(Ottawa) Le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique (NPD) demandent à CBC/Radio-Canada d’éviter de verser des primes à ses cadres en période de compression. La présidente-directrice générale de la société d’État, Catherine Tait, n’a pas écarté la possibilité que des primes soient versées alors qu’elle s’apprête à supprimer 800 postes partout au pays.

« Il est trop tôt pour dire où nous en sommes cette année, a-t-elle répondu lundi en entrevue à l’émission The National. Nous allons examiner cela comme nous le ferons pour tous nos postes budgétaires dans les mois à venir. »

L’animatrice Adrienne Arsenault est revenue à la charge et Mme Tait a répondu qu’elle n’allait pas « commenter quelque chose qui n’a pas été encore discuté ».

La grande patronne de CBC/Radio-Canada venait d’annoncer le jour même la suppression de 600 emplois et l’abolition de 200 postes vacants, soit environ 10 % de son effectif. La société d’État fait face à des « pressions budgétaires » de 125 millions en raison de l’inflation, de la concurrence des géants numérique et de la baisse des revenus publicitaires générés par la télévision traditionnelle.

Lors de consultations du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) mardi, la vice-présidente principale des Services anglais de CBC/Radio-Canada, Barbara Williams a indiqué que le diffuseur public travaille à un plan pour « travailler différemment » et plus efficacement sans pouvoir donner davantage de précision sur les postes qui seront éliminés.

« Nous n’avons pas encore déterminé tous les détails », a-t-elle dit.

« Mais nous cherchons à protéger les émissions locales, à protéger l’information, nous avons un investissement clé dans le type d’émissions que nous diffusons à nos heures de grande écoute. Nous avons une audience forte et fidèle à la radio, nous avons une audience jeune et diversifiée qui nous cherche sur nos plateformes numériques. »

Elle venait d’être questionnée sur ce que la société d’État entend faire pour protéger le journalisme durant cette période de compressions dans le cadre des consultations sur la réglementation de C-11 qui modernise de la Loi sur la radiodiffusion.

La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, a évité mardi de commenter les potentielles primes, en rappelant l’indépendance du diffuseur public. « C’est à eux de répondre aux questions par rapport à la rémunération interne, a-t-elle affirmé en mêlée de presse. Ils ont des allocations qui sont claires, ils ont des budgets qui sont clairs. Je vous invite à poser ces questions-là CBC/Radio-Canada. »

La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, n’a pas voulu se prononcer spécifiquement sur la situation de la société d’État, invoquant elle aussi son l’indépendance, mais elle a tout de même rappelé que les institutions publiques ont le devoir « de surveiller l’argent de contribuable avec l’efficacité nécessaire » en cette période d’inflation et de taux d’intérêt élevés.

À lire aussi : Le flou persiste à savoir si Radio-Canada participera à l’effort budgétaire fédéral

Éliminez les primes, disent les partis d’opposition

La déclaration de Mme Tait passe mal au sein des partis d’opposition. « On n’accepte pas que Radio-Canada donne des bonis à ses hauts dirigeants en même temps qu’ils sont en train de couper des postes et notre message pour les gens de Radio-Canada : il faut que le journalisme, que ces postes locaux passent avant des bonis donnés aux hauts dirigeants », a tranché le porte-parole du NPD en matière de patrimoine canadien, Peter Julian.

Son collègue Alexandre Boulerice estime qu’« un fonds d’urgence s’impose pour sauver les meubles ». Il demande également au gouvernement de cesser de verser indirectement des fonds aux géants du web par l’entremise d’un crédit d’impôt aux entreprises pour la publicité en ligne. « On est en train de se battre peut-être pour 60 millions de dollars ou 100 millions de dollars alors que le gouvernement fédéral donne 1 milliard de dollars à Facebook et à Google pour faire de la publicité », a-t-il fait valoir.

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a demandé « la suspension immédiate de toute velléité de coupures », « la renonciation à toute participation à une part des 100 millions de dollars qui seront versés par Google » et « la renonciation à toute espèce de prime allant ou pouvant être versée aux cadres de Radio-Canada et de CBC ».

Il a réclamé la comparution de Mme Tait et de la ministre St-Onge dès le début de l’année 2024 et avant que la société d’État détermine quels postes précis elle supprimera. « On est dans une situation où on annonce des choses sans aucune reddition de compte pour une institution qui reçoit largement au-delà d’un milliard et demi de dollars sur une base annuelle », a-t-il fait valoir.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a invité les internautes à regarder l’extrait de l’entrevue de Mme Tait dans un gazouillis mardi tout en s’attaquant à l’indépendance du diffuseur public.

« La patronne de CBC triée sur le volet par Justin Trudeau se fait demander si elle continuera de payer des bonis tout en licenciant des travailleurs », a-t-il écrit sur le réseau social X mardi.

La veille, il avait utilisé le même véhicule pour dénoncer les primes. « La CBC dit qu’elle est encore à court d’argent et qu’elle licencie du personnel, avait-il réagi. Et ce, après avoir versé 99 millions de dollars de primes à des cadres incompétents et à des porte-parole libéraux. »

Il s’appuie sur des chiffres colligés par la Fédération canadienne des contribuables au printemps dernier, selon lesquels plus de 99 millions de dollars ont été versés en primes par la société d’État à ses employés depuis 2015. En 2022, le montant des primes s’élevait à 16 millions.

Les conservateurs veulent réduire les fonds de la CBC de 1 milliard, s’ils forment un gouvernement, sans toucher au réseau français.

Avec Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse et La Presse Canadienne