Suzanne* fait face à un dilemme et à un budget de retraite déficitaire. Pour continuer à voyager, la retraitée de 71 ans pourrait vendre son condo et profiter de son actif net, mais il lui faudrait alors se reloger à fort prix. Dans sa région, « le coût d’une location semblable à [son] condo actuel est entre 1800 $ et 2000 $ par mois », constate-t-elle.

La situation

« Je veux savoir s’il serait avantageux pour moi de réhypothéquer et même d’aller chercher une marge hypothécaire plus importante pour profiter dès maintenant de l’équité qu’il y a sur le condo. »

Suzanne vit seule et ses revenus de retraite se limitent au Régime de rentes du Québec (RRQ), à la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et au Supplément de revenu garanti (SRG), qui totalisent environ 21 200 $.

Ses épargnes se résument aux 70 000 $ de son régime d’épargne-retraite (REER), qui vient d’être transformé en fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). Le retrait minimal obligatoire à 71 ans ajoute quelque 3700 $ à ses revenus.

« Je n’ai pas de CELI [compte d’épargne libre d’impôt] non plus, parce que moi, je ne mets pas de côté, je dépense, lance-t-elle en riant. Je suis à l’âge de la récolte, et non des semences. »

Ses dépenses annuelles s’arrondissent à 40 000 $, y compris le voyage annuel en Europe auquel elle consacre de 7000 à 8000 $ par année — « juste un voyage, mais un beau voyage ! », précise-t-elle.

« Je sais que je n’en ai pas encore pour 10 ans à être capable de faire ce genre de voyage là, physiquement parlant. Mon objectif, c’est d’essayer d’en profiter le plus possible tandis que je suis encore en forme. »

Pour l’atteindre, elle a puisé ces dernières années dans sa marge de crédit hypothécaire, qui culmine maintenant à 66 000 $.

Jusqu’à récemment, elle acceptait de petits mandats de travailleuse autonome.

« J’avais des petits revenus, mais là, je suis entièrement à la retraite, souligne-t-elle. C’est surtout que ça tenait les neurones occupés, parce que je continuais à puiser dans ma marge hypothécaire. »

Outre la marge hypothécaire, son condo, d’une valeur de 400 000 $, est grevé d’une hypothèque de 40 000 $.

Y loger lui coûte environ 800 $ par mois, en incluant les charges de copropriété et l’impôt foncier. Là-dessus, elle consacre 184 $ par mois au remboursement de son prêt hypothécaire (2,69 %) et 304 $ à sa marge de crédit (6,9 %).

Le prêt hypothécaire doit être renouvelé en février prochain, avec une forte hausse de taux à la clé.

Elle ne veut pas puiser outre mesure dans son FERR, en raison de l’impôt sur les retraits et de leur impact sur le SRG. « Si on encaisse des REER, dit-elle, on manque le bateau. »

Or, elle veut prendre l’avion.

« J’ai des enfants qui sont assez à l’aise financièrement, donc je n’ai pas à me soucier de leur laisser un héritage. Et ils ne me demandent pas de le faire non plus. Ils m’encouragent fortement à en profiter ! »

Mais jusqu’à quel point ?

Les chiffres

Suzanne, 71 ans

Revenus

RRQ : 7700 $
PSV : 7486 $
SRG : 6000 $
Retrait FERR : environ 3700 $ (retrait minimal obligatoire à 71 ans)

Dépenses annuelles : 40 000 $ (incluant un voyage de 7000 à 8000 $)

FERR : 70 000 $

Condo

Valeur : 400 000 $
Solde hypothécaire : 40 000 $

Marge hypothécaire : 66 000 $

La réponse

Avec un déficit budgétaire de 15 000 $, il fallait un miracle.

Émile Khayat a tout tenté pour le réaliser.

