Terminés les tabous. Il faut parler d'argent avec nos enfants si l'on veut en faire de bons consommateurs et de bons citoyens, croient les experts que La Presse a consultés. Ce serait même le meilleur moyen de leur permettre d'accéder à la liberté, rien de moins.

L'avenir appartient à ceux qui en parlent tôt

Même si l'argent fait partie du quotidien, en parler est encore tabou dans certaines familles. Pourtant, les parents ont justement un rôle essentiel à jouer dans l'éducation financière des enfants et des adolescents. Une saine gestion des finances personnelles et, surtout, le fait de ne pas avoir de dettes permettront à votre enfant de se sentir beaucoup plus libre.

« Parler d'argent avec ses enfants, c'est aussi important que de parler de sexualité et de drogue, soutient Jacinthe Cloutier, professeure adjointe en sciences de la consommation à l'Université Laval. Plus on en discute avec eux, plus ça suscite leur intérêt. »

La spécialiste est d'avis que les enfants doivent avoir une expérience avec l'argent le plus tôt possible.

« Ils commencent à apprendre dès qu'ils sont en contact avec le monde de la consommation, poursuit-elle. Et ça commence dans le porte-bébé ! »

- Jacinthe Cloutier, professeure adjointe en sciences de la consommation à l'Université Laval

L'économiste Alexis Gagné, doctorant en sciences humaines appliquées en éducation à l'Université de Montréal, croit aussi qu'il ne faut pas attendre que les enfants aient leur propre emploi pour commencer l'apprentissage de la gestion de l'argent.

« Si on veut leur montrer à gérer de l'argent, il faut leur en donner avant qu'ils aient de vraies responsabilités », affirme celui qui est lui-même père de trois enfants de 4, 7 et 9 ans.

ARGENT DE POCHE, OUI OU NON ?

Tous les spécialistes s'entendent pour dire qu'il faut donner de l'argent aux enfants le plus tôt possible pour qu'ils apprennent à le gérer, que ce soit sous la forme d'argent de poche chaque semaine ou de cadeaux aux anniversaires et à Noël. Les avis divergent cependant pour ce qui est de relier ou non l'argent à une tâche précise, comme faire son lit, tondre la pelouse ou faire ses devoirs.

Acheter de bons comportements n'est pas une stratégie qui porte ses fruits, assure François Décary, directeur de l'Association coopérative d'économie familiale d'Appalaches-Beauce-Etchemins.

« Des sous pour se brosser les dents, parce qu'on veut une bonne hygiène dentaire, des sous pour faire le lit, parce qu'on veut que ce soit propre, je trouve qu'on a tendance à monnayer des comportements qui peuvent être acquis d'une autre façon. D'autres stratégies peuvent être développées sans qu'on donne de l'argent. »

François Décary considère qu'on ne doit pas monnayer les tâches ménagères quotidiennes, car toute la famille doit y contribuer. Par contre, il suggère de monnayer une tâche plus exigeante, qui ne fait pas partie des tâches régulières, comme faire un grand ménage de la cour ou des travaux de peinture.

Alexis Gagné est aussi de cet avis. « Tu cours un grand risque si tu dis : "Je te donne 3 $ par semaine si tu vides le lave-vaisselle." L'enfant peut décréter : "Bien, cette semaine, ça ne me tente pas." Donner de l'argent contre une tâche, c'est comme dire : tu peux ne pas la faire. »

Jacinthe Cloutier, professeure adjointe en sciences de la consommation, juge qu'on ne devrait pas donner d'argent en échange de bons résultats scolaires. Cependant, si l'on veut rémunérer les tâches ménagères, on doit en expliquer les raisons à son enfant.

« Si on dit, par exemple : "Moi, je fais le lave-vaisselle toute la semaine, je ne suis pas payé, mais je te rémunère, toi, parce que je pense que c'est important que tu apprennes à travailler pour avoir des sous." La communication entre le parent et l'enfant est importante en matière de finances personnelles. »

DOIT-ON DIRE QU'ON EST RICHE OU PAUVRE ?

Parler de notre richesse ou de notre pauvreté doit être fait avec beaucoup de doigté, estiment les experts. Si l'on croule sous les dettes, par exemple, il est préférable de ne pas mettre ce stress sur les épaules de l'enfant en parlant plutôt de nos limites financières. À l'inverse, si les parents gagnent un salaire plus élevé que la moyenne, l'enfant doit avoir conscience de la chance qu'il a.

« C'est important que l'enfant sache que ce ne sont pas tous ses amis qui sont chanceux comme lui, soutient Alexis Gagné. Mais il faut lui expliquer : "Ça ne veut pas dire que tes amis sont moins bons que toi, que les parents de tes amis sont moins bons que nous." Les enfants doivent savoir qu'être pauvre ou riche, ça n'a pas d'impact sur leur qualité en tant que personne. »

François Décary suggère de donner des exemples concrets aux enfants.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Faut-il relier l'argent à des tâches précises, comme tondre la pelouse? Les avis de nos experts divergent.

