(Ottawa) Les géants du web qui ont un chiffre d’affaires global d’au moins 1 milliard de dollars canadiens par année et qui ont 20 millions d’utilisateurs uniques par mois au Canada seront assujettis à la Loi sur les nouvelles en ligne à compter du 19 décembre.

L’histoire jusqu’ici

22 juin 

Le projet de loi C-18 sur les nouvelles en ligne obtient la sanction royale. Le même jour, Meta annonce son intention de bloquer l’accès aux nouvelles canadiennes sur ses plateformes.

29 juin 

Google annonce qu’il va aussi bloquer l’accès aux nouvelles canadiennes en raison de l’adoption du projet de loi C-18. Mais le géant du numérique ne précise pas de date.

1er août 

Meta commence à bloquer l’accès aux nouvelles. Le gouvernement Trudeau qualifie cette décision d’irresponsable.

1er septembre 

Le gouvernement fédéral publie les règlements encadrant la Loi sur les nouvelles en ligne. Meta affirme que ces règlements ne changent rien à la situation.

Ces géants du web – essentiellement Meta et Google – devront verser des redevances aux médias canadiens s’ils diffusent du contenu produit par ces médias sur leurs plateformes, selon les règlements visant à encadrer la nouvelle loi qui ont été publiés vendredi par le gouvernement fédéral. Ces redevances, qui devront faire l’objet de négociations, pourraient atteindre environ 230 millions de dollars par année – 172 millions dans le cas de Google et 62 millions dans le cas de Meta, selon les calculs du ministère du Patrimoine canadien.

Mais les médias canadiens pourraient ne jamais voir la couleur de cet argent si, comme le fait déjà Meta depuis le 1er août, les géants du web décident de bloquer l’accès aux nouvelles canadiennes pour se soustraire aux obligations découlant de cette loi.

Car la nouvelle loi s’appliquera uniquement aux entreprises numériques qui diffusent du contenu produit par les médias canadiens sur leurs plateformes.

Meta et Google s’opposent farouchement à cette loi. En représailles, Meta a décidé de bloquer l’accès aux nouvelles canadiennes sur ses plateformes (Facebook et Instagram) le mois dernier même si la loi ne doit entrer en vigueur qu’en décembre. Google a aussi brandi cette menace, mais le moteur de recherche ne l’a pas encore mise à exécution.

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Exemptions possibles

Selon des hauts fonctionnaires du ministère du Patrimoine canadien, la publication de ces règlements devrait répondre à certaines critiques formulées par les géants du web, notamment en offrant une prévisibilité et une estimation de la somme des redevances qui pourraient être en cause.

Les règlements, selon eux, constituent un incitatif à conclure des ententes commerciales volontaires entre les géants du web et les médias canadiens.

Ils ont expliqué que les plateformes pourront être exemptées de la loi si elles concluent des accords jugés équitables avec les médias canadiens. Autrement, elles devront se soumettre à un processus de négociations obligatoire qui se déroulera sous l’égide du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications (CRTC).

Ils ont admis que la loi pourrait ne s’appliquer à aucune plateforme si Meta et Google décident de ne plus relayer les nouvelles canadiennes.

PHOTO YVES HERMAN, ARCHIVES REUTERS

La loi pourrait ne s’appliquer à aucune plateforme si Meta et Google décident de ne plus relayer les nouvelles canadiennes.

30 jours de consultations

La publication de ces règlements donne le coup d’envoi à une période de consultations de 30 jours au cours de laquelle les géants du web pourront exprimer leurs commentaires. Meta a déjà fait savoir que ces règlements ne répondent pas à ses objections. En outre, l’entreprise n’a guère l’intention de participer aux consultations.

« Comme nous l’avons communiqué directement au gouvernement, le processus réglementaire n’est pas en mesure de répondre à la prémisse fondamentalement erronée au cœur de la Loi sur les nouvelles en ligne. La législation est basée sur l’affirmation fausse voulant que Meta bénéficie injustement des contenus d’actualité partagés sur nos plateformes. Les règlements proposés aujourd’hui n’auront aucun impact sur notre décision d’affaires de mettre fin à la disponibilité des informations au Canada », a déclaré un porte-parole de Meta, vendredi.

Pour sa part, Google a indiqué vouloir prendre le temps d’examiner les règlements.

Nous étudions attentivement les règlements proposés pour évaluer s’ils abordent les défis structurels majeurs du projet de loi C-18 qui, malheureusement, n’avaient pas été abordés au cours du processus législatif.

Google, par l’entremise d’un porte-parole

La réglementation prévoit aussi que la compensation versée aux médias peut comprendre des contributions financières et non financières. Il sera aussi possible de tenir compte des ententes préalables conclues entre les géants du web et les entreprises de presse.

Les ententes qui seraient éventuellement conclues devraient « protéger l’indépendance journalistique et le processus éditorial » des médias canadiens.

« Juste part »

Le gouvernement Trudeau affirme s’être inspiré de l’exemple de l’Australie pour concocter une formule de calcul de redevances. Cette formule est quelque peu complexe : (les recettes globales des géants du web) X (la part canadienne du PIB mondial) X (taux de contribution de 4 %). Essentiellement, cela permettrait d’obtenir une contribution qui ne s’écarte pas de plus de 20 % de la moyenne de l’indemnisation prévue dans l’ensemble des accords.

Dans une présentation aux médias, les hauts fonctionnaires ont souligné que les plateformes numériques jouent un rôle « essentiel dans l’écosystème de nouvelles au Canada et modifient la manière dont les Canadiens accèdent aux sources de nouvelles ». En effet, 69 % des Canadiens consultent les nouvelles en ligne, et 11 % seulement des Canadiens paient pour les nouvelles qu’ils consultent en ligne. Le hic, c’est que 80 % des recettes publicitaires en ligne, qui s’élevaient à 14 milliards de dollars en 2022, aboutissent dans les coffres de Google et de Meta.

« Les Canadiennes et Canadiens comptent sur les plateformes numériques pour consulter les nouvelles et suivre l’actualité. Ces plateformes doivent agir de manière responsable et soutenir le partage des nouvelles, car elles en bénéficient autant que les Canadiennes et les Canadiens. La Loi sur les nouvelles en ligne exige que ces plateformes dominantes négocient équitablement avec les entreprises de nouvelles, qu’elles soient grandes ou petites », a soutenu la ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, dans un communiqué de presse.

« Les géants de la technologie peuvent et doivent fournir leur juste part, rien de plus. Les Canadiennes et Canadiens demandent un paysage de l’information dynamique qui leur permet d’obtenir les faits quand ils et elles en ont besoin », a-t-elle ajouté.