« Je suis actuellement propriétaire d’un duplex, nous a écrit Nicole, âgée de 63 ans. J’ai l’intention de le vendre parce que je suis tannée un peu d’entretenir tout ça. C’est grand. Mais je ne sais pas quoi faire : racheter ou aller en logement ? »

Le problème semble courant. Mais un entretien téléphonique a révélé un contexte intéressant.

« J’habite dans une petite ville, confie-t-elle. Je n’ai pas confiance en certaines personnes. Je voulais l’avis de personnes extérieures à mon environnement, comprenez-vous ? »

Nicole vit dans une localité où tout le monde se connaît, où les nouvelles circulent vite, où elle n’est pas certaine d’obtenir un avis totalement désintéressé.

« J’ai confiance en certaines personnes qui me conseillent. Cependant, je sais qu’elles peuvent avoir des… »

Elle s’interrompt pour peser ses mots. « Un agent immobilier m’a conseillé de vendre et d’aller en logement parce qu’il voulait louer un de ses logements, reprend-elle. Il voulait me faire signer des papiers rapidement. J’ai dit non, non, non… »

« Un autre agent immobilier m’a dit : “ah, à votre âge, on s’en va en logement !” Un troisième me disait : “non, non, vous êtes encore assez jeune, vous pouvez racheter.” Là, j’étais mélangée. »

Elle ne veut pas consulter immédiatement la conseillère de son institution financière. « Si j’achète, elle va peut-être vouloir me prêter de l’argent… »

On se croirait dans un roman d’Agatha Christie, où Miss Marple tente de découvrir les secrètes motivations des habitants de son petit village.

Un marché immobilier au ralenti

Nicole est retraitée de la fonction publique, célibataire, sans enfant. Elle veut mettre son duplex sur le marché en novembre dans l’espoir de le vendre avant la fin du printemps. « Ici, le marché immobilier est assez lent. »

Elle estime que son petit duplex, entièrement rénové il y a dix ans, vaut 200 000 $.

« À Montréal, je vendrais ça en un quart d’heure. »

Elle a rencontré un entrepreneur, qui a estimé le prix d’une nouvelle maison jumelée à environ 215 000 $.

Mais « devrais-je réinvestir à 63 ans ? », se demande Nicole.

Si elle achète : « Est-ce que je la paie au complet ou je suis mieux de garder un coussin et de prendre une petite hypothèque ? »

Elle n’est pas certaine de l’impartialité de sa conseillère. « Elle voudra peut-être me faire une hypothèque, parce que c’est payant ! »

Dans l’état du marché immobilier en région, serait-il plutôt préférable de louer un appartement ?

« C’est 1200 $ par mois minimum. Pour un quatre et demi. Alors que mon duplex est payé depuis des années. »

Dilemme…

« J’aimerais avoir d’autres points de vue. »

Des opinions indépendantes, venues d’ailleurs…

La réponse

Mathieu Rioux et Jean-François Tremblay sont bien placés pour comprendre les préoccupations de Nicole : les deux planificateurs financiers travaillent en région, au Centre financier de Rimouski.

PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE FINANCIER DE RIMOUSKI

Mathieu Rioux et Jean-François Tremblay, planificateurs financiers au Centre financier de Rimouski

« Nous discernons trois points clés dans ses interrogations : l’entretien, le stress et le coût de vie », annoncent-ils.

L’entretien, d’abord.

Même si le jumelé est neuf, Nicole devra se préoccuper du déneigement, du terrain, des réparations qui s’accroîtront avec les années.

« Avec un logement, on oublie tous ces facteurs, car ils seront à la charge du propriétaire », rappellent-ils.

Le stress

Le stress, ensuite.

Même si elle fait construire une maison jumelée à un coût aussi raisonnable que 215 000 $, rien ne garantit que les conditions du marché seront favorables au moment de la revente.

Avec la hausse probable des taux d’intérêt, « moins d’acheteurs auront les moyens de s’acheter une propriété », font valoir nos conseillers. « Le vieillissement de la population au Québec pourrait éventuellement occasionner un surplus de maisons sur le marché de la vente et donc faire baisser la valeur de celles-ci. »

Les augmentations de loyer, pour leur part, sont encadrées par la Régie du logement, soulignent-ils.

Le coût de vie

Reste le coût de vie. C’est le point sensible, quoique « je n’ai pas senti, dans les questions de Nicole, que son coût de vie était sa priorité », indique Jean-François Tremblay.

Ses dépenses s’élèvent présentement à 33 000 $. Soustrayons 5000 $ pour les impôts fonciers et l’entretien de la propriété actuelle. Ajoutons 1200 $ par mois, soit 14 400 $ par année pour le loyer – un loyer plutôt élevé en région, estiment nos planificateurs. Le coût de vie en logement s’établit ainsi à 42 400 $.

Or, sans revenus de location, les revenus nets de Nicole se comprimeront à environ 37 400 $, ce qui génère déjà un déficit de 5000 $.

En outre, il faut prévoir que ses revenus vont baisser à l’âge de 65 ans, « en raison de la coordination de son fonds de pension avec la RRQ et de son choix de décaisser la RRQ avant l’âge de 65 ans », précisent les conseillers.

La pension de la Sécurité de la vieillesse, inférieure au montant de la coordination, ne compensera pas entièrement cette réduction.

Pour combler le manque à gagner, il faudra compter sur le capital issu de la vente de la propriété. Nos planificateurs supposent qu’après les frais de transaction et l’impôt sur le gain en capital, Nicole encaisserait 180 000 $.

« Pour demeurer conservateurs, nous projetons une inflation de 2 % sur le coût de vie, indique Mathieu Rioux. Par contre, nous augmentons le RREGOP de 0,5 % et les RRQ et PSV de 1,5 %. »

Ils retiennent un rendement tout aussi conservateur de 3 % sur les placements.

Dans ces conditions, Nicole épuise le capital de sa maison vers 86 ans et atteint 90 ans sans que son CELI et son REER soient épuisés. « Elle ne manquera jamais d’argent », assure Jean-François Tremblay. « Et il n’y a plus de surprise, plus d’entretien. »

Ils reconnaissent que du strict point de vue financier, le rachat d’une propriété serait sans doute plus rentable. Mais Nicole n’a ni enfant ni conjoint à qui elle pourrait souhaiter léguer un héritage.

Comme les héros d’Agatha Christie, ils réservent les fruits de leur réflexion pour la fin.

« Selon ce que nous avons compris de sa situation, nous sommes d’avis que la location serait préférable, au niveau de la stabilité du coût de vie, du stress et de l’incertitude qui entoure le marché immobilier », concluent-ils.

Nicole peut couler des jours sereins dans son coin de pays.

Les chiffres de Nicole, 63 ans

Revenus
RREGOP : 40 000 $
RRQ : 8000 $
Revenus de location : 5400 $

Actifs
REER : 110 000 $
CELI : 61 000 $
Compte d’épargne : 30 000 $
Coût de vie annuel : 33 000 $
Une voiture entièrement payée
Aucune dette

Les paramètres de l’analyse
Rendement : 3 %
Taux d’imposition effectif : 22 %
Coût de vie en logement : environ 42 000 $
RREGOP coordonné à la hauteur de 25 % avec la RRQ
Inflation de 2 % sur le coût de vie
Indexation du RREGOP à 0,5 % et des RRQ et PSV à 1,5 %