Un contrat qui générait des revenus annuels de 10 millions et vieux de deux décennies, soudainement évaporé. C’est un des exemples donnés par Claude Robert, président du conseil d’administration de Groupe Robert, pour illustrer les conséquences du modèle « chauffeur inc. » sur les affaires du géant du camionnage et de la logistique.

L’homme d’affaires, qui a dirigé l’entreprise familiale pendant plus de trois décennies, dénonce ce stratagème depuis des années. Les 12 prochains mois s’annoncent déterminants pour l’industrie du camionnage si Ottawa et les gouvernements provinciaux ne prennent pas les moyens pour redresser la barre, prévient M. Robert.

S’il n’y a pas une correction rapide, je vous prédis qu’il va y en avoir beaucoup, des faillites et des ventes pour ce que j’appelle la ferraille [le prix des actifs d’une entreprise]. Actuellement, dans les appels d’offres, c’est plus de 50 % des entreprises qui rivalisent avec nous qui sont des “chauffeurs inc.”.

Claude Robert, président du conseil d’administration de Groupe Robert

M. Robert est loin d’être le seul poids lourd de l’industrie à lancer un cri du cœur. Le 9 février dernier, à l’occasion d’une conférence téléphonique avec les analystes financiers pour commenter les résultats du quatrième trimestre de TFI International – plus grande entreprise de camionnage au pays –, son président et chef de la direction, Alain Bédard, a qualifié de « désastre » le modèle des « chauffeurs incorporés ».

Lisez l’article « TFI dénonce un “désastre” pour l’industrie »

Fondé en 1946, Groupe Robert compte plus de 3200 employés, exploite au-delà de 40 centres de distribution ainsi qu’un parc supérieur à 1000 tracteurs. Pour sa part, TFI a généré un chiffre d’affaires annuel de 7,5 milliards US l’an dernier. Le Canada représente environ 35 % des revenus de l’entreprise montréalaise.

Déjà difficile

Dans un secteur déjà connu pour ses marges extrêmement minces – environ 3 % selon M. Robert – et ses horaires exigeants, les chauffeurs incorporés sont en train d’étouffer des entreprises qui respectent les règles, dénoncent MM. Robert et Bédard.

« Ces gens-là visitent nos clients et se présentent avec des taux de 15 à 20 % inférieurs aux nôtres parce qu’ils n’ont pas à subir les infrastructures légales, souligne le président du CA de Groupe Robert. Nous, il faut payer les heures supplémentaires de nos employés, contrairement aux concurrents dont le modèle repose sur les chauffeurs inc. Si vous faites un voyage qui rapporte 600 $, avec des marges de 3 %, cela veut dire 18 $ de profits. Comment voulez-vous absorber des dépenses additionnelles ? Ça ne marche pas. »

Avec les analystes financiers, le 9 février dernier, le grand patron de TFI avait prévenu que le modèle « chauffeur inc. » serait un problème à long terme à moins d’un effort concerté et vigoureux émanant du gouvernement fédéral, de Québec ainsi que des autres provinces.

« Je suis dans cette bataille depuis quatre ou cinq ans, affirme M. Robert. Il n’y a rien que nous n’avons pas fait. Mais [les gouvernements nous font la sourde oreille]. On a des gouvernements qui ne sont pas structurés pour travailler en équipe. C’est une injustice flagrante que le gouvernement ne fasse pas son travail. »