Combien en coûte-t-il pour créer son entreprise et la mettre sur les rails ? Moins qu’on pourrait le croire, si le projet est bien ficelé. Ce qui n’empêche pas les surprises…

Les frais qui précèdent le pain frais

GRAPHISME ANDRÉ RIVEST, LA PRESSE

Quand Delphine Messier, Karelle Canuel-Dubé et Marie-Ève Pinsonneault ont voulu fonder leur boulangerie-pâtisserie semi-artisanale, elles savaient qu’elles avaient du pain sur la planche.

Pour le pain, les trois jeunes femmes s’y connaissaient. C’est la planche qui les a surprises.

« Le prix du bois qu’on prévoyait mettre dans notre boutique a doublé », confie Karelle Canuel-Dubé.

Car entre le plan d’affaires et l’ouverture de Crème boulangerie-pâtisserie, en mai 2021, la COVID-19 avait frappé, bouleversant de nombreuses prévisions budgétaires pourtant soigneuses.

« Si je peux donner un conseil à un éventuel entrepreneur, c’est d’abord de bien budgéter, faire beaucoup d’appels, demander beaucoup de soumissions, avise Karelle Canuel-Dubé. Et prévoir une somme qui va servir de tampon pour les imprévus. C’est important d’en prévoir une, parce qu’on l’a utilisée. »

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Karelle Canuel-Dubé, Delphine Messier et Marie-Ève Pinsonneault ont ouvert Crème boulangerie-pâtisserie en mai 2021.

Bien préparées

Elles s’étaient pourtant bien préparées.

D’abord, elles connaissaient le domaine, ce qui facilite les projections.

Delphine Messier, archiviste de formation, confectionnait des gâteaux sur mesure quand elle a été contactée par le président de Brasseurs du monde, Gilles Dubé, pour préparer des produits fins à base de bière pour son entreprise.

L’initiative s’est élargie en boulangerie-pâtisserie, projet dans lequel elle a été rejointe par la fille de Gilles Dubé, Karelle Canuel-Dubé, et l’amie de celle-ci, Marie-Ève Pinsonneault, toutes deux formées en pâtisserie à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Karelle Canuel-Dubé, Delphine Messier
et Marie-Ève Pinsonneault ont signé une convention d’actionnaires pour mettre les choses au clair.

« On s’est basées sur nos expériences personnelles, décrit Karelle. Marie-Ève travaillait dans une boulangerie, donc on s’est fiées sur ce qu’elle voyait sortir en matière de quantité de pain. Moi, c’était la même chose dans une chocolaterie. »

Elles ont d’abord signé une convention d’actionnaires.

Pour nous, étant donné qu’on était trois associées, c’était des frais incontournables. Il était certain qu’on allait mettre sur papier nos ententes, nos investissements personnels, nos actions.

Karelle Canuel-Dubé

Aux fins de leur plan d’affaires, les trois associées avaient demandé des soumissions pour la création de leur image de marque.

« C’est quand même une grosse somme à prévoir. Pour avoir demandé plusieurs soumissions, on peut parler de 10 000 $. »

Des amies graphistes les ont aidées à créer leur logo à prix raisonnable.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Marie-Ève Pinsonneault et Karelle Canuel-Dubé ont multiplié
les soumissions, sondant le terrain tant du côté des revendeurs que des appareils neufs.

Des soumissions, encore des soumissions

Les trois associées ont repéré un local dans le quartier industriel de Saint-Hyacinthe.

« Il y avait les planchers et les murs, et c’était tout », décrit Karelle Canuel-Dubé.

Elles y ont installé une chambre froide et une chambre de congélation, un four à sole, deux fours à convection, deux mélangeurs, un lave-vaisselle, un laminoir pour les croissants, des tables de travail...

« On a fait passer l’eau, l’électricité, la ventilation. Il a fallu penser à tout ça. »

La section boutique de leur commerce comprend un comptoir et une étagère à pains – « tout est très sobre, le strict minimum. On n’a pas de décoration farfelue ».

À peine un peu de bois...

Pour évaluer les coûts, elles ont multiplié les soumissions, sondant le terrain tant du côté des revendeurs que des appareils neufs.

« Et à partir de ça, on a su combien on devait aller emprunter à la banque. »

Le projet, en incluant l’aménagement, l’équipement et son installation, a avoisiné 200 000 $. « Et beaucoup d’heures », ajoute Karelle Canuel-Dubé.

