désinformation.

En raison de sa large audience, son compte attire des annonceurs importants.

En montrant aux participants de la conférence la publicité du fabricant de jeux vidéo Nintendo sur le fil X de Jordan Peterson, Jake Dubbins a expliqué que « cet annonceur ne veut évidemment pas apparaître sur ce compte, mais il n’est même pas au courant », car sur les médias sociaux, ce sont les algorithmes qui déterminent où se retrouveront les publicités des annonceurs.

Lorsqu’un compte X génère plusieurs millions de vues, il peut recevoir une partie des recettes publicitaires, même si ce compte s’emploie à diffuser de la désinformation.

« Notre écosystème d’information est financé par la publicité » et « ce modèle économique finance la désinformation, la polarisation et l’extrémisme », a dénoncé Jake Dubbins.

En 2022, les dépenses mondiales en publicité numérique étaient estimées à 567,49 milliards US, a indiqué le coprésident de Climate Action Against Disinformation.

À mesure que les dépenses publicitaires augmentent sur les réseaux sociaux, celles des médias traditionnels, soumis à des règles, une déontologie et des principes éthiques, diminuent.

X : attaques, insultes et propagandes haineuses

En France, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a analysé près de 400 millions de tweets entre janvier 2021 et décembre 2022, donc principalement avant qu’Elon Musk prenne possession de Twitter. Le CNRS a constaté que la communauté dénialiste (climatosceptique) produisait ou relayait à l’époque 3,5 fois plus de messages que la communauté du GIEC, qui compte plusieurs centaines de chercheurs en environnement.

« La communauté dénialiste sur Twitter est composée majoritairement de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème/antivax pendant la pandémie. De plus, sur 10 000 comptes, près de 6000 ont relayé la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine », peut-on lire dans l’étude du CNRS qui indique également qu’une portion de ces comptes français sont « probablement des bots », des logiciels donc, programmés pour diffuser de la désinformation.

Si la désinformation et la propagande haineuse a longtemps existé sur Twitter, la situation a empiré depuis l’achat du réseau social par Elon Musk, selon plusieurs études, dont une publiée au printemps par des chercheurs de l’État de l’Oregon, de l’Université de Californie du Sud et d’autres institutions.

Elon Musk a notamment licencié des centaines d’employés et rétabli des comptes autrefois bannis.

Marie-Ève Carignan, directrice du Pôle médias et de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent, qui participait également à la conférence organisée mardi à Dubaï, a indiqué avoir constaté, au cours des derniers mois, « une montée de la violence envers les météorologues qu’on accuse de mentir » et une augmentation de certains mots-clics liés à la désinformation climatique.

« Le climatonégationnisme a vraiment une résonance en ce moment sur X », a noté la chercheuse.

« Ce qui nous préoccupe beaucoup, c’est que l’adhésion à la désinformation et aux discours complotistes en ligne adopte le même cycle qu’une polarisation qui peut mener à la radicalisation violente », a-t-elle indiqué.

La chercheuse associée à l’Université de Sherbrooke a donné l’exemple d’un message sur X, anciennement Twitter, publié le 16 mai dernier par le compte Radio Pirate, fondé par l’animateur québécois Jeff Fillion.

Ce jour-là, de la neige était tombée sur la ville de Québec et Radio Pirate avait fait cet appel à ses abonnés : « Les Débiles qui vous font peur avec la terre qui brûle, ce sont des fraudeurs et des crosseurs qui ne veulent que vous taxer. Ça inclut les profs, journalistes, politicos et les pinkos green. À chaque occasion, vous devez les insulter ».

Selon Marie-Ève Carignan, « c’est vraiment un appel à la violence ».

Le message de Radio Pirate était suivi d’un emoji représentant un drapeau de pirate. Cet émoji caractérise souvent, au Québec, les comptes sur les réseaux sociaux qui s’attaquent en groupe aux météorologues qui publient des prévisions météo, aux journalistes qui rapportent les informations contenues dans les rapports du GIECC ou encore aux scientifiques qui se prononcent sur les incendies de forêt.

Même si plusieurs des comptes qui affichent un drapeau de pirate sont des comptes anonymes, Marie-Ève Carignan croit qu’ils sont majoritairement associés à de vrais individus, et pas nécessairement à des robots.

« On voit que ces gens-là se relaient beaucoup, ils se partagent du contenu et ce sont des réseaux qui sont très liés les uns aux autres et parfois il y a des pseudonymes, mais derrière, on voit que les actions sont menées par des individus qui ne sont pas des robots. Donc il y a tout un réseau qui agit un peu stratégiquement pour se donner de la visibilité. »

Selon Jake Dubbins, les techniques utilisées par les influenceurs négationnistes du climat reposent notamment sur le témoignage de faux experts, sur la publication d’information partiellement vraie, mais citée hors contexte, sur les théories du complot ou encore sur le « cherry picking ».

On utilise par exemple une anecdote, comme une précipitation de neige au mois de mai, pour renforcer le dénigrement climatique, polariser le débat et encourager les insultes et la haine.

Des courriels de bêtises à chaque tempête de neige

Le ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, qui a prononcé le mot d’ouverture de la conférence organisée par Équiterre, a souligné qu’il recevait « des courriels de bêtises chaque fois qu’il y avait une tempête de neige au Québec ».

Les auteurs de ces messages, a expliqué le ministre, croient que « les enjeux liés au changement climatique sont des inventions » pour « servir des intérêts économiques » et ils font part « de toutes sortes de théories ahurissantes ».

La désinformation nuit à « l’atteinte de nos objectifs climatiques » et « c’est problématique, car on doit rehausser nos ambitions », a souligné Benoit Charette.

Le gouvernement, a ajouté le ministre, « n’est malheureusement pas un acteur crédible à leurs yeux », d’où l’importance du rôle joué par la société civile qui tente de mobiliser les gens dans l’action climatique.

En juin dernier, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a invité les pays à s’attaquer au « grave préjudice mondial » causé par la prolifération de la haine et des mensonges en ligne, lors du lancement d’un rapport sur l’intégrité de l’information sur les plateformes numériques.

Dans ce rapport, l’ONU invite les plateformes numériques à s’éloigner « des modèles commerciaux qui priorisent l’engagement plutôt que les droits humains », et invite les annonceurs et les plateformes numériques à veiller à ce que les publicités ne soient pas placées à côté d’informations erronées, de désinformation ou de discours haineux.