Depuis des années, les placements dans les marchés obligataires sont perçus comme la contrepartie « sécuritaire » des placements boursiers. Or, cette perception a volé en éclats au cours des derniers mois, alors que les deux types d’investissement se sont effondrés simultanément.

Les soudaines hausses des taux d’intérêt des banques centrales afin de juguler la flambée inflationniste ont durement touché le marché des obligations.

« Des rechutes simultanées des valeurs en Bourse et dans les marchés obligataires, c’est du jamais-vu en presque 50 ans dans les marchés financiers », constate Sylvain B. Tremblay, vice-président chez Optimum Gestion de Placements, qui gère 7 milliards de dollars en placements dans les marchés obligataires pour des investisseurs institutionnels.

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Sylvain B. Tremblay, vice-président chez Optimum Gestion de Placements

« En fait, ce que l’on vit actuellement, avec l’inflation qui s’emballe, c’est la fin de 30 années de politique monétaire d’abaissement des taux d’intérêt – une période favorable à la valorisation des marchés obligataires – et un revirement précipité vers une remontée des taux d’intérêt par les banques centrales, ce qui déprime les valeurs dans les marchés obligataires. »

Un indicateur de l’ampleur de la déprime dans les marchés obligataires ?

D’après Sylvain Tremblay, le portefeuille-type de titres obligataires canadiens de durées variées est en baisse de valeur courante d’environ 9 % depuis le début de l’année.

Cette baisse de valeur est encore plus prononcée, autour de 17 %, pour un portefeuille-type d’obligations à long terme (10 ans et plus), toujours plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt par les banques centrales.

En contrepartie, cette baisse de valeur est moindre, autour de 3 %, pour un portefeuille-type de titres obligataires à court et à moyen terme (1-3-5 ans), qui sont moins touchés par les changements de politique de taux d’intérêt des banques centrales.

« Avec la flambée des rendements [des taux d’intérêt] de titres obligataires aux États-Unis sur tout le spectre des durées, du court terme jusqu’au long terme, la déroute des valeurs et l’exode des investisseurs sur les marchés obligataires se poursuivent sans relâche », observe Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative chez Marchés mondiaux Banque Scotia à Montréal, dans un récent avis à ses clients-investisseurs.

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Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative chez Marchés mondiaux Banque Scotia à Montréal

Et pour la suite ? « Les investisseurs en titres obligataires gardent un œil sur les rapports mensuels sur l’inflation aux États-Unis, car ils pourraient infliger davantage de dommages à la valeur marchande des obligations si l’inflation continue d’être élevée », anticipe Hugo Ste-Marie.

Où se réfugier ?

Entre-temps, quels conseils pour les particuliers investisseurs qui ont des placements dans les marchés obligataires ?

Après plusieurs années de rendement faible mais relativement stable dans les marchés obligataires, de nombreux investisseurs moins aguerris pensaient à tort que les placements en obligations pouvaient être aussi fiables que l’argent comptant dans un portefeuille.

Ruben Antoine, gestionnaire de portefeuille à la firme Tulett, Matthews & Associés à Kirkland, en banlieue ouest de Montréal

« En fait, parce que le prix [valeur marchande] des titres obligataires varie de façon inverse à l’évolution des taux d’intérêt, un épisode de remontée des taux par les banques centrales comme ce qui se passe ces temps-ci peut faire baisser la valeur des titres obligataires en même temps que la valeur des actions en Bourse », rappelle Ruben Antoine.

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Ruben Antoine, gestionnaire de portefeuille à la firme Tulett, Matthews & Associés à Kirkland

« Aussi, il faut savoir que l’ampleur des variations de valeur des titres obligataires selon l’évolution des taux d’intérêt dépend beaucoup de leur durée avant échéance. La valeur des titres obligataires à long terme [10 ans et plus] est habituellement beaucoup plus sensible aux variations de taux directeur que les titres obligataires à court ou à moyen terme. »

Par conséquent, souligne Ruben Antoine, « dans un portefeuille équilibré, il faut considérer les placements en titres obligataires ou en fonds obligataires comme les autres valeurs mobilières, dont la valeur marchande à court terme peut varier à la hausse ou à la baisse, quoique de façon habituellement moins accentuée que les actions ».

« C’est pour cette raison que les placements en titres obligataires doivent aussi être gérés et pondérés en fonction du niveau de tolérance au risque de chaque investisseur. »

Tolérance au risque

Ainsi, pour les particuliers ayant très peu de tolérance au risque, et pouvant se priver de l’accès à cette partie de leur capital pour une durée déterminée, les experts consultés par La Presse conseillent de s’en tenir à l’achat d’obligations à échéance fixe vendues par des gouvernements, ou des certificats de dépôt garanti (CPG) émis par des institutions financières.

« Après des années de rendement famélique, sinon nul, les obligations gouvernementales et les CPG à terme fixe [non encaissables avant échéance] redeviennent intéressants avec la remontée des taux d’intérêt par les banques centrales au Canada et aux États-Unis », signale David Paré, conseiller en placements et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion de patrimoine, à Québec.

En contrepartie, à l’égard des particuliers investisseurs ayant un peu plus de tolérance au risque, la rechute des valeurs sur les marchés des titres obligataires peut s’avérer une occasion de rachat à prix déprimé.

« Les investisseurs qui veulent recalibrer la portion à revenu fixe de leur portefeuille tout en conservant une flexibilité d’accès à leur capital peuvent profiter de cet épisode inusité de repli des valeurs dans les marchés obligataires pour acheter des parts de fonds d’obligations », suggère Sylvain B. Tremblay, vice-président chez Optimum Gestion de placements.

Car non seulement ces parts de fonds obligataires offrent maintenant un rendement courant en distribution des revenus d’intérêt à un niveau inégalé depuis de nombreuses années, mais aussi leurs détenteurs auront la possibilité de bonifier leur rendement avec des gains de valeur dès les premiers indices d’une accalmie de l’inflation et d’un plafonnement des taux d’intérêt par les banques centrales aux États-Unis et au Canada.

Une rare dégringolade simultanée des valeurs dans les marchés obligataire et boursier…

- 13 % : rendement négatif en valeur de l’indice du marché obligataire au Canada (FTSE Canada Universe Bond Index) depuis le début de l’année (au 22 juin 2022)

- 10,9 % : rendement négatif en valeur de l’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto depuis le début de l’année (au 22 juin 2022)

... et des rendements courants en intérêts ou en dividendes qui se rapprochent, après des années de grand écart favorable aux actions.

2,9 % : rendement courant en intérêts/distributions du fonds négocié en Bourse (XBB) de l’indice global du marché obligataire au Canada (fonds iShares FTSE Canada Universe Bond Index, au 22 juin 2022)

3,4 % : rendement courant en dividendes de l’indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto (au 22 juin 2022)