Depuis l’adoption des projets de loi 141 et 16, bien des propriétaires de condo doivent sortir plus d’argent de leurs poches pour la bonne gestion de leur immeuble. Alors que les dates butoirs arrivent pour se conformer aux nouvelles dispositions, les réactions oscillent entre la grogne et la résignation.

Des coffres trop peu remplis

Clément Roberge se remémore l’achat de son condo, à Montréal, il y a 11 ans. Le constructeur lui parlait alors de charges mensuelles pour l’entretien et les services communs de 9000 $ par an pour les 57 appartements. Divisé grossièrement, un maigre total de 13 $ par mois en moyenne par condo. « Au bout d’un an, lors de la prise de possession, une firme d’ingénieurs nous a dit qu’on serait mieux avec 45 000 $ dans le fonds de prévoyance, raconte-t-il. Le calcul des constructeurs était donc ridicule. »

Devenu ensuite administrateur dans le syndicat de copropriété de son immeuble, M. Roberge affirme avoir bûché pour convaincre les copropriétaires du bien-fondé d’un fonds de prévoyance bien garni. « Le trou se creusait chaque année, dit-il. On a réussi à faire augmenter les contributions. Maintenant, on a 300 000 $, mais on aurait besoin de 600 000 $. Pour beaucoup de copropriétaires, les mensualités sont une dépense, même si on a expliqué et réexpliqué que cet argent, on ne le perdait pas. »

En théorie, l’argumentation entre copropriétaires devrait être moins nécessaire. L’adoption des projets de loi 141 et 16, respectivement en 2018 et 2019, fixe un cadre de gestion plus strict et actuel dans les immeubles résidentiels divises. Des évaluations de la valeur des immeubles doivent être menées tous les cinq ans, un carnet d’entretien doit être constitué, tout comme un fonds d’autoassurance.

Bref, tout doit être mis en place pour prévoir les dépenses éventuelles d’entretien, de rénovation et à la suite de pépins. On pense à la réfection de la toiture, aux dommages causés par un dégât d’eau… Le tout pour assurer le bon entretien d’un parc immobilier qui vieillit et pour laisser des immeubles en bon état aux futures générations.

On s’y est pris d’avance et graduellement. Mais on n’est pas rendus au bout du parcours. À chaque assemblée, quand on dit qu’on va augmenter les frais de 3 %, il y en a toujours qui trouvent des raisons pour qu’on ne le fasse pas.

Clément Roberge, administrateur dans le syndicat de copropriété de son immeuble de Montréal

Dans bien des copropriétés, l’épargne n’est pas suffisante. Et même si on donne quelques années aux copropriétaires pour se conformer aux nouvelles dispositions, renflouer les coffres au niveau nécessaire relève parfois de la discipline olympique. Les gestionnaires de copropriétés sentent la grogne de certains syndicats de copropriété face à leurs coffres trop peu remplis. Ils ne mâchent pas leurs mots : bombe à retardement, catastrophe anticipée…

« Des fonds se vident et des voisins se chicanent en assemblée, constate Élise Beauchesne, présidente de SolutionCondo, qui gère 15 000 unités dans 120 immeubles. Le climat peut se dégrader. »

Des charges mensuelles triplées

Des gestionnaires de condos s’attendent à des charges de copropriété doublées et même triplées à court terme. « Selon la loi 141, il faut investir dans un fonds d’autoassurance. Et le coût des assurances augmente », indique Valéry Couture, PDG de Condo Stratégis, qui gère 4000 unités dans 100 immeubles.

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Valéry Couture, PDG de Condo Stratégis

Environ 90 % des copropriétés ne sont pas à jour. Ça met une pression énorme sur les copropriétaires. Ils n’ont aucun contrôle. Ils sont confrontés à un réveil difficile.