« On peut expliquer nos limites financières en disant qu'on met la priorité sur les légumes frais et bios plutôt que d'aller au restaurant. »

- François Décary, directeur de l'Association coopérative d'économie familiale d'Appalaches-Beauce-Etchemins

« Il ne faut pas créer d'angoisse, poursuit-il, mais parler de notre réalité financière, ça peut être très pédagogique. Certains vont parler de leur salaire et dire combien ils gagnent. »

Jacinthe Cloutier, de l'Université Laval, met toutefois en garde les parents. S'ils révèlent leur salaire, ils doivent s'attendre à ce que les enfants le répètent dans la cour d'école, à moins de les avertir de ne pas le faire... mais sans garantie.

« Si on est ouvert à ce que ça se sache, je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas le dire. Certains salaires sont publics. Par contre, il ne faut pas que ça devienne un moyen pour l'enfant de dire : "Ah, nous, on fait plus d'argent que toi. Moi, je m'achète des marques." Les parents doivent aborder en même temps cette question. »

10 trucs de gestion pour enfants

Voici 10 trucs recommandés par nos spécialistes pour apprendre aux enfants la gestion des finances personnelles.

1. LES TROIS POTS

L'économiste Alexis Gagné, doctorant en sciences humaines appliquées en éducation à l'Université de Montréal et père de trois enfants, utilise lui-même ce truc recommandé par les experts. Chaque enfant a trois pots pour y déposer l'argent qu'il reçoit en cadeau ou en argent de poche. Il doit diviser la somme en trois parts égales. Le premier pot sert à dépenser. Le deuxième pot est destiné à l'épargne. « Il ne peut pas le dépenser au fur et à mesure. Un enfant de 7 ans qui reçoit 3 $ par semaine pourrait décider de s'acheter un livre après cinq semaines d'épargne », illustre-t-il. Le troisième pot servira à donner des cadeaux.

2. ÊTRE UN MODÈLE POUR EUX

Comment prouver aux enfants qu'il est préférable d'économiser plutôt que d'acheter des babioles ? En donnant l'exemple, suggère François Décary, directeur de l'Association coopérative d'économie familiale d'Appalaches-Beauce-Etchemins. « En s'imposant une discipline soi-même, nos enfants vont vouloir copier nos comportements, dit-il. Ils vont vouloir apporter leur lunch à l'école si on l'apporte au travail. »

Jacinthe Cloutier, professeure adjointe en sciences de la consommation à l'Université Laval, est aussi de cet avis. « Si on voit papa qui s'assoit à l'ordinateur et va sur un site avec plein de chiffres [celui de son institution financière], c'est le bon moment pour lui dire ce qu'on fait et comment ça fonctionne. »

3. L'OBLIGATION DE SUIVI

Revenir sur l'utilisation que l'enfant a faite de son argent est une façon efficace de lui faire prendre conscience de ses choix, soutient François Décary. « La meilleure stratégie éducative n'est pas celle qui est moralisatrice, précise-t-il. Mais la divulgation de l'information l'oblige à nous rendre des comptes. Et quand on sait qu'on doit rendre des comptes, on n'agit pas de la même façon. » François Décary explique que si l'enfant reçoit 20 $ de sa grand-mère, il peut en faire ce qu'il veut, comme s'acheter des bonbons, des babioles ou l'épargner. Cependant, il doit absolument dire à sa grand-mère ce qu'il a fait avec l'argent.

4. PARFOIS, ON N'ACHÈTE RIEN

Les enfants n'aiment pas quand on refuse de leur acheter un produit. Ils doivent savoir que leurs parents aussi se refusent des achats. « On peut leur expliquer qu'on a regardé les raquettes de tennis aujourd'hui et qu'on s'est dit qu'on n'en avait pas besoin, conseille François Décary. Cette privation démontre qu'on fait nous aussi des choix déchirants. » Selon lui, les enfants cultivent une fausse image de la masse, qu'il faut déconstruire. « Les enfants pensent que les gens entrent dans un magasin de sport et s'achètent d'emblée une bicyclette. Rarement vont-ils être conscients qu'on se serre la ceinture et qu'on achète un bien moins cher ou rien du tout. »

5. LES CONSÉQUENCES DE NOS CHOIX

Difficile de laisser les enfants faire des erreurs ? C'est pourtant de cette façon qu'ils apprendront. « Il est souhaitable de les mettre face à leurs décisions et à leurs conséquences », soutient Jacinthe Cloutier. Lors d'une visite en magasin, on peut leur dire : « Pourquoi veux-tu acheter quatre paquets d'élastiques à cheveux ? Parce qu'ils sont tous beaux ? D'accord, mais tu n'auras plus d'argent pour un paquet de gomme », donne-t-elle en exemple.

