Après un début d’année favorable dans les marchés financiers, alors que l’économie résistait à la forte hausse des taux d’intérêt pour contrer l’inflation, comment se profilent les perspectives d’investissement pour les prochains mois ? C’est le moment du tour d’horizon trimestriel avec les experts du « Portefeuille fictif » de La Presse.

Enthousiasme et sueurs froides

PHOTO ARND WIEGMANN, ARCHIVES REUTERS

Le groupe UBS a racheté le Credit Suisse dans le cadre d’une opération de sauvetage.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $, et donc à la portée de la plupart des particuliers-investisseurs. Dans ce deuxième rendez-vous de 2023, ces experts reviennent brièvement sur le premier trimestre, et ils décrivent leurs perspectives pour la suite sur les marchés financiers d’investissement.

Aussi, ils calibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le deuxième trimestre de 2023 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats du premier trimestre 2023 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

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Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Les marchés boursiers ont été bousculés au début de 2023, mais ils ont réussi à terminer le premier trimestre avec un gain solide. Dès janvier, ils ont grimpé en flèche avec l’espoir d’un ralentissement économique en douceur, alors que les pressions inflationnistes montraient des signes d’apaisement.

« Cependant, en février, une vague d’aversion au risque a déferlé sur les marchés financiers. L’espoir d’une fin prochaine de la hausse des taux d’intérêt s’est atténué face aux indices persistants d’une croissance économique plus résiliente que prévu, d’un marché du travail encore en surchauffe et d’une inflation toujours plus élevée que le niveau cible des banques centrales.

« Enfin, en mars, après le choc de l’effondrement de la Silicon Valley Bank en Californie, les marchés boursiers d’actions sont repartis en hausse, propulsés par des spéculations voulant que les banques centrales puissent cesser la hausse des taux d’intérêt face aux inquiétudes générées par cette soudaine crise bancaire aux États-Unis. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Je constate que le premier trimestre s’est déroulé en deux temps. En élan d’optimisme, le mois de janvier a été superbe pour les investisseurs en actions et en obligations, malgré les messages persistants de la Réserve fédérale américaine (Fed) concernant d’autres hausses de taux d’intérêt.

« En février, l’optimisme ambiant a été remis en question par une vague de révisions des attentes de profits des entreprises, ce qui est souvent précurseur d’un ralentissement de l’économie.

« Ensuite, les marchés financiers ont été pris de court par la chute de la Silicon Valley Bank en Californie, ainsi que le rachat de sauvetage du Credit Suisse par le groupe UBS, avec l’appui des autorités suisses.

« Ces deux évènements ont fait ressurgir les mauvais souvenirs de la crise bancaire et financière en 2008. Mais ces craintes ont été atténuées par l’intervention rapide et concertée de la Réserve fédérale américaine (Fed) et des grandes banques américaines afin de rassurer les déposants. Bref, le système bancaire a fonctionné, ce qui a ramené les marchés financiers vers une bonne fin de premier trimestre. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Ce qui m’a le plus surpris au premier trimestre, c’est le maintien d’une croissance économique beaucoup plus forte qu’anticipé en Amérique du Nord. En Europe, un hiver plus clément que prévu a permis d’atténuer l’impact de la crise énergétique dans l’économie, qui s’en sort mieux que ce qui était anticipé.

« Pendant ce temps, en Bourse, le fort rebond des grands titres de technologies aux États-Unis, propulsé notamment par de nouvelles attentes de plafonnement des taux d’intérêt, a tiré à la hausse l’ensemble du marché.

« Quant au gros tumulte dans le secteur bancaire aux États-Unis, il a été calmé par les interventions rapides des autorités gouvernementales. C’est aussi ce qui a suscité un redressement des principaux indices boursiers en fin de trimestre, après le bref recul engendré par les tumultes bancaires.

« Depuis, même si l’essentiel du système bancaire américain est bien capitalisé, les marchés financiers demeurent préoccupés par la situation financière des centaines de banques régionales aux États-Unis. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Ma plus grande surprise du premier trimestre, c’est la résilience de l’économie malgré la forte hausse des taux d’intérêt depuis un an. Les principaux indices précurseurs demeurent en hausse, et la croissance du PIB (produit intérieur brut) au premier trimestre s’annonce au-delà des attentes.

« Si elle perdure, cette résilience de l’économie pourrait soutenir l’inflation à un niveau plus élevé que la cible des banques centrales, les incitant ainsi à maintenir les taux d’intérêt élevés.