Valéry Couture, PDG de Condo Stratégis

Les gestionnaires de copropriétés et les administrateurs de syndicat voient beaucoup de mécontents. « Mais le bâtiment parle, illustre Valéry Couture. Il a besoin d’argent pour l’entretien, ses parties communes et les opérations. Certains payaient 1000 $ par an. Il a donc fallu doubler et même tripler [les contributions]. Les plus grandes tours ont une longueur d’avance. Elles sont plus prévoyantes, car une réparation peut faire mal. »

Même les syndicats qui contribuaient déjà de façon plus réaliste doivent s’attendre à une hausse marquée de leurs débours. « Avant, on pelletait la contribution par en avant, dit Élise Beauchesne. On en mettait moins au début. Mais il faut augmenter pour avoir une équité pour les générations à venir. »

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Élise Beauchesne, présidente de SolutionCondo

Les gens sont effrayés par les hausses. J’entends comme commentaires : “Il n’y a pas eu une hausse des services !” Mais ce sont les règles qui ont changé ! Il faut mettre de l’argent pour les réparations dans 20 ans. La dynamique de marché a changé.

Élise Beauchesne, présidente de SolutionCondo

Élise Beauchesne pointe notamment des programmes comme Accès Condos qui ont favorisé l’accès à la propriété pour expliquer le mécontentement. « Ce n’est pas tout le monde qui peut payer des frais supplémentaires, note-t-elle. Certains vendent donc leur condo. »

« On sent la détresse et l’inquiétude, car dans beaucoup de bâtiments, il y a des retraités qui, depuis 15 ans, ont contribué des sommes trop basses, raconte Valéry Couture. C’est paniquant pour un aîné. On est sensible à la cause de chacun, mais tous doivent payer leur quote-part. »

Détachement des assureurs

S’il n’y avait que le fonds de prévoyance à ajuster ! Les assureurs étant de plus en plus réticents à couvrir certains sinistres, les copropriétaires doivent se constituer un fonds (d’autoassurance) à hauteur de la plus grande franchise. Or, les montants des franchises ont bondi considérablement ces dernières années.

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Me Yves Joli-Cœur, de la firme Therrien Couture Joli-Cœur

« On est dans une conjoncture bizarre », explique l’avocat Yves Joli-Cœur, de la firme Therrien Couture Joli-Cœur et fondateur du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. « Quand le gouvernement a voté le projet de loi 141, personne ne pouvait prédire que les assureurs feraient passer les franchises à 250 000 $. À l’époque, on voyait des franchises de 25 000 $, qui ont été haussées à 100 000 $. Le gouvernement ne dit pas que c’est déraisonnable. S’il le fait, il n’y aura plus d’assureurs pour les immeubles. Il ne reste que six assureurs en copropriétés. »

La franchise pour une nouvelle construction d’envergure au centre-ville de 600 condos peut aller jusqu’à 500 000 $, note SolutionCondo. « On a comblé le fonds d’autoassurance l’an dernier, dit Clément Roberge. Mais chaque fois qu’on pige dedans, on a deux ans pour le renflouer. On a eu un dégât d’eau et on n’a pas réclamé pour éviter que la prime augmente ! »

Pas contre les lois

Si les obligations découlant de l’adoption des projets de loi 141 et 16 constituent un cadre contraignant aux yeux de copropriétaires du Québec, elles sont jugées essentielles par d’autres afin de préserver le parc immobilier et pour éviter aux copropriétaires de recourir à l’entièreté de leurs provisions, quand le malheur frappe ou qu’une réparation est nécessaire.

« Je ne suis pas contre la réglementation, dit Mélissa Audette, copropriétaire d’un immeuble à Longueuil, dans lequel sa mère habite. Depuis trop d’années, les frais de condo sont bas. On investit 15 % par an pour l’entretien des maisons unifamiliales. Imaginez ce que ça prend pour un immeuble de 94 condos ! »

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Mélissa Audette, copropriétaire d’un immeuble à Longueuil

Un cadre va amener tous les syndicats de copropriété sur une même ligne. C’est rassurant pour les nouveaux acheteurs qui ont accès aux états financiers, aux procès-verbaux des assemblées… Le parc immobilier peut aussi être mieux conservé.