Normalement, l’apport personnel oscille entre 20 et 25 %. « Ça tourne autour de ça », confirme-t-elle avec discrétion.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, COLLABORATION SPÉCIALE

Quelques produits de Crème boulangerie-pâtisserie

De l’aide

« Il ne faut pas hésiter à se mettre un budget pour s’entourer de gens qui vont venir nous aider quand même assez rapidement, parce que ça influence beaucoup notre capacité de travailler et de durer », recommande encore l’entrepreneure.

Les trois associées ont engagé leur première employée l’automne dernier.

Ça faisait partie des prévisions qu’il fallait faire : est-ce qu’on engage quelqu’un ? Quand ? On l’avait mis dans le budget, avec les charges salaires, les vacances, les jours de maladie. On l’a devancé un petit peu.

Karelle Canuel-Dubé

Car en dépit d’une légère baisse de la fréquentation de la boutique, après les mesures sanitaires annoncées le 30 décembre, les affaires vont bien... et même mieux que prévu.

« On veut mettre en branle de nouveaux projets, comme notre site internet, qu’on n’a pas encore eu le temps de faire, pour que les gens puissent acheter en ligne et faire préparer des paniers. »

Encore du pain sur la planche.

Les démarches à suivre

« Ça ne coûte rien », lance d’entrée de jeu – et pour faire controverse – le directeur du campus montréalais de l’École des entrepreneurs du Québec, Jean-Benoit Aubé.

« Au Québec, si tu fais affaire sous ton nom personnel, ça ne coûte rien. Tu es travailleur autonome. Les revenus que vont générer tes contrats vont être entrés sur ta déclaration fiscale à la fin de l’année. On n’a pas besoin de permis, on n’a besoin de rien. »

Le minimum : l’immatriculation

« Si, par contre, vous voulez travailler sous un autre nom que le vôtre, le minimum est d’aller chercher une immatriculation », poursuit-il.

Au Québec, l’immatriculation d’une entreprise à propriétaire unique coûte 37 $ au tarif ordinaire et 55,50 $ au tarif prioritaire.

Incorporation

Pour créer une entité juridique distincte de sa personne, il faudra entreprendre une démarche d’incorporation.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Jean-Benoit Aubé, directeur du campus montréalais de l’École des entrepreneurs du Québec

« Là, les frais sont plus élevés, soulève Jean-Benoit Aubé. C’est en moyenne 1500 $ que ça va vous coûter. »

Au total

L’ensemble des frais qui entourent la création de l’entreprise peuvent avoisiner 5000 $, estime Michel Auger, directeur général de SAJE Montréal, organisme voué au démarrage d’entreprise.

« C’est avant même d’ouvrir ses portes, précise-t-il. On parle de l’incorporation, des licences, des permis, etc. »

Tous ces frais sont réunis dans le budget de caisse initial de départ, dit-il.

Du cas par cas

C’est ensuite que les choses se corsent.

« C’est vraiment du cas par cas, parce que ça dépend du projet », formule Michel Auger.

Ce sont le plan d’affaires et les prévisions budgétaires, spécifiques à chaque entreprise, qui vont approximer les coûts – les préciser serait présomptueux.

Mais voici tout de même quelques indices.

Le local

Faudra-t-il un local ? Pour accueillir le personnel ou les clients ? La décoration doit-elle être soignée ?

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Michel Auger, directeur général de SAJE Montréal

Avec la pandémie, les locaux sont peut-être un peu plus disponibles, mais avant, il y avait une rareté de locaux à Montréal.

Michel Auger, directeur général de SAJE Montréal

« Tu pouvais difficilement signer un bail de moins de trois ans. À 2000 $ par mois, c’est un engagement de 72 000 $. »

Outre cet engagement, il faudra prévoir selon le cas les améliorations locatives, la décoration et le mobilier fixe, la plupart du temps aux frais du locataire.

« Quand tu appelles un électricien, la facture monte vite », note Michel Auger, confirmant l’expérience de Karelle Canuel-Dubé et de ses deux associées (voir onglet 2).

Commerce de détail

Selon le type d’activité, les prévisions budgétaires initiales devront prévoir les matières premières ou les stocks de départ.

