Remboursement des cartes de crédit, contrats de téléphonie cellulaire, éducation financière, règles d'emprunt hypothécaire... Le gouvernement conservateur s'est intéressé à divers problèmes de consommation pendant son règne. Mais dans bien des cas, il n'a pas mis fin aux pratiques abusives, disent les défenseurs des consommateurs, en faisant le bilan des années Harper.

MANQUE D'ENCADREMENT DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

Au cours de ses neuf années au pouvoir, le gouvernement Harper s'est penché sur divers enjeux de consommation. Depuis trois ans, surtout, le thème de la protection des consommateurs est l'un de ses favoris.

Sauf qu'on lui reproche de ne pas prendre les moyens nécessaires pour régler des problèmes connus.

« La voie que le gouvernement conservateur privilégie, c'est de demander aux entreprises de donner plus d'information à leurs clients, souligne Dominique Gervais, conseillère budgétaire à l'organisme Option consommateurs. Mais dans certains cas, il faudrait intervenir pour limiter et empêcher les pratiques abusives. Le gouvernement impose rarement des contraintes et des conséquences aux entreprises qui ne respectent pas leurs engagements. »

Cette façon de faire signifie que la responsabilité de lire toute l'information et de comprendre les conséquences de certaines pratiques repose sur les épaules du consommateur, note Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs. Bien sûr, chacun doit être responsable de ses décisions. Mais les produits financiers sont tellement complexes que bien des gens ne s'y retrouvent pas et n'en comprennent pas les répercussions sur leur situation financière.

« Quand il y a des abus, on ne devrait pas se contenter de demander aux entreprises des engagements volontaires, qui s'effritent avec le temps. »

- Philippe Viel, porte-parole de l'Union des consommateurs

Par exemple, depuis 2010, les émetteurs de cartes de crédit doivent indiquer à leurs clients, sur leur relevé de compte, combien il leur faudra de temps pour rembourser complètement leur solde s'ils ne font que le paiement minimum chaque mois. Sauf que le gouvernement n'a rien fait pour limiter les taux d'intérêt exigés, qui tournent autour de 20 % et peuvent atteindre 28 à 30 % pour les cartes émises par des détaillants, fait remarquer Dominique Gervais. Pas d'intervention non plus pour augmenter le paiement mensuel minimum, qui est généralement de 2 %. « Ça représenterait un plus gros montant à payer pour le consommateur, mais lui éviterait de traîner sa dette pendant trop longtemps et réduirait les intérêts payés », explique Mme Gervais.

Rembourser un solde de 2000 $ sur une carte de crédit dont le taux d'intérêt est de 18 % prendra 31 ans, si le client ne fait que le paiement minimum de 40 $ (2 %) chaque mois, selon l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. Et il aura payé 4900 $ en intérêts, une information qui ne figure pas dans la note informative sur le relevé.

« Les taux d'intérêt sont très bas depuis des années, mais les taux chargés par les cartes de crédit n'ont jamais baissé, souligne Philippe Viel. Si on a une dépense imprévue, une période difficile, une perte d'emploi, et qu'on doit utiliser notre carte de crédit sans pouvoir rembourser le solde au complet, ça peut prendre des années pour réussir à rembourser ensuite. Quand la spirale est entamée, c'est très difficile de s'en sortir. »

DES PÉNALITÉS SALÉES

Même chose pour les hypothèques. Les associations de consommateurs dénoncent depuis longtemps la méthode utilisée par les institutions financières pour calculer les pénalités lors d'un remboursement avant l'échéance, qui peuvent atteindre plusieurs milliers de dollars. En 2012, le gouvernement fédéral a adopté un Code de conduite pour les institutions financières sous sa juridiction, qui prévoit notamment une meilleure information sur la méthode de calcul des frais de remboursement anticipé. Mais il ne s'agit que d'engagements volontaires.

« Le gouvernement n'est pas intervenu pour limiter ces pénalités, souligne Dominique Gervais. Le fond du problème, c'est qu'elles restent abusives. »

Il y a deux façons de calculer la pénalité en cas de rupture du contrat hypothécaire. Les prêteurs choisissent le montant le plus élevé des deux, bref celui qui leur rapporte le plus.

1. le paiement de trois mois d'intérêts ;

2. le différentiel de taux : on calcule le taux d'intérêt officiel à la signature de l'hypothèque moins le taux officiel actuel, multiplié par le nombre de mois qu'il reste au contrat. Par exemple, un ménage ayant un solde hypothécaire de 200 000 $, au taux d'intérêt de 5 %, paiera une pénalité de 8600 $ s'il veut rembourser son emprunt maintenant, deux ans avant l'échéance.

« Donc, on laisse les institutions financières agir comme elles veulent, pourvu qu'elles en informent leurs clients », déplore Philippe Viel.

Le porte-parole de l'Union des consommateurs rappelle que le Fonds monétaire international a critiqué le Canada en 2014 parce que la croissance économique au pays est trop dépendante de l'endettement des ménages.