« Entre-temps, on a quand même assisté en fin de trimestre à un renversement des attentes de taux d’intérêt – de haussières à baissières –, ce qui a suscité un coup de fouet en Bourse. Mais ces attentes demeurent en contradiction avec les récents messages de la Fed, qui a réitéré sa priorité de lutte contre l’inflation.

« Enfin, même si la crise bancaire aux États-Unis semble avoir été contenue, la santé financière des nombreuses banques régionales demeure préoccupante. Entre autres, si ces banques devaient resserrer leurs conditions de prêt afin de rehausser leurs résultats et leur bilan, ça pourrait avoir l’effet d’un coup de frein sur l’économie américaine. »

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Face à une inflation élevée et persistante, je m’attends à ce que les banques centrales renforcent leur lutte contre l’inflation avec d’autres hausses des taux d’intérêt. Cette tâche des banques centrales a été compliquée récemment par de fortes tensions dans le secteur bancaire, qui ont remis en question leurs politiques de hausse de taux d’intérêt.

« Pour l’instant, ces tensions bancaires semblent avoir été contenues par les autorités, qui ont pris des mesures extraordinaires pour éviter la contagion du système financier. Mais avec une inflation encore élevée, et une économie qui demeure résiliente, je m’attends à ce que les banques centrales réaffirment que leur priorité est la lutte contre l’inflation avec d’autres hausses des taux d’intérêt. Et ce, même si l’économie et les marchés financiers risquent d’en subir les dommages collatéraux.

« Ainsi, chez Fiera Capital, notre scénario économique le plus probable demeure aligné vers une “récession profonde” au cours des prochains trimestres. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Ce que je suis le plus, c’est l’évolution du marché du travail et du taux d’inflation.

« Entre autres, si l’économie nord-américaine continue d’ajouter des emplois à ce rythme, ça pourrait repousser un scénario de récession vers la fin de l’année 2023 et le début de l’an prochain. À cet égard, je porte aussi une attention particulière aux annonces de résultats et des perspectives d’affaires parmi les entreprises.

« Quant à l’inflation, il y a encore un risque pour les marchés financiers qu’elle demeure élevée malgré les hausses de taux d’intérêt des banques centrales.

« Pour le moment, ce risque d’inflation tenace se manifeste du côté du prix des carburants pétroliers, mais aussi par l’ampleur des récents budgets de dépenses des gouvernements, et l’usage des surplus d’épargne encore disponibles chez les ménages de revenus moyens et élevés.

« Par exemple, est-ce que les dépenses discrétionnaires (loisirs, voyage, etc.) de ces ménages vont demeurer aussi fortes – et inflationnistes – que l’an dernier ? Aussi, est-ce que les consommateurs pourront encore adapter leur budget de dépenses de base (biens et services d’usage courant) à l’inflation persistante ? »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Il faut rester prudent dans les marchés financiers en attendant de voir l’évolution de plusieurs éléments importants de la conjoncture économique. À commencer par le taux d’inflation de base, qui demeure relativement élevé par rapport à la cible de la Fed, et donc déterminant pour la suite ou la fin des hausses de taux d’intérêt.

« Aussi, la vigueur persistante du marché de l’emploi, soutenue notamment par l’hésitation des employeurs à faire des mises à pied, pourrait s’atténuer et même s’inverser si le ralentissement de l’économie devait forcer des employeurs qui connaissent une baisse de revenus à réduire leurs effectifs afin de préserver leur marge bénéficiaire.

« Dans un tel scénario, et en ajoutant le risque de baisse de valeur des maisons, on pourrait voir un effet de “richesse négative” dans le sentiment des consommateurs. Ça pourrait avoir un impact rapide sur toute l’économie, et en particulier sur les prochains résultats des entreprises dans le marché des biens et services aux consommateurs. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Même si l’économie demeure relativement bonne, je porte une attention particulière à des indicateurs avancés comme les perspectives d’embauche et les attentes de bénéfices des entreprises, qui ont commencé à se dégrader. Je suis aussi l’évolution des conditions de crédit aux entreprises et aux consommateurs, et dont le resserrement pourrait accentuer l’impact des hausses de taux d’intérêt dans l’économie. Ce sont des éléments de conjoncture économique qui, s’ils continuent de se détériorer, pourraient susciter une révision des attentes de bénéfices des entreprises.

