Alain n'est pas très heureux ces temps-ci. Directeur adjoint dans un commerce de détail, l'homme de 41 ans estime que les employés ne respectent pas ses directives et que le propriétaire ne l'appuie pas dans ses décisions. La situation est d'autant plus éprouvante que, voilà trois ans, l'entreprise lui appartenait.

« À la suite de ma séparation d'avec ma conjointe, j'ai obtenu la garde complète de mon enfant, raconte-t-il. Cependant, mon horaire d'entrepreneur n'était pas compatible avec mes responsabilités familiales. J'ai décidé de vendre ma compagnie à un compétiteur. Le nouveau propriétaire m'a proposé de rester à titre de directeur adjoint pour un mandat de cinq ans. Mais les choses n'ont pas tourné comme prévu. On m'a fait bien des promesses qui n'ont pas été respectées. »

Déçu et démotivé, Alain contemple son avenir. Il compte terminer son mandat. Après quoi, il pense pouvoir se trouver un emploi similaire. Il aurait déjà reçu des offres en ce sens. Son objectif ? « Je rêve de me retirer à 55 ans, ou du moins, de travailler à partir de cet âge à temps partiel », déclare-t-il tout en ne sachant pas s'il économise suffisamment pour y parvenir. Une fois retraité, il croit qu'un revenu de 40 000 $ serait suffisant pour lui permettre de maintenir son niveau de vie.

Présentement, il dit gagner un salaire brut de 45 000 $ auquel s'ajoute un boni annuel variant entre 15 000 et 20 000 $. Il est certain d'obtenir une rémunération similaire dans une autre entreprise - si, comme prévu, il quitte son employeur actuel au terme de son contrat. « Je n'aurais peut-être pas le boni en commençant », convient-il.

Alain ne jouit pas d'un fonds de pension de son employeur. Il a placé les profits de la compagnie et le fruit de la vente dans un fonds commun de placement. Une somme qui, avec les intérêts, se chiffre à 305 000 $. Chaque année, il met de côté environ 10 000 $ dans son REER qui vaut 225 000 $. C'est d'ailleurs les seules épargnes qu'il effectue présentement. Il possède aussi 30 000 $ dans un CELI, 8000 $ dans un REEE, un petit montant de 1225 $ dans un REER du Fonds de solidarité FTQ, ainsi que 60 000 $ en parts de capital Desjardins.

En 2014, il a acheté une propriété d'une valeur de 529 000 $. Son solde hypothécaire est de 280 000 $ et ses paiements mensuels sont de 1600 $. « Je pense la revendre d'ici cinq ans et acheter une demeure avec ma nouvelle copine, indique-t-il. On prévoit investir un montant de 300 000 $ chacun, ce qui signifie que je n'aurais plus de dette hypothécaire. »

Comme son ancienne conjointe a désormais la garde complète de leur enfant, il lui verse chaque mois une pension alimentaire de 490 $. Selon ses calculs, il dépense un total d'environ 2000 $ par mois pour tous les autres postes budgétaires.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE-MONTREAL, QC. 17 juin 2014 17/06/2014-Stock shot, photo illustration : personne agee, retraite, petite-italie, petite-patrie, vieillesse

PORTRAIT

Alain, 41 ans, directeur adjoint d'un commerce

REVENUS

Salaire brut : 45 000 $

Boni de fin d'année : de 15 000 et 20 000 $

ACTIFS

REER : 225 000 $

Fonds commun d'investissement : 305 000 $

Parts en capital de Desjardins : 60 000 $

CELI : 30 000 $

Fonds FTQ : 1225 $

REEE : 8000 $

DETTES

Solde hypothécaire : 280 000 $

DÉPENSES MENSUELLES

Pension alimentaire : 490 $

Paiement hypothécaire : 1600 $

Dépenses domestiques : environ 2000 $

UN PROJET TROP AMBITIEUX

Au risque de décevoir Alain, l'idée de prendre sa retraite à 55 ans en espérant un revenu annuel de 40 000 $ est trop ambitieuse, selon Jean-Nagual Taillefer, planificateur financier et président de Services financiers Jean-Nagual Taillefer.

