(Ottawa) De hauts dirigeants américains de Google ont assuré jeudi devant un comité de la Chambre des communes qu’ils auraient les mêmes « considérations » si les États-Unis allaient de l’avant avec un projet de loi semblable à celui, canadien, visant à forcer les « géants du web » à indemniser les médias pour le partage vers leur contenu d’actualités.

Le président des Affaires globales de Google, Kent Walker, a toutefois refusé de préciser si l’entreprise mènerait, le cas échéant, le même blocage de cinq semaines qui a empêché certains Canadiens d’accéder à des contenus journalistiques par l’entremise de sa plateforme. Ce que Google décrit comme des tests parmi tant d’autres a été fait en réaction au projet de loi C-18, actuellement à l’étude au Sénat.

Pressé par le bloquiste Martin Champoux de dire si pareille initiative serait prise au même moment dans l’élaboration d’une loi américaine, M. Walker a répondu qu’il est « bien sûr difficile de spéculer ».

« Mais je dirais que nous avons soulevé des inquiétudes similaires […] aux États-Unis et nous l’avons constamment fait dans des pays à travers le monde lorsque nous avons fait face à de nouvelles réglementations potentielles, essayant d’évaluer comment elles auraient un impact sur nos services », a-t-il dit en comparaissant sous serment devant les députés canadiens du Comité du patrimoine.

Quelques minutes avant, son collègue Richard Gingras, vice-président de la division des nouvelles de Google, évitait de répondre directement au libéral Anthony Housefather qui lui demandait si le Congrès américain serait « traité différemment ».

Je dirais, bien franchement, que si les faits étaient les mêmes, nos considérations seraient les mêmes.

Richard Gingras, vice-président de la division des nouvelles de Google

Pour M. Champoux, il est clair que le traitement réservé aux États-Unis serait différent puisqu’il estime que Google joue les « gros bras » avec le Canada.

« Je serais très, très étonné qu’on ait des bras aussi gonflés si les Américains décidaient de passer une loi comme celle-là », a-t-il affirmé à La Presse Canadienne.

M. Housefather a, de son côté, soutenu qu’il est possible que Google adopte la même ligne d’action face à des initiatives américaines, mais que cela reste à voir. « Possiblement, c’est une grande entreprise qui parfois peut penser qu’elle est plus grande que les entités gouvernementales. »

Ton différent

Les hauts dirigeants, qui avaient refusé de comparaître devant le Comité du patrimoine en mars, n’ont pas fermé la porte à ce que le blocage revienne au Canada advenant l’adoption de C-18 dans sa forme actuelle puisqu’« aucune décision finale n’a été prise ».

Le blocage temporaire de Google a été désapprouvé par l’ensemble des principaux partis représentés à la Chambre des communes même si les conservateurs s’opposent au projet de loi C-18.

Les représentants de Google Canada ayant témoigné en comité, en mars, ont essuyé de vives critiques, les députés estimant que ceux-ci n’avaient nullement répondu aux questions posées.

Le ton était différent jeudi, bien des élus soulignant qu’ils obtenaient des réponses des dirigeants américains de l’entreprise même s’ils ne partageaient pas toujours leur point de vue.

Le néo-démocrate Peter Julian a souligné à La Presse Canadienne que M. Walker et M. Gingras ont promis de fournir bien des documents et qu’il faudra s’assurer que les informations soient données.

« On va voir dans une semaine ou deux s’ils fournissent les communications à l’interne, par exemple, et toutes les informations quant au budget qu’ils donnent pour le lobbying et les relations gouvernementales », a-t-il résumé.

De l’argent « perdu à chaque clic », dit Google

Selon Peter Julian, Google sera confronté à « l’opinion publique » s’il continue de brandir la possibilité de rétablir un blocage.

Dès l’ouverture de leur témoignage, les hauts cadres de Google ont défendu l’idée d’avoir mené leurs « tests », mentionnant que ce genre d’exercice a aussi été fait en Australie, où une loi semblable au projet de loi C-18 a été adoptée.

« Google News nous coûte des millions pour fonctionner, mais ne génère aucun revenu. Si nous devions payer les éditeurs simplement pour afficher des liens vers leurs sites, nous faisant perdre de l’argent à chaque clic, il serait raisonnable pour nous, ou pour toute entreprise, de reconsidérer pourquoi nous continuerions à le faire », a fait valoir M. Gingras.

Il a réitéré que l’entreprise préférerait financer les médias par un fonds monétaire plutôt que d’être réglementée par le gouvernement.

Sur ce point, le conservateur Martin Shields a tenté, en vain, d’obtenir un montant que Google serait prêt à investir dans un tel fonds. « Vous ne voulez peut-être pas négocier avec moi, mais vous ramenez toujours [cela]. […] Mettez un chiffre sur la table », a-t-il pesté, en disant douter que les 13 hebdomadaires de sa circonscription reçoivent leur part.

Le projet de loi C-18 vise à obliger les géants du numérique tels que Google et Meta, qui possède Facebook et Instagram, à négocier des accords pour indemniser les entreprises de médias canadiennes pour l’affichage ou la fourniture de liens vers leur contenu d’actualités.

De nombreux médias ont déjà conclu des ententes demeurées confidentielles, mais C-18 fixe des critères pour s’assurer d’accords « équitables ».

Comme Google, Meta considère aussi de bloquer tout contenu journalistique de sa plateforme.

La Presse Canadienne a un partenariat avec Meta qui finance un certain nombre de bourses de soutien à des journalistes en début de carrière.