« Si c’est un commerce de détail, ça va prendre au moins 20 000 $ de liquidités pour partir, évalue Michel Auger. Tes stocks, ton site web, un peu de communication... Il y a beaucoup de travail à faire avant même que tu aies fait ta première vente. »

Logo et image de marque

Sans doute faudra-t-il une image de marque. « Un logo coûte de 1000 $ à 2000 $, selon qui tu vas voir », annonce Jean-Benoit Aubé. C’est un minimum. Les soumissions demandées par Karelle Canuel-Dubé pour Crème Boulangerie pâtisserie (voir onglet 2) avoisinaient toutes 10 000 $.

Les employés

Sera-t-il nécessaire d’engager des employés ? Si c’est le cas, il faudra prévoir les charges sociales, qui s’ajoutent au salaire : contribution de l’employeur au Régime québécois d’assurance parentale et au Régime des rentes du Québec, vacances, autres avantages sociaux consentis, telle une participation à un régime de retraite...

« On y va à peu près à 15 % du salaire, peut-être 18 %, énonce Michel Auger. Si tu paies ton employé 20 $ l’heure, attends-toi que ça va t’en coûter 23 $. »

Viser le minimum

« Cherche le minimum », chantait l’ours Baloo dans le dessin animé Le livre de la jungle, de Disney.

C’est aussi ce que recommande Jean-Benoit Aubé aux jeunes qui entrent dans la jungle de l’entrepreneuriat.

« On va se demander quel est le minimum que je peux faire pour commencer à vendre, pour tester mon marché, pour me mettre en action le plus rapidement possible. Car c’est quand on va être en action qu’on va voir les vrais besoins ou les vraies problématiques de nos clients potentiels, et c’est là qu’on peut bâtir une entreprise solide. »

Certains veulent bâtir dès le départ le site web transactionnel le plus détaillé et performant.

« Nous, on leur dit : “Quel est le site le plus petit que tu peux construire pour commencer tes ventes ?” Ils appellent ça le MVP : le minimum viable product. »

Du sociofinancement ?

Cette preuve faite, il est plus facile d’aller chercher du financement.

Bien entendu, nous sommes ici devant le proverbial dilemme de l’œuf et la poule : il est plus facile d’obtenir du financement si on a fait ses preuves, mais il faut souvent du financement pour faire cette démonstration.

« Quelquefois, il y en a qui vont vendre avant même d’avoir construit, observe Jean-Benoit Aubé. Ils vont d’abord vendre l’idée et ensuite, ils vont financer l’idée pour la concrétiser. »

C’est le principe du sociofinancement – « un excellent exemple pour vérifier que tu as quelque chose d’intéressant entre les mains », dit-il.

« Mais il ne faut pas négliger l’investissement que ça demande. Ce n’est pas magique. »

Certains recommandent de recueillir un tiers de l’objectif financier avant de lancer la campagne, afin de lui donner de l’allant et de la crédibilité dès le premier jour.

Le financement

Combien en coûte-t-il en moyenne pour lancer son entreprise ? Une façon de l’estimer est de connaître le financement moyen des entreprises débutantes.

« Le financement moyen au cours des 18 derniers mois, pour une entreprise en démarrage, va tourner aux alentours de 100 000 $ à 200 000 $ », informe Julien Canieau, directeur du Centre d’entrepreneurship Rive-Nord de la Banque de développement du Canada (BDC).

« Ça dépend énormément du modèle d’affaires. Mais si on parle d’entreprises de services ou de commerce de détail, elles vont souvent venir nous voir avec une première ronde de financement traditionnel qui va tourner aux alentours de 150 000 $. »

Le coût réel immédiat pour l’entrepreneur sera son apport personnel.

« Il n’y a pas de chiffres exacts, mais en termes de proportion, quand on a 25 % d’apport personnel, souvent la banque ou les instances gouvernementales vont pouvoir fournir les 75 % manquants », constate Julien Canieau.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Julien Canieau, directeur du Centre d’entrepreneurship Rive-Nord de la Banque de développement du Canada

Par exemple, si l’entrepreneur a besoin de 100 000 $, s’il met 20 000 $ ou 25 000 $ de sa poche, habituellement, avec un bon plan d’affaires et une bonne idée, il n’aura pas trop de difficulté à aller chercher les 75 000 $ ou 80 000 $ restants.