« Il lui faudrait économiser plus de 20 000 $ par année pour y parvenir, dit-il. S'il peut vivre en épargnant cette somme, a-t-il vraiment besoin de 40 000 $ à la retraite ? Cela lui laisserait beaucoup moins d'argent maintenant que ce qu'il envisage de dépenser à la retraite. »

Le concept de Liberté 55 est un objectif de plus en plus irréaliste pour la plupart des gens, estime l'expert. « C'est un rêve passager instauré par les compagnies de placements et d'assurances qui se sont emballées durant les années 90, une période où les rendements boursiers oscillaient constamment au-dessus des 10 % par année, rappelle-t-il. La société et nos gouvernements tendent désormais vers une retraite plus tardive que le fameux 65 ans qu'on connaît comme étant l'âge normal de la retraite. »

DES CONCESSIONS À FAIRE

Cela dit, les calculs de M. Taillefer montrent qu'Alain pourrait espérer quitter le marché du travail à 55 ans s'il accepte de réduire ses attentes à l'égard de son revenu de retraite. « Il a quand même un bon pactole sur lequel il peut compter », observe-t-il.

Jean-Nagual Taillefer a basé ses projections sur un revenu brut de 60 000 $, ce qui comprend le salaire de base de 45 000 $ et la tranche inférieure du boni, soit 15 000 $. Le revenu net d'Alain s'établirait à 44 700 $ par année. Son coût de vie serait d'environ 38 400 $. C'est le total obtenu après avoir soustrait du salaire net les cotisations de 10 000 $ au REER et ajouté l'économie d'impôt générée de 3700 $. Cela laisse dire au planificateur qu'Alain vit avec moins d'argent qu'il n'en prévoit à la retraite.

« C'est un peu inhabituel. S'il prend une retraite précoce, il pourra compter sur environ 27 000 $ nets d'impôt par année. Cette somme correspond à 70 % de son coût de vie actuel. Après tout, la logique veut que les dépenses à la retraite soient légèrement inférieures à celles de la vie active. » - Jean-Nagual Taillefer, planificateur financier et président de Services financiers Jean-Nagual Taillefer

Cependant, à 55 ans, Alain ne recevra ni les prestations de la Régie des rentes du Québec ni celles de la pension de la Sécurité de la vieillesse. « Tout l'argent sortira de sa poche. Cela pourrait entamer très sérieusement ses épargnes, lui qui, déjà, ne profite pas d'un régime de retraite d'employeur », souligne l'expert, qui évalue les montants combinés des rentes publiques à environ 16 000 $. « Encore faut-il que le gouvernement provincial accorde à Alain 70 % de la rente maximale à compter de 65 ans », précise-t-il.

Pour arriver à ses fins, Alain devra économiser 3000 $ par année dans son REER (en tenant compte d'une probabilité de survie jusqu'à 90 ans et des normes d'hypothèses de projection de l'Institut de la planification financière du Québec).

Actuellement, il dépasse largement cet objectif, mais sera-t-il toujours en mesure de le faire, dans l'éventualité où il change d'emploi dans deux ans ? « Avec un revenu brut de 45 000 $, sans boni, cela lui laisserait 30 600 $ pour vivre, un nombre auquel j'arrive en déduisant les impôts et l'épargne retraite et en additionnant le remboursement d'impôt du REER », dit M. Taillefer qui, dans ses calculs, a aussi pris en compte l'achat éventuel d'une nouvelle maison qui amputera les épargnes d'Alain de 41 000 $.

« D'une part, il n'aura plus d'hypothèque à payer par la suite, mais de l'autre, il verra son rythme de vie actuel diminuer d'environ 20 %. Est-ce raisonnable pour lui ? Si c'est le cas, il peut envisager la retraite à 55 ans. » - Jean-Nagual Taillefer

D'AUTRES VARIABLES À CONSIDÉRER

Jean-Nagual Taillefer se fait néanmoins très prudent. « Pour les besoins de l'exercice, je n'ai pas pu prendre en compte toutes sortes de variables inconnues, chose qu'on devrait faire dans une planification de retraite en bonne et due forme : des rendements inférieurs aux attentes ; des problèmes de santé qui imposent un besoin de liquidités supérieur ; le risque de survie au-delà de 90 ans ; une hausse importante du coût de la vie ; une année de rendement fortement négatif juste à l'aube de la retraite ; une séparation conjugale, etc. » Par ailleurs, les rendements utilisés pour la projection actuelle sont hypothétiques et sont calculés en fonction d'un profil d'investisseur qui n'est peut-être pas celui d'Alain.

« Bien que monsieur soit tout près de son objectif - s'il accepte un revenu de retraite de 27 000 $ -, il y a trop d'éléments qui pourraient faire dérailler son plan, poursuit le planificateur financier. Je ne suis pas à l'aise de lui recommander une pleine retraite à 55 ans. »

Alain a aussi songé à une retraite progressive à partir de 55 ans. Une bien meilleure option aux yeux de Jean-Nagual Taillefer, qui lui suggère de travailler à temps partiel jusqu'à 60 ans révolus. « Il pourrait ainsi gagner juste assez d'argent pour couvrir la majorité de ses dépenses, tout en permettant à son capital retraite de croître », dit-il.