« On a resserré certaines règles pour les emprunts hypothécaires, mais il aurait fallu aller plus loin, par exemple en imposant aux prêteurs une vérification de la capacité réelle des ménages de rembourser un prêt, en tenant compte de l'ensemble de leurs obligations, dit-il. Et on laisse sur le marché des produits comme les hypothèques parapluie ou les hypothèques inversées, alors qu'on sait que c'est souvent néfaste pour les consommateurs. »

LES TÉLÉCOMS MISES AU PAS

Le gouvernement a été beaucoup plus sévère à l'endroit des entreprises de télécommunications, championnes des plaintes des consommateurs année après année. Il leur a imposé un code de conduite, obligatoire et assorti de contraintes.

Le Code sur les services sans fil limite les frais d'itinérance pour l'utilisation d'un cellulaire à l'étranger et les frais d'utilisation de données, et permet aux clients d'annuler leur contrat après deux ans, notamment. Même si tout n'est pas encore parfait en matière de contrats de télécommunications, ces règles ont été applaudies par les défenseurs des consommateurs.

« Le secteur financier aussi est problématique. Qu'on pense aux frais accompagnant les cartes de crédit ou au guichet automatique. Il faudrait intervenir de façon aussi stricte auprès du secteur bancaire [que de celui du sans-fil], mais il semble jouir d'une certaine immunité. »

- Dominique Gervais, conseillère budgétaire à l'organisme Option consommateurs

La représentante d'Option consommateurs est curieuse de voir quels enjeux de consommation seront évoqués au cours de la campagne électorale en cours.

Les priorités, selon elle ?

La désignation d'un ministre responsable des consommateurs et l'encadrement des taux d'intérêt sur les cartes de crédit.

Ces questions relèvent actuellement d'Industrie Canada, du ministère des Finances ou d'autres ministères, comme les contrats de télécommunications qui sont encadrés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, lui-même sous la responsabilité de Patrimoine Canada.

Aussi, selon Mme Gervais, la modernisation de la Loi sur la concurrence serait bénéfique pour empêcher les faux soldes de la part des détaillants, avec des amendes vraiment dissuasives, ainsi qu'un meilleur encadrement des agences de crédit, qui déterminent leurs propres règles pour fixer les cotes de crédit, conservent des renseignements personnels et n'ont pas à répondre de leurs erreurs.

DES PROGRÈS JUGÉS INSUFFISANTS

Où le gouvernement Harper a-t-il agi et où les consommateurs sont-ils laissés pour compte ? Voici quelques exemples concernant les institutions financières.

SERVICES BANCAIRES

PLUS

À la demande du gouvernement, les banques offrent des forfaits de services à prix modique - environ 4 $ par mois pour 12 transactions.

Le gouvernement a appuyé en juin une motion du Nouveau Parti démocratique à la Chambre des communes demandant aux banques de cesser la pratique appelée « payer pour payer », soit des frais pour effectuer des versements hypothécaires ou l'envoi d'un relevé de compte par la poste, par exemple.

MOINS

Pas de limite aux frais bancaires.

« Il ne semble pas y avoir de véritable concurrence entre les banques pour les frais bancaires, remarque Philippe Viel, de l'Union des consommateurs. Quand l'une d'entre elles augmente ses frais ou invente de nouveaux tarifs, les autres suivent. »

Frais pour fermeture de compte, pénalités pour transférer des placements.

« Ces frais sont un frein à la concurrence et au libre marché, alors que le gouvernement conservateur est censé encourager la libre concurrence, ajoute M. Viel. Contrairement aux assurances, où on peut magasiner pour économiser, c'est difficile de magasiner ses services financiers quand on est insatisfait, à cause des frais. »

Dans le discours du Trône, en 2013, le gouvernement s'était engagé à mettre un terme aux politiques « payer pour payer », notamment afin d'interdire les frais pour l'obtention de relevés papier. Mais ces pratiques ont toujours cours.

Le gouvernement prévoyait élargir les services bancaires de base sans frais. Pour le moment, les services gratuits sont offerts seulement aux 18 ans et moins, aux étudiants et aux personnes âgées à faible revenu (qui reçoivent le supplément de revenu garanti).

ACCESSIBILITÉ DES FONDS APRÈS LE DÉPÔT D'UN CHÈQUE

PLUS

Imposition d'une limite à la période pendant laquelle une banque peut retenir les fonds et empêcher les retraits après le dépôt d'un chèque.

Chèque de 1500 $ ou moins : limite de quatre à cinq jours ouvrables.

Chèque de plus de 1500 $ : limite de sept à huit jours ouvrables.

La première tranche de 100 $ doit être accessible immédiatement ou le jour suivant.

MOINS

Les fonds pourraient être accessibles plus rapidement.

« Tout est informatisé maintenant, il n'y a pas de raison d'imposer de tels délais », dit Dominique Gervais, d'Option consommateurs.