« Pour le moment, le consensus parmi les investisseurs boursiers au Canada et aux États-Unis suggère que le creux des attentes de bénéfices aurait été atteint lors du premier trimestre, alors que l’économie semblait se diriger vers un “atterrissage en douceur”. Mais ce consensus m’apparaît très optimiste en regard de la dégradation des indicateurs avancés de l’économie. »

Où en est votre répartition d’actifs pour le deuxième trimestre ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Le risque croissant d’une grave récession justifie une position défensive dans la répartition d’actifs. Par conséquent, je maintiens une sous-pondération des actions et des obligations, avec une importante surpondération de l’encaisse.

« À mon avis, la remontée des marchés boursiers et obligataires au premier trimestre a été alimentée par des attentes d’un assouplissement des taux d’intérêt par les banques centrales aux États-Unis et au Canada. Or, ces attentes sont en contradiction avec les preuves encore très limitées de progrès notables dans la lutte contre l’inflation, qui demeure élevée par rapport à la cible des banques centrales.

« Cette situation laisse les marchés boursiers et obligataires vulnérables à des corrections, si les investisseurs devaient réviser leur espoir d’un plafonnement et d’un repli des taux d’intérêt en réaction à une inflation tenace. De plus, les attentes en matière de bénéfices des entreprises n’ont pas encore été ajustées au risque imminent de détérioration de l’économie, ou même d’une véritable récession. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Dans un contexte où l’impact des hausses de taux d’intérêt sur l’inflation et l’économie tarde à se manifester, je conserve une répartition d’actifs avec un biais de prudence modérée envers les actions pour le deuxième trimestre.

« Par conséquent, je rehausse ma pondération en obligations de 25 % à 35 %, donc revenue à parité avec le portefeuille équilibré de référence. En contrepartie, je réduis ma surpondération en encaisse – de 20 % à 10 % – dont le niveau trop élevé a nui à mon rendement lors du premier trimestre.

« Du côté des actions, je maintiens ma répartition générale à 55 %, donc en sous-pondération par rapport au portefeuille de référence. Parmi les grands marchés d’actions, je maintiens mes répartitions en actions canadiennes et américaines à un niveau équivalent au portefeuille de référence, soit 20 % pour chacune des catégories.

« Par ailleurs, dans les actions internationales, j’accentue ma sous-pondération dans les marchés EAEO (Europe, Asie, Extrême-Orient, de 12 % à 10 %). Cet ajustement reflète la modération des attentes sur les Bourses européennes après un premier trimestre meilleur qu’attendu, alors que l’économie européenne a déjoué le négativisme ambiant en début d’année. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Les Bourses nord-américaines et européennes ont plutôt bien fait ces derniers mois. Mais avec l’accumulation des préoccupations envers la conjoncture économique, ça pourrait signifier que les prochains résultats des entreprises vont diminuer, et que les marchés boursiers sont relativement dispendieux.

« C’est pourquoi je préfère demeurer prudent en répartition d’actifs. Je maintiens l’encaisse (7 %) et les obligations (36 %) à des niveaux de légère surpondération par rapport au portefeuille équilibré de référence. En contrepartie, je maintiens les actions en sous-pondération (38 %).

« Parmi les principaux marchés boursiers, je neutralise une légère surpondération en actions canadiennes (de 21 % à 20 %), alors que je maintiens une pondération neutre en actions américaines (20 %) et une sous-pondération en actions internationales (EAEO, à 12 %).

« La Bourse canadienne a bien fait depuis un an, en profitant surtout des résultats forts dans le secteur de l’énergie et dans certains secteurs cycliques. Mais je considère qu’il faut être prudent pour la suite, alors que devrait se préciser le scénario de stagnation économique ou de récession en fin d’année. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Compte tenu des nombreuses incertitudes de la conjoncture économique, des conséquences de la récente crise bancaire aux États-Unis et des politiques de taux d’intérêt des banques centrales, je conserve ma répartition en actifs moins risqués, soit l’encaisse (à 15 %) et les obligations (à 28 %), à leur niveau de surpondération par rapport au portefeuille équilibré de référence.

« Pour ce qui est des actions, je maintiens ma sous-pondération générale à 57 %. Je laisse inchangée ma répartition en actions canadiennes, qui est surpondérée à 23 %. Mais je réduis ma répartition en actions américaines à 15 %, donc sous-pondérée par rapport au portefeuille de référence.

« Je rehausse par contre ma répartition en actions internationales (EAEO, de 13 % à 18 %) à un niveau de surpondération. Je considère que la Bourse américaine est la moins attrayante à court terme après le récent rebond de ses grands titres de technologies, alors que les perspectives de l’économie et des bénéfices des entreprises demeurent très embrouillées. »