L’entreprise propriétaire du Toronto Star, Nordstar, et son concurrent Postmedia, qui publie notamment la Montreal Gazette, au Québec, ont confirmé mardi avoir entamé des discussions non contraignantes dans le cadre d’une opération de fusion potentielle.

L’entité fusionnée, dont le nom n’a pas encore été choisi, serait détenue et contrôlée conjointement par Nordstar (50 % des droits de vote et 44 % du capital) et les actionnaires actuels de Postmedia (50 % des droits de vote et de 56 % du capital).

« La viabilité de l’industrie de la presse au Canada est extrêmement menacée, en particulier dans les petites villes et communautés […]. En mettant en commun nos ressources et en travaillant en collaboration, nous pouvons faire en sorte que davantage de Canadiens aient accès à un journalisme fiable et à des reportages de qualité », a déclaré l’éditeur du Toronto Star, Jordan Bitove, dans un communiqué commun diffusé mardi.

Toujours selon ce communiqué, le Toronto Star garderait son indépendance éditoriale vis-à-vis de la nouvelle entité issue de la fusion. Le quotidien serait placé sous la responsabilité d’une nouvelle entreprise qui serait créée, la Toronto Star Inc., dont Nordstar détiendrait 65 % des parts. Jordan Bitove, propriétaire de Nordstar, resterait l’éditeur du Toronto Star.

Ce dernier occuperait les fonctions de président de l’entité fusionnée et Andrew MacLeod, PDG de Postmedia, en serait le PDG.

Postmedia en difficulté

Cette nouvelle survient alors que Postmedia traverse une période trouble, à l’image du secteur des médias. L’entreprise avait notamment mis à pied 11 % de son personnel de salles de nouvelles en janvier dernier.

« La raison d’être de la fusion proposée est de créer une nouvelle entité avec une dette réduite, une échelle numérique nationale pour concurrencer les géants mondiaux de la technologie et des économies d’échelle dans le modèle d’entreprise », a indiqué le président et chef de la direction de Postmedia, Andrew MacLeod.

Postmedia publie le National Post, la Montreal Gazette, l’Ottawa Citizen et le Vancouver Sun et emploie environ 650 journalistes.

Un ancien éditeur « déçu »

La Torstar Corporation, propriété de Nordstar et propriétaire du Toronto Star, détient également Metroland Media Group, qui publie six quotidiens en Ontario, dont le Hamilton Spectator, le Waterloo Region Record, le Niagara Dailies et le Peterborough Examiner, et plus de 60 journaux locaux.

Joint mardi soir, l’ancien éditeur du Toronto Star John Cruickshank s’est dit « déçu » par la possibilité de voir le quotidien primé perdre de son indépendance vis-à-vis de Postmedia.

« Certains pensaient que c’était inévitable lorsque les investisseurs au Toronto Star ont réalisé à quel point le secteur était mal en point. Je suis choqué que ça arrive si vite, a-t-il souligné. Je pensais que ce serait possible que quelqu’un mette du temps et de l’argent afin de conserver une forme d’indépendance vis-à-vis de Postmedia, particulièrement. »

Un modèle d’affaires déchu ?

La fusion de deux entités médiatiques de cette ampleur surprend malgré tout le professeur Jean-Hugues Roy, de l’École des médias de l’UQAM. « Qui a de la difficulté ces temps-ci ? Ce sont les gros conglomérats. Cet ancien modèle d’affaires est sur ses derniers milles », juge-t-il, ajoutant que l’avenir dans le monde des médias est destiné aux « petits » modèles d’affaires.

« C’est un move pour tenter de sauver les meubles, peut-être un vieux pli, des anciennes habitudes », analyse-t-il, sceptique à l’endroit de l’argumentaire du PDG de Postmedia qui souhaite « concurrencer » les géants mondiaux de la technologie.

Un avis partagé par la présidente nationale du syndicat Unifor, Lana Payne, dont l’organisation représente des travailleurs tant au Toronto Star qu’à Postmedia. Cette dernière s’est montrée inquiète quant aux conséquences d’une telle fusion, dans un courriel acheminé au Toronto Star mardi.

« Nous sommes profondément préoccupés par la poursuite de la consolidation de nos médias d’information canadiens, y déclare-t-elle. Nous continuerons à insister avec véhémence et par tous les moyens possibles auprès de tous les décideurs pour que ce projet de fusion n’aboutisse pas à la décimation du paysage médiatique de ce pays. »

« Ces entreprises (Nordstar et Postmedia) sont insignifiantes par rapport à Meta (Facebook, Instagram) et Alphabet (Google) dans le marché de la publicité numérique. Mais les journaux qu’elles possèdent sont loin de l’être pour les communautés qu’elles informent, d’où l’importance pour ces communautés de se mobiliser dès maintenant pour les sauver », lance pour sa part le professeur Jean-Hugues Roy.