Julien Canieau, directeur du Centre d’entrepreneurship Rive-Nord de la Banque de développement du Canada

Avec certains organismes spécialisés, l’apport sera inférieur, voire négligeable.

« Quelquefois, ce sera 5 %, une somme plutôt symbolique, informe Michel Auger. Et il y en a d’autres pour qui ce n’est pas nécessaire. Ce sont des institutions à mission plus sociale. »

Elles encouragent par exemple l’entrepreneuriat issu des minorités ou à vocation communautaire.

Prendre soin de sa cote de crédit

C’est un élément qui ne coûte pas cher, mais qui est indispensable : un bon dossier de crédit. Les futurs entrepreneurs devront en prendre soin.

« Si leur cote de crédit n’est pas bonne, ils viennent peut-être de tout faire ce travail en amont pour rien, constate Michel Auger. Ils ont peut-être un beau plan d’affaires, de belles prévisions financières, mais s’ils ne passent pas au crédit, il n’y a rien qui marche. »

Viser court

Viser le minimum ne suffit pas : il faut viser court.

« C’est ce qu’on dit aux entrepreneurs, formule Julien Canieau. Ils arrivent avec de belles projections sur trois à cinq ans, mais on essaie d’être dans le plus court terme : montre-nous les 12 ou 18 prochains mois. De toute manière, après la première année, il y a plein de trucs qui vont avoir changé, plein de dépenses qui vont s’être ajoutées. »

Un plan de contingence

Les plans d’affaires des nouveaux entrepreneurs comprennent les principaux paramètres chiffrés.

« On ajoute souvent quelque chose qu’ils oublient : un pourcentage de contingence », informe Julien Canieau. Souvent les entrepreneurs vont avoir des lunettes roses quant à leurs coûts et aux entrées de fonds à la suite de la vente de leur produit ou de leur service. »

Il recommande de prévoir au budget... un dépassement budgétaire.

« Si on prévoit un budget de 100 000 $ pour subvenir aux dépenses de la première année, ça va souvent tourner aux alentours de 120 000 $. Il n’y a pas de pourcentage exact, mais inévitablement, il va y avoir des dépassements de coûts », ajoute Julien Canieau.

Quelques outils

GRAPHISME ANDRÉ RIVEST, LA PRESSE

Voici quelques outils pour donner un coup de main aux entrepreneurs en devenir

Une application pour les prévisions

Les frais et les coûts dépendent du projet entrepreneurial. Pour penser à tous les aspects et ne négliger aucun détail, il sera opportun d’utiliser une application spécialisée.

« On a un logiciel gratuit qui s’appelle Previsio, pour aider les entrepreneurs à bâtir leurs prévisions financières », informe Jean-Benoit Aubé, de l’École des entrepreneurs.

Consultez le site de Previsio

Une feuille de calcul pour les frais de démarrage

Dans le même esprit, l’organisme Pro-Gestion Estrie, voué à l’accompagnement des entrepreneurs, propose sur sa page Zone entrepreneur une feuille de calcul pour estimer les frais de démarrage d’une entreprise.

Consultez la feuille de calcul de Pro-Gestion Estrie

Un modèle d’affaires

L’École des entrepreneurs fait appel au Business Model Canvas (BMC) dans ses méthodes d’apprentissage.

« C’est un outil qui est vraiment intéressant, informe Jean-Benoit Aubé. C’est un canevas divisé en neuf blocs qui représentent les grandes composantes d’une entreprise. Très rapidement, tu es capable de voir la globalité de ton entreprise pour la structurer. »

Cet outil est repris sous la forme de Mon modèle d’affaires sur le site de la Banque Nationale.

« Elle a fait d’excellentes vidéos pour expliquer ce qu’est ce modèle », ajoute Jean-Benoit Aubé.

Consultez Mon modèle d’affaires sur le site de la Banque Nationale

Les grandes étapes

La Banque de développement du Canada (BDC) décrit ici les grandes étapes du lancement d’une entreprise.

Consultez le site de la BDC

Des programmes de formation

« Il est intéressant que les futurs entrepreneurs suivent un programme de formation – pas juste le nôtre, il y en a plusieurs autres au Québec », avise Michel Auger, directeur général du SAJE Montréal.

Consultez le site du SAJE Montréal