Même si les efforts sont grands pour inverser la tendance, l’argent semble encore plus tabou que le sexe en 2024. Comment demander à l’autre de se mettre à nu – financièrement parlant – sans le choquer ? Voici sept trucs pour parler d’argent dans l’harmonie.

Se gérer comme une entreprise

Certaines entreprises utilisent un système structuré en quatre points avec des outils qui visent l’amélioration des résultats et la rentabilité. Ce système peut se transposer à la gestion de projets d’un couple, affirme la psychologue organisationnelle Josée Blondin, qui vient de publier son nouveau livre, Amour et portefeuille. Quand couple et argent font bon ménage. « Une réflexion stratégique peut vous être utile pour mieux vous structurer et viser à vous enrichir ensemble », explique-t-elle. Voici les grandes lignes du système en quatre points. Premièrement, le couple établit son projet avec un objectif, comme avoir des enfants ou prendre sa retraite d’ici deux ans. Ensuite, il dresse la liste des moyens pour y arriver. Faut-il une pièce supplémentaire pour l’enfant ? Quel est le style de retraite désiré ? A-t-on besoin qu’un conseiller fasse une projection financière ? Deuxièmement, le couple met en place les moyens retenus. Troisième étape, il évalue l’efficacité de ces moyens. Quatrième étape, il apporte des améliorations ou révise l’objectif. Le jeune couple décidera peut-être d’acheter une plus petite maison dans un quartier moins cher, mais près des grands-parents. L’autre couple pourrait choisir de partir à la retraite à six mois d’intervalle afin de s’adapter à cette transition de vie.

Un C.A. de couple à l’agenda

Les conseils d’administration d’entreprise sont obligatoires, c’est mis à l’agenda avec des sujets précis, et on n’a pas le choix de prendre le temps d’en discuter, relate la psychologue organisationnelle. « Le volet de la communication, on ne prend pas le temps de le faire, parce que la vie est mouvementée », observe-t-elle. Josée Blondin suggère de choisir un moment précis, une date, où l’on se rencontre avec un ordre du jour sans être trop formel, précise-t-elle, et où l’on fait le point sur l’état de ses finances et l’on discute des projets individuels et des projets de couple. « On peut même faire un “vision board” sur lequel nos projets sont affichés et observer où l’on est rendu dans l’atteinte de nos objectifs. » Chaque membre du couple revient sur ce qu’il a accompli – comme j’ai organisé les vacances, j’ai fait tels placements... Chacun nomme aussi un ou deux irritants, s’il y en a eu. Profitez-en pour changer vos perceptions négatives de l’autre et célébrer vos petits succès.

Les bons mots à employer

« Les gens ont tous des comportements différents selon ce qui les motive et la manière dont leur cerveau trie les informations qu’ils reçoivent », observe la psychologue organisationnelle, qui explique le concept des métaprogrammes, le fond de nos motivations. Préférez-vous atteindre un objectif ou vous éloigner d’un problème ? Si l’on vous dit : « Inscrivez-vous, sinon vous allez perdre votre place » ou « Inscrivez-vous, parce que vous serez le premier », quelle phrase vous motive le plus ? Et laquelle motive votre conjoint ? Lors de l’achat d’une maison, ceux motivés par l’objectif vont dire : nous réaliserons notre rêve, nous serons propriétaires, nous aurons un nouveau quartier. À l’inverse, ceux motivés par la perte préféreront dire : nous allons quitter le quartier, nous allons changer nos habitudes de vie, nous ne serons plus locataires. Lorsque vous avez déterminé de quel type est votre conjoint ou conjointe, choisissez les bons mots et vous obtiendrez probablement ce que vous voulez. « On ne parle pas de manipulation, assure Josée Blondin. On s’adapte au même langage que l’autre. Si je n’utilise que les bons mots, je vais l’amener dans la bonne direction. »

C’est votre vie (et non celle des autres)

La psychologue organisationnelle raconte qu’un couple de clients planifiait de passer les hivers de sa retraite en Floride, parce que tout le monde autour le faisait. En fait, chacun croyait de son côté que l’autre aspirait à ce type de retraite. Lors d’une thérapie, les deux ont avoué que ce n’était pas leur rêve du tout. Josée Blondin leur a conseillé d’en faire l’expérience au moins une fois pour confirmer leurs croyances. C’est ainsi que le couple a passé un seul hiver et est passé à un autre plan. La même situation peut se produire pour le couple qui croit que d’avoir des enfants nécessite d’avoir une maison en banlieue avec un chien. « Évitez de vous laisser entraîner dans les “il faut que”, parce que tous les autres couples semblent acheter une maison avant tel âge, acheter une grosse auto pour emmener le chien, faire le tour du monde avec les enfants, partent en bateau six mois, conseille la spécialiste. Prenez un pas de recul et demandez-vous : est-ce que ce sont nos rêves, nos envies ? Quels sont nos objectifs pour être heureux ensemble et créer notre propre histoire ? »