ENCADREMENT DES BANQUES

PLUS

Dans son budget d'avril dernier, le ministre des Finances, Joe Oliver, a annoncé un nouveau cadre de protection des consommateurs de produits et services financiers, pour notamment demander une meilleure divulgation d'informations de la part des banques, interdire les techniques de vente sous pression et prévoir une période de réflexion permettant d'annuler un contrat, entre autres.

MOINS

Pas d'intervention sur les frais exigés par les banques et les autres pratiques qui coûtent cher aux consommateurs.

Le cadre de protection avait déjà été annoncé dans le budget 2013, mais il n'est toujours pas adopté.

Modification du préambule de loi sur les banques pour préciser qu'elles sont « exclusivement » de compétence fédérale, ce qui nuit aux efforts des provinces qui voudraient imposer des exigences plus strictes aux institutions financières en matière de crédit, comme le Québec a déjà tenté de le faire.

CRÉDIT

PLUS

Depuis 2010, on indique sur le relevé mensuel combien il faudra de temps pour rembourser le solde en ne faisant que le paiement minimum.

Tous les frais de crédit sont résumés sur une page lors de la signature d'un contrat de carte de crédit.

Interdiction d'augmenter la limite de crédit sans la permission du client.

Obligation d'offrir une période de grâce sans intérêts d'au moins 21 jours sur les nouveaux achats - auparavant, le consommateur pouvait perdre cette période de grâce s'il traînait un solde impayé.

MOINS

Pas de limite aux taux d'intérêt exigés.

Pas d'obligation d'ajuster les taux à la baisse lorsque le taux directeur diminue.

Pas d'exigence au sujet du paiement minimum exigé chaque mois (2 % du solde), pour limiter la durée du remboursement et les intérêts payés.

HYPOTHÈQUES

PLUS

Resserrement des modalités de prêt.

Pour avoir droit à l'assurance hypothécaire garantie par l'État, la mise de fonds doit être d'au moins 5 %, la période d'amortissement est limitée à 25 ans et, lors d'un refinancement, les consommateurs ne peuvent emprunter plus de 80 % de la valeur de leur propriété.

Obligation de mieux informer les clients sur la méthode de calcul des frais de remboursement anticipé.

MOINS

Pas d'encadrement des pénalités en cas de remboursement anticipé, qui peuvent atteindre plusieurs milliers de dollars.

Pas de changement à la façon d'évaluer la capacité d'emprunt des ménages, qui ne tient pas compte de toutes leurs obligations financières.

DES AVANCÉES EN TÉLÉCOMMUNICATIONS

Au cours des dernières années, le gouvernement conservateur est aussi intervenu dans les secteurs des télécommunications et de l'éducation financière, mais il a été peu actif pour les voyageurs. Petit tour d'horizon.

TÉLÉCOMMUNICATIONS

PLUS

Nouveau code de conduite des services sans fil, obligatoire et contraignant, qui prévoit notamment une limite de 50 $ par mois pour l'utilisation de données, une limite de 100 $ de frais d'itinérance à l'étranger, la possibilité de résilier son contrat après deux ans et de faire déverrouiller son téléphone pour changer de fournisseur, entre autres mesures.

Nomination d'un Commissaire aux plaintes relatives aux services de télécommunication (CPRST), qui règle les plaintes des consommateurs de façon efficace.

Loi antipourriel qui interdit aux entreprises de vous envoyer des courriels sans votre accord.

MOINS

Fin du service analogique en télévision, ce qui empêche les consommateurs d'avoir accès gratuitement à certaines chaînes.

Pas d'exigence d'offrir l'accès à l'internet haute vitesse dans toutes les régions.

Pas de limite au tarif exigé pour chaque méga-octet de données, lors de l'utilisation d'un cellulaire à l'étranger.

La loi antipourriel est difficilement applicable aux entreprises basées à l'étranger.

ÉDUCATION FINANCIÈRE

PLUS

Nomination d'un chef de la littératie financière, qui prépare notamment une stratégie nationale pour améliorer les connaissances des Canadiens en matière financière.

Le gouvernement a obtenu un engagement de 10 millions des banques pour le financement de projets d'éducation financière.

MOINS

Les banques peuvent sembler en conflit d'intérêts lorsqu'elles participent à des programmes d'éducation financière.

« C'est bon pour leur image, elles soulignent qu'elles peuvent conseiller les consommateurs, mais elles ont aussi des produits à vendre, souligne Philippe Viel. Quand on traverse des difficultés financières et qu'on contacte un conseiller à notre banque, va-t-il nous proposer un nouveau prêt ? »

TRANSPORT AÉRIEN

MOINS

Pas de progrès au sujet d'une éventuelle charte des voyageurs aériens, pour les protéger en cas de retard, d'annulation, de surréservation ou de perte des bagages.

Le gouvernement s'est opposé deux fois à des projets de loi présentés par l'opposition néo-démocrate à ce sujet.