Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Luc Vallée, stratège en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne (VMBL).

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

Ce sont les propos sur la remontée attendue des taux d'intérêt aux États-Unis qu'a tenus mardi Dennis Lockhart, président de la Réserve fédérale de la Banque d'Atlanta, une division régionale de la Réserve fédérale américaine (Fed).

M. Lockhart est un membre influent de la haute direction de la Fed. Dans ses propos, il a essentiellement « ramené le train sur les rails » en ce qui concerne les intentions de la Fed de remonter les taux d'intérêt dans quelques semaines, probablement en septembre. Il a voulu atténuer les doutes exprimés récemment à ce sujet par des analystes et des économistes, après une série d'indicateurs économiques considérés comme décevants aux États-Unis.

Sur la Bourse américaine, ces propos de M. Lockhart ont secoué une certaine complaisance qui prévaut, à mon avis, envers l'impact d'une remontée de taux sur des cours boursiers et des multiples de valeur déjà relativement élevés.

D'ailleurs, des pressions baissières se sont manifestées ces derniers jours sur les principaux indices boursiers américains. Et l'annonce vendredi de chiffres de création d'emplois plutôt bons aux États-Unis a maintenu cette tendance.

À mon avis, ce n'est encore que le début - par 2 % environ - d'une correction qui pourrait atteindre les 4 à 5 % sur la Bourse américaine à court terme.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment?

Ce sont surtout des indicateurs de l'économie américaine, dans l'attente d'une remontée de taux par la Fed.

En particulier, les données sur l'emploi, la croissance économique et l'inflation aux États-Unis, puisqu'elles sont déterminantes pour la conduite de la politique monétaire par la Fed au cours des prochains mois.

Ensuite, l'évolution de cette politique monétaire a un impact majeur sur le cours des devises par rapport au dollar américain, ainsi que sur les marchés boursiers et obligataires.

Dans ce contexte, les données de l'emploi aux États-Unis en juillet, publiées vendredi, se sont avérées satisfaisantes.

Il s'agit aussi d'un scénario idéal pour la présidente de la Fed, Janet Yellen, en préparation d'une hausse de taux attendue en début d'automne, sans doute en septembre.

Tant que les principaux indices économiques aux États-Unis demeureront en progression régulière, sans sursaut, la prochaine hausse de taux par la Fed pourra demeurer modeste, et d'un impact moindre sur les marchés financiers.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Sur la Bourse américaine, nous favorisons le secteur industriel, en particulier les transporteurs ferroviaires comme Union Pacific, et le secteur financier, en priorité les grandes banques comme Bank of America, dont les marges bénéficiaires devraient profiter d'une prochaine remontée des taux d'intérêt.

Nous favorisons aussi les titres des technologies de l'information, comme le fabricant de microprocesseurs Intel.

Sur la Bourse canadienne, nous préférons les secteurs et les actions d'entreprises qui bénéficient de la faiblesse du dollar canadien pour exporter aux États-Unis.

Entre autres, les entreprises des technologies de l'information comme CGI devraient profiter de la reprise aux États-Unis et de la faiblesse du huard pour développer leurs affaires sans subir la concurrence d'entreprises des pays émergents, comme c'est le cas dans le secteur manufacturier.

Aussi, malgré les vents de face dans l'économie canadienne et les baisses de taux, les profits des banques sont toujours en croissance. Pourtant, leurs actions en Bourse ont subi une correction importante depuis le début de l'année. Cette baisse constitue une occasion pour les investisseurs, à notre avis.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci?

Nous préférons éviter les titres du secteur des matières premières et de l'énergie en raison, de la faiblesse de la demande en Chine.

Nous évitons aussi les actions des marchés émergents, en raison de la correction boursière en Chine et des déboires économiques du Brésil et de la Russie. D'autant que les investissements dans ces titres sont difficiles et coûteux à couvrir contre le risque de change à un moment où le risque de dévaluation des devises de ces pays émergents nous semble élevé ces temps-ci.

Par ailleurs, les placements obligataires demeurent peu attrayants à notre point de vue. 

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement?

C'est le risque d'une dévaluation de monnaie (le yuan) par le gouvernement de la Chine. Une telle dévaluation serait particulièrement néfaste pour les exportateurs canadiens qui font concurrence à la Chine et au Mexique sur leur marché le plus important, c'est-à-dire les États-Unis.

Par exemple, pour la première fois depuis longtemps, les ventes de voitures en Chine baissent cette année. En dévaluant sa monnaie, la Chine pourrait donc chercher à écouler son surplus de production de voitures ailleurs sur la planète.

En fait, il semble que la transition de la Chine d'une économie basée sur la croissance des exportations à une économie basée sur la croissance de la consommation intérieure soit plus difficile que prévu.

Une dévaluation du yuan pourrait rehausser la croissance économique chinoise, mais elle jetterait une douche froide sur l'industrie automobile canadienne et sur tout le secteur des manufacturiers exportateurs.

Or, le gouverneur Poloz (Banque du Canada) compte sur ces manufacturiers exportateurs pour relancer l'économie canadienne et compenser les effets de la baisse du prix des ressources et du pétrole sur les provinces de l'Ouest.