Les promoteurs immobiliers pris à la gorge par les taux d’intérêt se délestent de plus en plus souvent de projets en cours de réalisation, selon des observateurs du marché montréalais, créant des occasions intéressantes pour des promoteurs « alternatifs ».

C’est notamment le cas de l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), qui vient de racheter un projet prêt à construire du promoteur Mondev dans le sud-ouest de Montréal, plan architectural et permis de construction inclus.

Les condos de luxe prévus cèderont donc le pas à des appartements étudiants.

« Des opportunités comme ça, on n’en voyait pas il y a trois ans », a expliqué le cofondateur Laurent Levesque, en entrevue dans ses bureaux du centre-ville de Montréal. C’est un phénomène qui est récent. Le téléphone sonne. On voit plus de terrains mis en vente. »

Le terrain racheté par l’équipe de M. Levesque est situé rue Saint-Patrick, dans un ancien secteur industriel en redéveloppement. Une limite de six étages a été fixée. « On prévoit pouvoir loger au moins 135 personnes », a-t-il dit. Le métro Charlevoix et la piste cyclable du canal de Lachine se trouvent à proximité.

L’UTILE compte construire un immeuble qui respectera toutes les balises déjà imposées par la Ville de Montréal à Mondev « pour garder le projet simple et ne pas faire de nouvelles demandes d’approbation parce que c’est complexe, c’est long, c’est coûteux ».

Selon M. Levesque, l’organisation est moins exposée que les promoteurs privés aux aléas du marché. « Il y a trois éléments de l’équation qu’on change : notre prix de location est abordable, alors le risque de mise en marché est moins grand […], on est à but non lucratif, donc déjà on peut enlever la part de profit, et on a accès à des subventions », a-t-il expliqué.

« On en voit beaucoup ces temps-ci »

Mondev est loin d’être le seul promoteur à se départir de projets immobiliers dont la préparation est pourtant bien entamée. Les offres foisonnent chez les courtiers immobiliers du Grand Montréal.

Simon Boyer, patron de la firme de courtage Landerz, est spécialisé dans la vente de terrains. Il observe une hausse marquée dans le domaine.

« Il y a plus de ces terrains-là qui sont en vente, a-t-il dit en entrevue téléphonique. On en voit beaucoup ces temps-ci. »

Le contexte économique, avec les taux d’intérêt et les coûts de construction à leur sommet récent, pousse évidemment les entreprises à établir des priorités et à faire une croix sur certains de leurs projets.

Mais il ne faut pas oublier un autre facteur, souligne M. Boyer : les obstacles au développement immobilier (acceptabilité sociale, protection environnementale, etc.) se sont tellement multipliés dans les dernières années que de plus en plus de projets sont scindés. Certaines firmes se spécialisent dans le démarrage de projets, alors que d’autres les exécutent.

« La partie d’approbation des projets – qui nécessite parfois un changement de zonage, des autorisations réglementaires – est de plus en plus longue, difficile et imprévisible, a expliqué M. Boyer. Un développeur immobilier qui a des opérations à garder en route […] va avoir de la difficulté à gérer cette première portion parce qu’il y a une imprévisibilité. »

Tant Laurent Levesque que Simon Boyer mettent toutefois en garde : acheter un projet immobilier prêt à construire n’est pas nécessairement gage de succès commercial. Beaucoup de projets se retrouvent justement sur le marché parce qu’ils n’étaient rentables qu’avec des taux d’intérêt frôlant 0 %.

« Il y a un grand nombre de citrons, on les voit passer », a dit M. Lévesque.

« Ce n’est pas parce que tu as un permis que tu as augmenté la valeur de ton terrain. Il y a des projets mal développés qui vont détruire la valeur du terrain », a expliqué M. Boyer. « J’ai beaucoup d’exemples de projets qu’on refuse de mettre en vente. Les gens espèrent aller récupérer leur coût d’investissement dans les permis, dans l’architecture, mais en réalité, ils ont détruit la valeur. Si un promoteur faisait ce projet-là, il perdrait de l’argent. »