Perçus et vantés depuis des années comme des véhicules de placement relativement sûrs, peu coûteux et faciles d’accès, les fonds indiciels commencent à susciter l’inquiétude. Selon l’un des héros de The Big Short, qui avait prédit la crise financière de 2008, ils constituent une bulle susceptible de causer beaucoup de dommages.

Le nom de Michael Burry n’est pas très connu, du moins pas autant que son personnage dans The Big Short, le livre et le film qui ont décrit comment quelques gestionnaires de placement et lui avaient vu venir la problématique que représentaient les prêts hypothécaires à haut risque.

Dans une entrevue accordée cette semaine à Bloomberg, il a exposé les risques liés à la popularité des fonds indiciels. D’autres experts interrogés par La Presse partagent ses craintes.

Qu’est-ce qu’un fonds indiciel ?

Ce sont des fonds communs dont la gestion est dite « passive ». Plutôt que de sélectionner ce qu’ils croient être les meilleurs titres, leurs gestionnaires se contentent d’essayer de répliquer la performance d’un indice boursier. Ce peut être le Dow Jones, le S&P/TSX de la Bourse de Toronto ou un indice plus spécialisé.

Comme la tâche est essentiellement mécanique, leurs frais de gestion sont moindres. Leur performance est souvent meilleure que celle des fonds dits « actifs », qui, malgré les efforts et la compétence de leurs gestionnaires, échouent fréquemment à « battre l’indice ».

PHOTO FOURNIE PAR MO CHAUDHURY

Mo Chaudhury, professeur de finances associé à l’Université McGill

« Les universitaires comme moi et les lauréats de prix Nobel sont un peu responsables de ce problème », avoue Mo Chaudhury, professeur de finances associé à l’Université McGill. Pendant longtemps, nous suggérions aux petits investisseurs d’opter pour les fonds indiciels, parce que c’est difficile de battre l’indice seul, ou même avec l’aide d’un gestionnaire professionnel. Ce qu’on a oublié, c’est ce qui arriverait si tout le monde suivait notre conseil… »

Quel est le problème ?

« Le problème est qu’une partie importante de l’argent qui entre maintenant dans le marché le fait via les fonds indiciels, et non par l’achat des actions sélectionnées », explique d’emblée M. Chaudhury.

Il en résulte qu’une portion de plus en plus importante des gestionnaires qui achètent des actions d’Apple, par exemple, le font par obligation – parce qu’elles constituent une part importante de l’indice qu’ils doivent répliquer –, et non parce qu’ils croient en la valeur fondamentale d’Apple.

« Quand des gens placent leur argent dans des fonds indiciels, ils font monter ces titres, peu importent les fondamentaux. Ça peut aggraver une bulle, parce qu’ils montent sans bonne raison. Plus ça dure, plus l’écart grandit et plus le crash sera gros. »

PHOTO TONY AVELAR, ARCHIVES BLOOMBERG

Michael Burry, qui était à la tête de Scion Capital Group LLC, au travail dans son bureau de Cupertino, en Californie, en septembre 2010

Quand le problème va-t-il survenir ?

Il n’y a pas de date précise et M. Burry n’a pas semblé vouloir s’avancer de ce côté. Mais la réponse se résume ainsi : quand les marchés vont chuter.

« Il y a un grand risque de liquidité », prévoit Shady Aboul-Enein, maître d’enseignement au département de finance de HEC Montréal.

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Shady Aboul-Enein, maître d’enseignement au département de finance de HEC Montréal

« Quand les gens vont commencer à vouloir vendre, tout le monde va vendre en même temps, il n’y aura pas d’acheteur. Les prix vont chuter rapidement et ça va faire mal. »

La popularité des fonds indiciels retire du marché les « freins », qui pouvaient ralentir une montée ou une chute, précise M. Chaudhury.

Dans un mode de gestion « actif », des gestionnaires qui voient certains de leurs titres monter vont en vendre une portion pour encaisser leurs profits. À l’inverse, quand leurs titres baissent, ils en vendent pour couper leurs pertes.

« Ça fait en sorte que le marché ne va pas en sens unique. Mais les fonds indiciels vont en sens unique : tout le monde achète ou tout le monde vend. »

M. Aboul-Enein reprend une analogie utilisée par M. Burry, celle de la salle de cinéma.

« C’est comme une salle de cinéma conçue pour 200 personnes, avec 2000 personnes dedans. S’il n’y a pas d’incendie et que les gens sortent calmement, il n’y a pas de problème. Mais ça me semble peu réaliste. Ça m’étonnerait que les entreprises qui vendent des fonds indiciels depuis des années cessent de le faire. »

En quoi cela se compare-t-il à la crise de 2008 ?

D’au moins deux façons. Premièrement, le lien entre les décisions d’investissement et la valeur fondamentale des actifs est ténu, voire absent.

Et il y a l’utilisation de produits dérivés, qui peut accélérer le problème. Plutôt que d’acheter et de vendre chaque jour les actions dont ils ont besoin pour suivre la valeur des indices, ce qui gonfle rapidement la facture, certains gestionnaires s’en remettent à des contrats à terme ou à d’autres produits dérivés. Or ces produits sont généralement achetés avec un fort effet de levier, selon M. Chaudhury, l’acheteur n’ayant à débourser que de 10 % à 15 % de la valeur.

« Si les fonds indiciels commencent à baisser, les pertes des gens qui ont pris des positions longues vont augmenter rapidement. À cause de l’effet de levier, une petite variation peut entraîner de grandes pertes, et ces gens-là peuvent disparaître rapidement. Il y a aussi des gens qui assurent ces positions et qui pourraient se faire prendre la main dans le sac. »

Ce scénario est celui qui a poussé de grandes institutions financières vers le précipice en 2008.

Il y a toutefois des facteurs atténuants, selon M. Chaudhury. Des règles adoptées après la crise ont limité les risques que peuvent prendre des institutions financières. Et les actifs à la base de la pyramide – des actions d’entreprise plutôt que des hypothèques à haut risque – sont plus solides et mieux compris par les marchés.

Est-ce le seul problème ?

La gestion dite « passive » associée aux fonds indiciels pose un autre problème, selon Lorne Switzer, professeur de finance à l’Université Concordia, qui ne croit par ailleurs pas tellement aux risques énoncés par M. Burry.

« Ça pose un problème de gouvernance. Si tout le monde investit là-dedans, qui va gérer les entreprises ? Qui va mettre à la porte un président incompétent ? Ce ne sont pas les sociétés de fiducie où sont déposées les actions des fonds indiciels qui vont aller voter pour cela. »