La flambée des prix de l’immobilier est en train de transformer le rêve d’accéder à la propriété en une inaccessible étoile pour les 40 ans et moins. Quelles solutions pour éviter que cet enjeu ne devienne une fracture générationnelle ?

« Je ne vois pas comment je vais y arriver »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Mélanie Carignan, résidante de Verdun, rêve à la propriété.

Avec la pénurie de main-d’œuvre et un taux de chômage à la baisse, les candidats à la propriété gagnent souvent de bons salaires, ce qui ne les empêche pas d’être incapables d’amasser la mise de fonds requise pour l’achat d’une première propriété. La cause étant que la hausse des prix de l’immobilier – 20 % au cours des 12 derniers mois – excède le rythme d’accroissement des économies.

Mélanie Carignan, de Verdun, rêve de devenir propriétaire. Victime de deux évictions, la locataire ne veut plus revivre pareille situation. Elle ne se fait plus d’illusions. « J’ai un poste de chef d’équipe dans la fonction publique provinciale. C’est quand même bien, souligne-t-elle. Même si j’étais gestionnaire dans la fonction publique, je pense que je serais incapable d’acheter un condo à Montréal. »

Selon l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ), le prix médian d’un condo est de 435 000 $ dans le secteur sud-ouest de l’île de Montréal.

Son revenu annuel de 60 000 $ la qualifie, selon son courtier hypothécaire, pour une propriété de 325 000 $ en intégrant à son revenu les allocations familiales qui se termineront dans cinq ans. Mère seule de deux préadolescents, elle cherche un logement de trois chambres. Devinez quoi ? Elle cherche encore.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le prix médian d’un condo est de 435 000 $ dans le sud-ouest de l’île de Montréal, comme ici à Verdun.

« Je ne vois pas comment je vais y arriver, dit-elle en soupirant. Je n’ai pas de mise de fonds. À la limite, je pourrais aller me chercher 20 000 $ comme mise de fonds, mais c’est loin de ce qui est demandé [pour le logement qu’elle recherche]. » Elle croise les doigts pour pouvoir garder son logement, un rez-de-chaussée de duplex avec stationnement et jardin à l’arrière. Le logement est situé à quelques minutes de marche de son travail.

Autre cas d’espèce, Mathieu gagne 100 000 $ par année. En raison des renseignements personnels qu’il révèle dans le cadre de cet article, il préfère taire son nom de famille. Victime d’une « rénoviction » pendant la pandémie, Mathieu est retourné vivre chez ses parents à Longueuil avec l’objectif de finir d’amasser sa mise de fonds au plus vite. La hausse des prix le décourage.

J’ai 35 ans et ça fait 10 ans que j’accumule de l’argent et que je ne réussis pas à suivre le rythme d’inflation des maisons. Il faut attendre quoi ? Que nos jeunes rendus à 45 ans achètent la maison de papa et maman qui sont décédés ?

Mathieu, employé en informatique

Les problèmes d’accessibilité ne se limitent pas à la région montréalaise. Marc-Olivier, 26 ans, zieute les duplex du quartier Limoilou, à Québec. Sa copine et lui sont locataires d’un rez-de-chaussée de plex. Le revenu du ménage s’élève à 85 000 $ par an. En raison du poste qu’il occupe, son employeur préfère qu’on l’identifie par son prénom seulement. Marc-Olivier souhaiterait devenir propriétaire avant que la construction du tramway ne fasse grimper les prix. Les plex qui l’intéressent se vendent actuellement entre 375 000 $ et 500 000 $. La mise de fonds pose problème. « Les vendeurs exigent souvent 20 % comme mise de fonds comme condition à la vente », déplore-t-il. Le jeune couple n’a pas les 100 000 $ en banque ni en REER.

Une génération sacrifiée

« Pour un budget normal d’une personne seule qui gagne bien sa vie, une maison qui a un minimum d’allure en ville est inabordable », écrit Jean dans un courriel. Le célibataire a accepté que l’on reprenne son commentaire à la condition d’utiliser son second prénom.