L’importance de l’argent de poche

Dans un couple, ça prend des rêves et des projets communs, mais ça prend aussi de l’espace pour s’épanouir personnellement, soutient Pierre-Raphaël Comeau, conseiller principal, planification financière, Valeurs mobilières Banque Laurentienne, cabinet de services financiers. Lorsqu’on prend le revenu familial total, une partie doit être réservée aux dépenses personnelles de chacun. « L’argent en général est connecté directement aux émotions. C’est la manifestation de vos valeurs. Ce que vous dépensez, c’est la manifestation de ce qui est important pour vous. Normalement, la personne avec qui l’on partage sa vie devrait avoir des valeurs fondamentales communes. Cependant, chacun a son idée sur les dépenses qui sont importantes. Il faut être capable de garder un montant d’argent pour ce qui nous motive, pour faire plaisir à son enfant intérieur, sinon, on ne peut pas tenir le coup. » À combien s’élève ce montant pour soi ? Selon l’expert, diviser les dépenses 50-50 ne tient pas compte des disparités de revenus nets et bruts. L’approche la moins pénalisante est de prendre les dépenses communes et de les diviser au prorata des revenus nets. Pour les familles reconstituées, règle générale, chacun paye les dépenses de ses propres enfants. Chacun doit nommer ses attentes.

Faire équipe pour vrai et user d’un arbitre

Au Québec, 43 % des couples sont en union libre, ce qui signifie qu’ils n’ont pas d’alliance financière. « Ça ne semble pas avoir de conséquence, sauf si on fait un bond dans le temps », observe Pierre-Éric Lebel, planificateur financier à la Banque Nationale. Outre la séparation, la retraite est aussi un enjeu, surtout quand on paye les dépenses « 50-50 » sans tenir compte de la capacité d’épargne et des fonds de pension de chacun. « Des couples dans la cinquantaine viennent me consulter et quand l’un des conjoints a mis une grande partie de ses revenus dans les dépenses communes et n’a pas d’épargne pour sa retraite, on doit leur dire que sans contrat de mariage, sans contrat de vie commune, il y en a seulement un des deux qui peut prendre sa retraite. » Pour discuter d’un sujet aussi difficile, Pierre-Éric Lebel recommande d’aller voir le conseiller financier de son institution qui prodiguera des conseils. « Quand on emménage ensemble, déjà, on devrait déterminer combien chacun épargne pour la retraite. Si l’un des deux a un fonds de pension à prestations déterminées et que l’autre n’a rien et ne met pas d’argent dans ses REER, rapidement, l’un aura une plus grande valeur que l’autre. » Comment amener un conjoint à consulter en couple ? Pierre-Éric Lebel propose d’utiliser un projet commun comme une mise de fonds, un voyage, un enfant ou la retraite.

Des défis pour garder le cap

Faire un budget, c’est souvent vu comme étant contraignant et ennuyant. Or, si on planifie un projet de couple ou de famille agréable, comme un voyage, des sorties au restaurant ou rénover la cuisine, on peut changer sa perception de la planification financière, assure Charles Rioux Rousseau, planificateur financier, conseiller développement et qualité de la pratique à l’Institut de planification financière. Tout d’abord, on choisit un objectif commun et on le garde en tête au quotidien. Qu’est-ce qui est plus important pour nous ? Qui nous apporte plus de bonheur par rapport à ce que ça coûte ? Si l’on oublie le fichier Excel, fondamentalement, budgéter et planifier, c’est faire des choix, explique Charles Rioux Rousseau. « On ne peut pas avoir un bateau, un chalet, un horaire chargé d’activités pour les enfants, car il y a des contraintes de temps, cite-t-il en exemple. Il faut faire des choix de temps et d’argent. » La famille veut passer ses vacances à Disney ? La famille préfère manger deux samedis par mois au restaurant ? Chaque membre fera des choix de dépenses quotidiennes avec ce projet en tête. On en limite certaines pour se motiver avec le but. « Pour aller plus loin, on se lance des défis, propose-t-il. Qui peut concocter le meilleur repas pour 10 $ ? Qui peut réussir à organiser une sortie familiale gratuite ? Qui va réussir à s’apporter des lunchs toute la semaine ? »