S’installer sous le soleil des tropiques pour travailler à distance – les pieds dans le sable – tout en réduisant son taux d’imposition. C’est un rêve que bien des travailleurs autonomes ont depuis le début de la pandémie alors qu’ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient travailler de n’importe où, tant que la connexion internet y était robuste. Mais est-ce réaliste ?

La situation

Consultante informatique en finance, Sylvie* gagne un revenu annuel brut d’environ 300 000 $. Cette célibataire de 50 ans n’a aucun enfant à charge. Pour réduire sa facture fiscale, elle a maximisé son REER et elle vient de s’incorporer pour pouvoir se verser des dividendes comme revenus. Pour 2021, elle prévoit se verser ainsi 40 000 $. Elle envisage de prendre sa retraite à 60 ans tout en continuant de prendre quelques mandats pour travailler à temps partiel. Elle se demande maintenant si elle pourrait s’installer dans un pays comme le Panamá ou les Bermudes pour avoir un taux d’imposition moins élevé. Ou encore, travailler à partir d’une autre province canadienne. Comme ses clients sont dans le marché nord-américain, elle souhaite rester dans un fuseau horaire pas trop éloigné de celui du Québec.

Étant donné que je ne suis pas vraiment favorisée fiscalement au Québec, quelles sont les meilleures options pour moi ?

Sylvie

Les chiffres

Revenu annuel brut : 300 000 $

REER : 359 000 $

Compte de retraite immobilisé (CRI) : 36 000 $

Propriété : un condo d’une valeur d’environ 400 000 $, dont la moitié est payée

Voiture : terminée de payer

Revenus de sources étrangères

Lorsque quelqu’un décide de s’installer à l’étranger, la grande décision à prendre est de couper ses liens, ou non, avec le Canada. Par exemple, les snowbirds vont généralement calculer avec attention les jours qu’ils passent à l’extérieur de la province (maximum 182 jours) pour s’assurer d’être toujours admissibles à l’assurance maladie du Québec.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Mathieu Guilbault, planificateur financier et fiscaliste chez Altitude Conseils financiers

« Oui, on paie de l’impôt au Québec, mais on a des services qui viennent avec cela en santé, en éducation et on a la sécurité », affirme Mathieu Guilbault, planificateur financier et fiscaliste chez Altitude Conseils financiers.

Ainsi, il indique que si Sylvie souhaite garder ses avantages de résidente canadienne, elle devra continuer à payer son impôt au pays sur ses revenus canadiens et sur l’ensemble de ses revenus mondiaux.

Partir pour de bon ?

Pour que Sylvie puisse profiter du taux d’imposition avantageux de son pays d’adoption, il faudrait qu’elle cesse d’être résidente canadienne. Et cela n’est pas si simple. Par exemple, Mathieu Guilbault indique que la perte de la résidence canadienne n’est pas automatique lorsqu’on devient résident d’un autre pays.

« Pour déterminer si une personne n’est plus considérée comme résidente du Canada, il faut regarder plusieurs faits et les considérer dans leur ensemble, explique-t-il. Il faudrait entre autres s’assurer que Sylvie rompe ses liens importants et secondaires avec le Canada, comme sa propriété, son permis de conduire, son compte bancaire, sa carte de crédit, etc. »

De plus, il faudrait s’assurer que le pays d’accueil détienne une convention fiscale avec le Canada, afin d’éviter une double imposition.

« Il faut aussi savoir que plusieurs pays ont des droits successoraux, alors qu’il n’y en a pas au Québec, ajoute M. Guilbault. Cela signifie qu’il faut payer de l’impôt sur la valeur des biens qu’on possède dans ce pays à sa mort. »

Au moment de quitter le Canada, Sylvie devrait aussi payer un impôt de départ ; elle serait réputée avoir disposé de l’ensemble de ses biens à leur juste valeur marchande. Elle devrait également tenir compte de certaines particularités pour le REER, le CELI, le RAP, le Régime de rentes du Québec et la pension de la Sécurité de la vieillesse, notamment.

Sylvie devrait aussi décider ce qu’elle ferait de sa société par actions : la fermer, ou continuer de l’exploiter de l’étranger et être imposée comme une non-résidente sur ses futurs dividendes.

« Le Canada possède des règles spécifiques aux non-résidents étant donné qu’ils doivent payer leurs impôts sur leurs revenus canadiens, affirme Mathieu Guilbault. Notamment, les autorités prévoient des retenues à la source sur les revenus canadiens pour les non-résidents. »

De plus, la société par actions perdrait certains avantages fiscaux, comme la déduction pour petite entreprise et l’exonération de gain en capital étant donné que l’entreprise ne serait plus considérée comme une société privée sous contrôle canadien.

Une rencontre avec un fiscaliste spécialisé est fortement suggérée pour évaluer les répercussions fiscales d’un éventuel départ. Mais, c’est certain qu’il ne serait pas sensé de se lancer dans un projet d’une telle complexité pour payer moins d’impôts pendant quelques années. Pour aller de l’avant, il faut avoir une réelle envie de vivre à l’étranger.

Mathieu Guilbault, planificateur financier et fiscaliste chez Altitude Conseils financiers

S’installer dans une autre province, comme l’Alberta ou le Yukon, qui ont un taux d’imposition plus faible que celui du Québec pour les hauts salariés, serait plus simple. « Mais, il faut s’y installer pour vrai, donc couper des liens avec le Québec, ajoute-t-il. Sa résidence fiscale au 31 décembre déterminerait dans quelle province elle devrait payer son impôt pour l’année. Mais encore là, on ne se lance pas dans cette opération pour réduire son taux d’imposition annuel de 5 % pour quelques années. Sylvie doit se demander où elle sera heureuse pour les années à venir. »

D’autres façons de maximiser ses avoirs

En analysant l’ensemble de sa situation avec un planificateur financier, Sylvie pourrait toutefois trouver des façons de réduire sa facture fiscale et optimiser sa situation en restant au Québec. Par exemple, Mathieu Guilbault n’est pas convaincu, au premier regard, que l’incorporation est avantageuse financièrement dans son cas. En créant sa société par actions, Sylvie souhaite y accumuler tous ses revenus et se verser seulement ce dont elle aura besoin pour vivre afin de profiter d’un taux marginal d’imposition moindre.

« Mais, pour pouvoir bénéficier de la déduction pour petite entreprise au provincial, il faut que les employés aient atteint 5500 heures rémunérées pour l’année d’imposition, explique-t-il. C’est l’équivalent de trois employés à temps plein, ce qu’elle n’a pas. Sans cette déduction, le taux d’imposition de son entreprise sera de 20,5 %. De plus, créer une société par actions et l’exploiter occasionne des coûts comptables et juridiques récurrents. »

D’autres stratégies pourraient s’avérer intéressantes pour Sylvie, comme le régime de retraite individuel (RRI), le régime exécutif d’épargne santé (REES) ou les actions accréditives, d’après le planificateur financier.

« Mais en même temps, payer de l’impôt est un mal nécessaire, affirme-t-il. C’est certain que lorsqu’on regarde le taux marginal d’imposition maximal de 53,31 %, on trouve ça élevé. Mais en présumant que Sylvie n’est pas incorporée et que son revenu imposable est de 200 000 $ après ses dépenses d’affaires et ses déductions, son taux d’imposition moyen serait de moins de 40 %. Ce n’est pas la fin du monde en considérant tous les services au Québec. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, le prénom utilisé est fictif.

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