Je trouve qu’il s’agit d’une injustice générationnelle et que les gouvernements ont été inertes et complaisants envers un marché qui crachait au visage de ma génération. Le ressentiment est très grand, comme vous pouvez le voir.

Jean

Économiste à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Paul Cardinal y voit lui aussi un enjeu générationnel.

« Actuellement, la grosse préoccupation est celle-ci : la génération qui est à l’âge d’acheter une propriété et les autres jeunes qui s’en viennent seront-ils capables de devenir propriétaires comme leurs parents l’ont été ? C’est devenu beaucoup plus difficile de devenir propriétaire aujourd’hui », soutient M. Cardinal.

M. Cardinal suggère l’allongement de l’amortissement pour les prêts non assurés – une suggestion que reprend le Nouveau Parti démocratique dans son programme électoral –, l’assouplissement du test de résistance et des modifications au régime d’accession à la propriété (RAP) pour permettre aux parents de « rapper » leur REER au bénéfice de leurs enfants.

Il faut construire plus de logements

De son côté, l’APCIQ participera à la consultation publique du ministère des Finances du Québec, indique son responsable des communications, Patrice St-Amour.

Le Ministère se demande si les pratiques actuelles de l’industrie du courtage entourant les surenchères exacerbent la surchauffe immobilière. « C’est un bon moment pour parler des dossiers, mettre à niveau certaines réalités et présenter des analyses », indique M. St-Amour.

Dans l’immédiat, l’APCIQ souhaite que les partis politiques fédéraux proposent des mesures pour stimuler l’offre en vue de rééquilibrer le marché. « L’introduction de mesures favorables aux acheteurs va simplement accroître la demande, ce qui réduira une offre déjà trop faible et poussera les prix à la hausse », a-t-elle réagi à l’annonce des engagements du Parti libéral du Canada.

Au sujet de l’offre de logements, Paul Cardinal propose de réduire les charges publiques d’aménagement qui se sont multipliées dans les dernières années (redevances pour le logement social, pour les parcs, pour le Réseau express métropolitain). Il suggère de bonifier le rabais sur les taxes de vente à l’achat d’un logement neuf, en particulier si le logement en question se qualifie comme étant abordable.

« Il y a un déficit de construction de logements que l’on traîne au Canada et au Québec depuis quelques années, avance M. Cardinal. Les autorités l’ont toujours traité comme quelque chose de conjoncturel en raison des bas taux d’intérêt. Plusieurs analystes disent que le déficit d’habitations est devenu structurel. »

Quelques points au sujet de l’accès à la propriété

  • L’APCHQ, qui représente les constructeurs de maisons, évalue qu’il manque de 40 000 à 60 000 logements au Québec pour rétablir l’équilibre dans le marché.
  • Quand les baby-boomers étaient à l’âge de se procurer une première maison, ils mettaient 5 ans à amasser une mise de fonds équivalant à 20 % de la valeur de la propriété convoitée ; aujourd’hui, les jeunes adultes doivent travailler pendant 14 ans à temps plein, selon la firme Abacus.
  • Parmi les premiers acheteurs qui sont passés chez le notaire de septembre 2015 à septembre 2020, 24 % avaient reçu un don de leur entourage et 11 % avaient bénéficié d’un prêt de leur entourage (les deux catégories ne sont pas mutuellement exclusives) pour constituer leur mise de fonds, selon le dernier sondage sur les intentions d’achat et de vente de l’APCHQ.
  • L’imposition d’un test de résistance a contribué à diminuer le nombre de reventes de logements de 40 000 en rythme annuel, entre le quatrième trimestre 2017 et celui de 2018, selon les économistes de la Banque TD, dans un rapport publié le 30 avril 2019. (Le test est plus exigeant depuis le 1er juin dernier. Le taux servant à rendre admissible un acheteur potentiel est devenu le plus élevé des taux suivants : 5,25 % ou le taux proposé par le prêteur + 2 points de pourcentage.)

Les solutions des partis

Retour du régime enregistré d’épargne-logement, assouplissement du test de résistance et allongement de la période d’amortissement des prêts assurés : les partis fédéraux ont bien senti l’importance de l’enjeu du logement chez les moins de 40 ans. Aperçu de leurs principaux engagements.

