Il existe une telle chose que le brouillard de la retraite, comme on parle du « brouillard de la guerre » — le climat d’incertitude qui entoure une stratégie, en raison du flou autour des informations et des circonstances.

C’est dans ces brumes denses que Robert* tente de s’orienter, alors qu’il atteint 63 ans.

« Je travaille encore à temps plein, nous a-t-il écrit. Je n’ai pas de régime de pension d’entreprise ou gouvernemental. »

Sa conjointe Carole, âgée de 62 ans, « travaille à temps partiel et gagne le salaire minimum. Elle n’a pas de régime de pension et très peu d’épargnes ».

Depuis 2006, ils sont propriétaires d’une maison à Montréal — leur première.

« J’aimerais pouvoir prendre ma retraite dans deux ans, a ajouté Robert. Toutefois, nous n’arrivons pas à voir comment nous allons pouvoir vivre convenablement jusqu’à la fin de nos jours. Au secours ! »

Lors d’un entretien subséquent, il nous apprendra qu’il touche un revenu d’environ 85 000 $. « Je suis le seul vrai salaire, dira-t-il. Ma femme travaille, mais vraiment à temps partiel. Son revenu se situe autour de 12 000 $ par année. C’est plus du bénévolat. »

Depuis l’âge de 60 ans, elle touche la rente de la RRQ, d’environ 450 $ par mois.

Robert détient quelque 700 000 $ en REER. Est-ce peu, suffisant, beaucoup ? Il l’ignore. Leur propriété vaut approximativement 450 000 $, indique-t-il. Le solde hypothécaire s’élève encore à 271 000 $, incluant une marge de crédit de 27 000 $.

Sur la base de leurs revenus nets, il estime le coût de vie du ménage à environ 76 000 $.

« Je trouve que je paie trop en assurances », exprime-t-il. Les primes de ses assurances vie, personnelle et collective, excèdent 8000 $ par année.

Il a dû acheter récemment une nouvelle voiture — « malheureusement », dit-il —, assortie d’un prêt de 15 000 $. « On n’a toujours eu qu’une voiture », confie-t-il.

Il aimerait prendre sa retraite d’ici deux ans, à 65 ans au plus tard. « Dans la vente, c’est constamment des heures. On n’a pas beaucoup de temps pour soi-même. »

Pour retrouver ce temps, le couple vendrait sa maison montréalaise et achèterait une petite propriété d’environ 250 000 $ dans Lanaudière.

« Nous n’avons pas vraiment voyagé depuis que nous sommes mariés », ajoutera Robert dans un dernier courriel, comme un tardif souhait. « Nous aimerions faire un voyage par année. »

Depuis combien de temps est-il marié ?

— 37 ans cette année !

Un beau projet, que le brouillard nimbe encore.

La réponse

Robert « semble payer des sommes extrêmement importantes en assurances », exprime d’abord François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale, patrimoine, pour l’Est du Canada, chez Sun Life.

Les primes s’élèvent à plus de 8000 $ par année. « Lorsqu’on s’approche de l’âge de la retraite, le besoin en assurance vie devrait normalement diminuer, souligne-t-il. Je soupçonne qu’il y aurait du ménage à faire. »

Il en tient compte dans sa projection de retraite, en réduisant de 6000 $ les coûts en assurance vie, pour les ramener à 2000 $ par année.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

François Bernier, directeur de la planification fiscale et successorale, patrimoine, pour l’Est du Canada, chez Sun Life

Dans ses planifications de retraite, le planificateur s’assure habituellement que le capital de retraite ne s’épuise que lorsqu’il ne reste plus que 10 % de chance qu’un des deux conjoints soit encore en vie. Pour un couple de 60 ans, cet horizon les mène à 101 ans.

Conformément aux projets du couple, il suppose l’achat d’une propriété de 250 000 $ en région dès l’abord de la retraite. Il en résulte une hypothèque de 50 000 $ amortie sur 10 ans.

Avec la réduction des frais afférents et des impôts fonciers, le coût de vie du couple se fixe ainsi à 52 900 $. L’hypothèque sera acquittée à l’âge de 76 ans, réduisant dès lors le coût de vie de 6000 $.

Malgré cette compression budgétaire, le niveau des épargnes commencera à être préoccupant vers 85 ans. Il sera alors nécessaire de les renflouer en vendant la propriété, qui vaudra vraisemblablement 360 000 $.

Avec un loyer de 1200 $ par mois (en dollars d’aujourd’hui), le coût de vie passera alors de 72 776 $ à 86 960 $ (en dollars courants).

« Ils auront un manque à gagner dans leur budget, mais on va être capable de se servir du capital provenant de la vente de la propriété pour assurer le coût de vie », constate notre planificateur.

Le couple atteint ainsi l’objectif de 100 ans. Avec ces paramètres, tout projet de voyage devra toutefois se faire une place dans ce budget initial de 52 900 $, avec une enveloppe spécifique.

Le risque d’une mauvaise séquence

Dans cette projection de retraite, François Bernier retient le rendement de 3,7 %, recommandé par l’Institut québécois de planification financière pour un portefeuille équilibré.

C’est ici qu’entre en compte un autre phénomène : la séquence des rendements.

« On sait que dans la réalité, les rendements ne sont jamais linéaires », souligne-t-il.

Pour un même rendement moyen de 3,7 % sur 35 ans, une séquence de mauvais rendements en début de retraite réduira notablement la survie du capital. À l’inverse, un départ en lion la prolongera.

Pour tenir compte de ce phénomène, il a fait une simulation dite Monte-Carlo, laquelle calcule un grand nombre de séquences de divers rendements annuels, toujours pour un même rendement moyen à long terme.

« Cette simulation donne les résultats sous forme de probabilités que le portefeuille du client tienne la route en fonction de différents scénarios », explique-t-il.

Elle montre que Robert « a 10 % de risques d’épuiser son capital à 83 ans, 25 % à 88 ans, et 50 % à 99 ans ».

En considérant les sournoiseries du marché boursier, Robert et Carole ont donc une chance sur deux de manquer d’argent avant 100 ans.

Comment réduire ce risque ? François Bernier propose l’achat d’une rente viagère, « qui va assurer des revenus la vie durant au client, quelles que soient les fluctuations du marché ».

Il n’est pas nécessaire d’y consacrer la totalité des 728 000 $ accumulés à 65 ans, mais une part suffisante pour ramener les plus sombres probabilités de la simulation Monte-Carlo à un niveau plus confortable.

Notre planificateur a fait trois scénarios avec 50 %, 40 % et 30 % des épargnes du couple.

« En mettant environ 30 % du capital de retraite dans une rente, il serait possible de protéger le client contre les aléas du marché », conclut-il.

À l’heure actuelle — les conditions pourraient changer dans deux ans —, un capital de 218 600 $ procurerait au couple une rente non indexée de 9887 $ par année, garantie 10 ans et réversible au conjoint survivant.

« Ce sera suffisant pour lui assurer le coût de vie dont il a besoin jusqu’à l’âge de 100 ans. On vient de le protéger dans toutes les situations possibles. »

Bref, on dissipe en bonne partie le brouillard de la retraite.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

Les chiffres

Robert, 63 ans

Revenus : 85 000 $
Aucun régime de retraite
REER : 700 000 $

Carole, 62 ans

Revenus : 12 000 $
RRQ : 5400 $ (450 $/mois)
Aucun régime de retraite
Épargnes de retraite : pratiquement aucune

Coût de vie actuel : environ 76 000 $
Propriété : environ 450 000 $
Solde hypothécaire : 271 000 $