Mélissa Audette, copropriétaire d’un immeuble à Longueuil

La moyenne d’âge du parc de copropriétés est de 30 ans, selon le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec. « Dans un cycle de bâtiment, c’est là que les travaux arrivent, explique l’avocat Yves Joli-Cœur, de la firme Therrien Couture Joli-Cœur et fondateur du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec. Et là, les coûts de construction ont explosé. Les sommes provisionnées ne fonctionnent plus. C’est une autre conséquence de la COVID-19. »

Comme le marché de la copropriété est jeune, la vision à long terme n’est pas forcément implantée dans la façon de gérer les immeubles. « C’est intéressant de réfléchir aux raisons pour lesquelles il y a ces lois, à leurs objectifs et aux solutions pour modifier la philosophie dans les copropriétés », estime Paul Rodrigues, président du Groupe Galilehos, qui conseille les gestionnaires de copropriétés.

Face au fonds d’autoassurance (projet de loi 141) devant être constitué d’ici avril 2022 et aux sommes considérables devant être accumulées par certains syndicats, Paul Rodrigues propose de changer la façon d’aborder les contrats d’assurance. « Il existe des solutions, des détecteurs d’eau par exemple, qu’on peut poser pendant la construction de l’immeuble », propose-t-il pour les futurs immeubles, afin de faire baisser les primes et d’éviter d’éventuels travaux qui coûtent les yeux de la tête.

Éducation nécessaire

L’application de ces lois exige des efforts financiers et psychologiques. Une réflexion collective en amont est donc nécessaire pour qu’on reconnaisse les propriétés comme un actif qui a de la valeur, selon M. Rodrigues.

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Paul Rodrigues, président du Groupe Galilehos, qui gère et conseille des copropriétés

Les copropriétaires ne sont pas habitués à la notion de pérennité. Mais je vois les mentalités évoluer.

Paul Rodrigues, président du Groupe Galilehos, qui gère et conseille des copropriétés

« On voit une démarche pédagogique des gestionnaires spécialisés auprès des membres des C.A. pour assimiler les règles », ajoute MJoli-Cœur.

Il était temps que ces lois voient le jour, qu’on encadre notamment la gestion et l’analyse des fonds de prévoyance, des éventuels travaux d’entretien à faire et de la valeur des propriétés, selon Valéry Couture. « La copropriété, c’est jeune au Québec, souligne la PDG du gestionnaire de copropriétés Condo Stratégis. En 1994, des sommités, tel MJoli-Cœur, ont dit qu’il fallait s’organiser. Mais rien n’a bougé. En 2018, les assureurs ont lancé l’alerte. Ça a mené au projet de loi 16. »

« On est dans un processus qui nous oblige à tout revoir pour la préservation du bien commun, souligne Mélissa Audette, qui est aussi administratrice de sa copropriété longueuilloise. Beaucoup de syndicats de copropriété ont eu tendance à maintenir les frais très bas. Ils se sont fait prendre. »

Il est impératif de prendre le temps d’informer les gens sur l’importance de planifier le financement et sur le temps qu’ils ont pour se conformer aux nouvelles dispositions. « Il faut beaucoup d’éducation, note Paul Rodrigues. Il faut y aller avec pédagogie et accompagnement. Il faut prévoir ces augmentations, les établir dans le temps. C’est obligatoire. Tout ça ne se fait pas rapidement. »

De son côté, Mélissa Audette juge son syndicat prêt à toute éventualité, ou presque. « On a pris ça très au sérieux de se conformer, dit-elle. Nous sommes prêts pour 2022. »

Projets de loi 141 et 16

L’un des objectifs de la loi découlant du projet no 141 est d’assurer aux copropriétaires d’être bien protégés en cas de sinistre, comme un dégât d’eau. D’ici avril 2022, elle oblige notamment les syndicats de copropriétés divises à se constituer un fonds d’autoassurance qui a comme valeur la franchise la plus élevée parmi les assurances de l’immeuble. La plupart du temps, c’est la franchise pour les dommages par eau qui est utilisée comme référence. Depuis avril 2021, elle renforce l’obligation faite aux copropriétaires de souscrire une assurance sur la valeur « de reconstruction » de l’immeuble, grâce notamment à une évaluation obligatoire de la valeur de la propriété tous les cinq ans. La loi découlant du projet no 16 vise, entre autres, à renforcer l’entretien par les copropriétaires de leur immeuble divise, notamment dans la gestion des sommes accumulées dans un fonds de prévoyance, ou encore la tenue d’un carnet d’entretien.