L'économiste Alexis Gagné croit que les parents ne doivent pas prendre de décisions concernant l'argent de leurs enfants. « Si un enfant veut s'acheter un jouet de mauvaise qualité, tu le conseilles en lui disant que le jouet va se briser en trois jours et qu'il aura gaspillé son 10 $. S'il insiste, tu lui dis : "C'est ton propre argent, vas-y !" Il constatera par lui-même la piètre qualité du jouet et ne refera plus l'erreur. »

6. FAIRE LE BUDGET VACANCES EN FAMILLE

Impliquer les enfants dans la planification du budget des vacances est un exercice concret, soutient François Décary. « Faire le budget des vacances et même le budget familial, c'est une activité intéressante au niveau des mathématiques et de la transparence. On inclut l'enfant dans nos choix », affirme-t-il. Par exemple, après avoir choisi la destination, les parents peuvent exposer les faits. « On va aller à Baie-Saint-Paul et on a accumulé 1400 $. On a 200 $ pour les loisirs. Est-ce qu'on va dans un musée ? Un parc d'attractions ? Manger de la crème glacée ? »

7. APPRENDRE À MAGASINER

Parler à nos enfants de nos dépenses quotidiennes et expliquer ce qui motive nos achats fait partie de l'apprentissage de la gestion de l'argent, affirme Alexis Gagné. Il suggère de les impliquer quand on fait un achat pour eux, comme une paire de skis ou un habit de neige. Il propose d'aller voir les meilleures offres dans les boutiques en ligne en compagnie de l'enfant, puis de les comparer avec ce qui est proposé sur les sites de produits d'occasion. Ensuite, on explique à l'enfant le choix qu'on fait. « J'ai choisi ce produit-là, parce qu'il est usagé et moins cher et qu'il va faire tout aussi bien le travail que celui qui est neuf et cher. » Par la suite, les enfants pourront faire leur propre raisonnement : « Je peux utiliser tout ce qui est dans mon cochon pour m'acheter un nouveau skateboard ou en acheter un usagé qui va être aussi bon. »

François Décary donne l'exemple d'une visite dans un centre sportif. « En constatant les prix dans les machines distributrices, l'enfant peut décider de ne plus acheter de bonbons à l'aréna, car ils sont plus chers qu'à l'épicerie. »

8. LES INCITATIFS

Si un adolescent gagne 3000 $ au cours de l'été et qu'il n'a plus un sou en septembre, on peut en déduire qu'il est du type dépensier. Or Alexis Gagné croit que ce comportement est réversible. « Le parent peut encore avoir une influence sur lui », assure-t-il. L'économiste suggère de faire réfléchir l'adolescent en lui demandant s'il est heureux d'avoir tout dépensé, puis de lui demander d'élaborer une stratégie pour économiser une partie de ses gains l'été suivant. Il conseille de lui donner des incitatifs : « Si tu économises une partie de ton argent, je vais te donner des intérêts. Si tu veux économiser pour un grand voyage, je vais ajouter 20 % ou même 50 % de la somme. »

9. SORTIR PLUTÔT QUE DÉPOSER

Plutôt que de donner 5 $ par semaine d'argent de poche en argent comptant, que l'enfant devra aller déposer à la banque, on peut lui transférer un 5 $ numérique directement dans son compte d'épargne. « Si l'enfant veut l'utiliser, il devra faire l'effort d'aller le chercher à la banque, souligne François Décary. Le fardeau revient à sortir l'argent plutôt qu'à le dépenser. On peut suivre avec lui en ligne l'évolution de cette épargne. »

Et il ne faut pas négliger l'objectif de cette épargne, car c'est ce qui donne un sens aux privations, rappelle Jacinthe Cloutier. « C'est la même chose pour un adulte : s'il n'a pas de but, il ne mettra pas d'argent de côté », soutient-elle.

10. DÉSIR OU BESOIN

Ce questionnement doit commencer le plus tôt possible, estiment les experts. « Un consommateur qui gère bien ses finances personnelles prend le temps de se poser des questions, affirme Jacinthe Cloutier. Ce n'est pas parce que tu as le désir d'avoir des souliers d'une telle marque que tu en as besoin chaque année. »

Alexis Gagné pousse la réflexion plus loin. « La majorité de ce qu'on achète de nos jours, on n'en a pas réellement besoin, dit-il. C'est rare que les enfants vont acheter quelque chose dont ils ont besoin. La question que je leur pose est plutôt : « Est-ce que tu vas vraiment l'utiliser ? Et dans six mois ? »

PHOTO FOURNIE PAR FRANÇOIS DÉCARY

François Décary, directeur de l'Association coopérative d'économie familiale d'Appalaches-Beauce-Etchemins