La courtière immobilière Brigitte Le Pailleur a utilisé une stratégie courante dans la vente de maisons résidentielles pour s’enrichir sur le dos de ses clients. Reconnue coupable d’infractions graves de conflit d’intérêts, elle écope d’une amende historique afin de dissuader les autres courtiers de continuer d’utiliser ce procédé.

Brigitte Le Pailleur, qui était à la tête de l’agence immobilière Le Pailleur inc. située sur le Plateau Mont-Royal à Montréal, doit payer une amende de 150 000 $, soit le montant maximal de 50 000 $ prévu par la loi pour chacun des trois chefs pour lesquels elle a été reconnue coupable, et voit son permis d’exercice suspendu pour 180 jours.

Les clients de Mme Le Pailleur avaient fait appel à ses services pour vendre un triplex à Montréal, parce qu’ils disaient ne rien connaître en immobilier et avaient besoin d’être conseillés. Au cours de cette transaction, la courtière immobilière avec 38 ans d’expérience se placera en conflit d’intérêts à trois reprises.

La courtière devait vendre l’immeuble d’une dame âgée

La propriétaire non occupante du triplex, Cécile Sylvestre, recevait chaque année par la poste à sa résidence une lettre publicitaire de Brigitte Le Pailleur qui lui offrait de vendre son immeuble à revenus. Les frères Bélanger, qui représentaient leur mère pour la vente du triplex, ont donc décidé de la contacter. Ils n’étaient pas pressés de vendre, mais savaient qu’ils devaient éventuellement faire « pieuter » l’immeuble et ne voulaient pas s’embarquer dans cette aventure.

La firme Bisson Expert leur avait fourni une estimation des travaux : 28 500 $ plus taxes.

Lorsque Éric et Alain Bélanger signent le contrat de courtage avec la courtière Brigitte Le Pailleur en octobre 2018, le prix de vente est fixé à 995 000 $ puisqu’il y a environ 30 000 $ de travaux à faire.

À peine quelques jours plus tard, alors que la courtière est toujours sous contrat avec les frères Bélanger, elle leur propose d’acheter l’immeuble pour 900 000 $. La courtière n’a pas encore mis en marché le triplex et ne l’a pas encore affiché sur Centris.

Les frères acceptent. Lors des audiences devant le comité de discipline, Éric Bélanger déclare que la courtière voulait acheter le triplex « pour faire travailler son menuisier et non pas pour revendre l’immeuble par étage indivis quelques mois plus tard ».

Finalement, la courtière décide de renégocier le prix à la baisse de 50 000 $. Elle affirme qu’elle doit indemniser les locataires en leur versant 20 000 $ pour qu’ils quittent le logement et que les travaux de « pieutage » qu’elle a fait estimer par une autre firme, Héneault et Gosselin, coûteront 61 166,70 $ taxes incluses au lieu de 28 500 $ plus taxes.

Les frères Bélanger réussissent à s’entendre à 885 000 $.

Au début de l’année 2019, les frères Bélanger réalisent qu’ils se sont fait avoir en recevant par erreur la facture des travaux réalisés finalement par Bisson Expert. Le montant est de 30 900 $ plus taxes (37 881,96 $) plutôt que les 62 000 $ qui avaient servi à faire baisser le prix du triplex.

Mais cette découverte fortuite n’est qu’un début.

Comme le précise la décision du Comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) du 6 mars 2023, Brigitte Le Pailleur remet en vente l’immeuble trois mois plus tard en tant que courtière, le 28 février 2019, mais sous forme de condos. Outre les travaux de redressement de fondation, très peu d’améliorations ont été apportées à chacune des unités avant la remise en vente, selon le témoignage de son adjoint principal Renaud Bourassa, qui travaille au sein de l’agence depuis 2016.

« Éric Bélanger réalisera que l’intimée a vendu chaque étage de l’immeuble en condos indivis, stratégie de vente que l’intimée ne lui a jamais proposé de faire. Il est d’avis, pour reprendre ses propres termes, qu’on s’est fait fourrer », indique le document du tribunal.

« La motivation est évidemment l’appât du gain »

En avril, mai et septembre 2019, les trois condos ont été vendus 420 000 $, 540 000 $ et 470 000 $. La courtière a payé l’immeuble 885 000 $ et l’a revendu en condos pour 1 430 000 $.

La courtière admet, lors des audiences disciplinaires, qu’elle n’a pas payé 20 000 $ pour obtenir le départ des locataires, mais 16 000 $.

La motivation est évidemment l’appât du gain. Elle négocie malhonnêtement la baisse du prix de vente déjà acceptée par les vendeurs sous de faux prétextes.

Extrait de la décision du comité de discipline

« La preuve établit nettement que l’intimée est en conflit d’intérêts du début jusqu’à la fin et qu’il est hors de question que l’intimée leur suggère de se faire représenter par un courtier immobilier. L’intimée ne veut pas non plus que l’immeuble soit diffusé sur Centris », indique le comité de discipline.

Pratique banalisée par de nombreux courtiers

Acheter la propriété d’un client avant même de la mettre en marché comme l’a fait Mme Le Pailleur, et se placer ainsi en conflit d’intérêts, est une façon de faire banalisée par de nombreux courtiers, notamment par une vedette de l’émission Numéro 1 à CASA, David Tardif, suspendu pour les mêmes raisons et qui est cité dans la décision. La pratique est si répandue que les clients de Mme Le Pailleur ne savaient même pas que la courtière enfreignait la Loi sur le courtage immobilier et n’ont pas porté plainte.

L’OACIQ est satisfait de la décision du comité de discipline, car elle incarne réellement la volonté de bien protéger le public, en plus d’envoyer un message dissuasif aux courtiers immobiliers, a souligné MCaroline Champagne, vice-présidente, encadrement, à l’OACIQ, dans un communiqué.

« Quand un client nous donne sa confiance, pour nous, c’est un honneur », soutient Brigitte Le Pailleur dans une vidéo promotionnelle publiée sur YouTube. « Chez Le Pailleur, on est un plus dans une transaction, on enrichit nos clients », conclut la courtière condamnée d’avoir fait le contraire.

Âgée de 71 ans, Brigitte Le Pailleur est remplacée pour l’instant à la tête de l’agence par sa fille. Elle dispose de 30 jours pour faire appel de la décision du comité de discipline.