« C’est une réalité qui touche beaucoup de gens », observe le planificateur financier et directeur régional principal chez Gestion de patrimoine TD. « Beaucoup de retraités rêvent d’un style de vie basé sur le “mérite” et non sur leurs moyens réels. »

Et pourtant, il annonce une surprise : « Elle pourra voyager en Europe chaque année jusqu’à l’âge de 77 ans. »

Moyennant certains compromis et quelques efforts, toutefois.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Émile Khayat, planificateur financier et directeur régional principal chez Gestion de patrimoine TD

« Ça prend deux choses, indique-t-il. Il faut aller chercher l’argent que vaut le condo actuellement et l’utiliser d’une manière intelligente, en l’investissant et en contrôlant ensuite les retraits. Et tout ça, évidemment, ça se planifie, ça se calcule, ça se mesure. »

La méthode la plus simple et la plus efficace de récupérer la valeur nette de la propriété consiste en effet à vendre le condo. Par acquit de conscience, Émile Khayat a toutefois considéré d’autres hypothèses, comme l’hypothèque inversée. « Les programmes tels que CHIP vont jusqu’à 55 % de ratio prêt-valeur et facturent des taux de 8 % à 9 % ainsi que des frais de mise en place d’environ 2000 $, observe-t-il. Ce n’est pas très intéressant pour elle. »

L’avenue d’une augmentation de la marge de crédit hypothécaire mène elle aussi à une impasse.

« Nous aurions rencontré deux problèmes. D’abord, une insuffisance des fonds après cinq ans, car Suzanne devrait retirer entre 15 000 $ et 22 000 $ par année sur cette marge sur laquelle elle doit déjà une certaine somme. Par ailleurs, son endettement total sur le condo est de 106 000 $ et elle ne pourrait pas envisager d’emprunter au-delà de 50 % de la valeur du condo, considérant son niveau de revenus. »

Vente du condo

En vendant immédiatement son condo, Suzanne peut rembourser ses dettes hypothécaires et investir le solde du produit de la vente, à raison de 212 500 $ en placements non enregistrés et 81 500 $ en CELI.

« Pour les placements, j’ai prévu deux séquences », indique Émile Khayat.

Pendant la première décennie, il propose un portefeuille composé à 65 % de revenus fixes et à 35 % d’actions. « J’ai appliqué un taux de rendement de 4,5 % parce qu'en ce moment, on peut avoir du 4,5 % dans du placement garanti. Même sur le long terme, c’est envisageable. »

« Par la suite, j’envisage de baisser ce taux de rendement parce qu’elle pourrait devenir de plus en plus prudente dans ses choix de placements. »

Et dans ses choix de déplacements. Cette baisse correspond justement à l’époque où elle devra réduire ses voyages.

« Les décaissements à la retraite se feraient prioritairement du compte de placement non enregistré ainsi que du retrait minimal du FERR, poursuit-il. Suzanne entamerait les décaissements du CELI à partir de 2031, à 80 ans. »

Au cours des premières années, ces nouveaux revenus entraîneraient cependant une réduction du Supplément de revenu garanti, malgré les réticences de Suzanne. « On n’a pas le choix », souligne-t-il.

Le SRG reviendra à son niveau actuel lorsque le compte de placement non enregistré sera pratiquement épuisé, vers son 79e anniversaire.

Ne pas s’égarer en chemin

L’itinéraire que propose Émile Khayat nécessite tout de même un effort budgétaire conséquent.

À partir de 2023, Suzanne devra maintenir un coût de vie d’environ 46 800 $, voyage et logement inclus.

Le planificateur lui suggère de trouver un logement pour un loyer de 1450 $ à 1500 $, soit de 300 $ à 350 $ de moins que les 1800 $ qu’elle prévoyait. Elle devra encore retrancher 150 $ à 200 $ de ses dépenses mensuelles discrétionnaires, « à gauche, à droite, en révisant certaines dépenses, en faisant le budget qu’elle n’avait peut-être pas pris le temps de faire avant ».

Suzanne s’assurerait ainsi plusieurs années de voyage devant elle, en s’extrayant complètement de l’endettement.

« Et malgré ça, on arrive quand même à faire survivre tous ses fonds, y compris l’impôt à payer et la diminution du Supplément de revenu garanti, jusqu’à ce qu’elle atteigne 94 ans », formule le planificateur.

« Si elle est bien accompagnée, c’est faisable, aucun problème pour ça. »

Accompagnée ? C’est la clé, en effet. Suzanne aura besoin d’un compagnon de voyage financier. Elle aura avantage à consulter régulièrement un planificateur ou un conseiller budgétaire pour l’aider à maintenir une solide discipline et suivre l’itinéraire de cette planification sans s’égarer en chemin.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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