Parti libéral du Canada

PHOTO JENNIFER GAUTHIER, REUTERS

Le chef du Parti libéral, Justin Trudeau

  1. Créer un régime enregistré d’épargne-logement pour les Canadiens de moins de 40 ans jusqu’à 40 000 $ : cotisation déductible du revenu et retrait à la fois non imposable et non remboursable à l’achat d’une première habitation.
  2. Assouplir l’Incitatif à l’achat d’une première propriété (IAPP) de sorte que les emprunteurs n’aient pas à payer de mensualités, mais ne rembourseront leur prêt servant de mise de fonds qu’au moment de la vente.
  3. Doubler le crédit d’impôt pour l’achat d’une première habitation, qui passera à 1500 $.
  4. Réduire les frais mensuels d’assurance prêt hypothécaire prélevés par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) auprès des nouveaux acheteurs de 25 %.
  5. Injecter 1 milliard en prêts et subventions pour élaborer des projets de location avec option d’achat avec des partenaires.
  6. Injecter 4 milliards dans un Fonds pour accélérer les logements qui permettra d’augmenter l’offre annuelle de logements dans le but de bâtir 100 000 nouveaux logements destinés à la classe moyenne d’ici 2024-2025.
  7. Augmenter de manière permanente le financement au Fonds national de co-investissement pour le logement (FNCIL), de 2,7 milliards de dollars en quatre ans.
  8. Mettre en vigueur une Charte des droits des acheteurs d’une propriété.
  9. Interdire l’achat d’immeubles par des étrangers pendant deux ans et imposer une taxe sur les immeubles vacants détenus par des étrangers.
  10. Interdire la revente rapide d’un immeuble dans les 12 mois suivant l’achat.

Parti conservateur du Canada

PHOTO CARLOS OSORIO, REUTERS

Le chef du Parti conservateur, Erin O'Toole

  1. Construire un million d’habitations au cours des trois prochaines années.
  2. Revoir le portefeuille immobilier du gouvernement fédéral pour en libérer au moins 15 % pour le logement.
  3. Encourager les Canadiens à investir dans les logements locatifs en élargissant la capacité de reporter l’impôt sur les gains en capital quand ils vendent une propriété locative et réinvestissent dans des logements locatifs, ce qui est exclu actuellement.
  4. Envisager la possibilité de convertir des bureaux non utilisés en logements.
  5. Interdire aux investisseurs étrangers l’achat de biens immobiliers pendant deux ans.
  6. Encourager un nouveau marché d’hypothèques de 7 à 10 ans.
  7. Éliminer l’exigence des tests de résistance hypothécaire quand un propriétaire renouvelle une hypothèque avec un autre prêteur, et non pas seulement quand il reste avec le même prêteur, comme c’est le cas actuellement.
  8. Corriger le test de résistance hypothécaire pour mettre fin à la discrimination envers les propriétaires de petites entreprises, les entrepreneurs et les employés non permanents, ce qui comprend les travailleurs occasionnels.

Nouveau parti démocratique

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le chef du NPD, Jagmeet Singh

  1. Rallonger la période d’amortissement à 30 ans pour les prêts assurés.
  2. Taxer de 20 % les achats immobiliers par des étrangers.
  3. Doubler le crédit d’impôt à l’achat d’une première maison à 1500 $.
  4. Construire 500 000 logements abordables en 10 ans, y compris des habitations à loyer modique, ce que le fédéral ne finance plus depuis 1994.
  5. Instaurer une exonération de TPS sur les logements sociaux et logements neufs abordables.

Bloc québécois

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet

  1. Consacrer jusqu’à 1 % des revenus annuels totaux du fédéral dans le logement social, communautaire et abordable.
  2. Affecter les propriétés excédentaires fédérales (comme le bassin Wellington, à Montréal) prioritairement au développement de logement social, communautaire et abordable.
  3. Imposer une taxe sur la spéculation immobilière afin de contrer la hausse artificielle des marchés.
  4. Réaménager les fonds de la Stratégie nationale sur le logement pour créer un fonds de logements du marché privé par des OBNL dédiés au logement social et abordable.