Lion Électrique n’a pas fini de compter ses sous. Après une troisième réduction d’effectif en six mois – une décision imputée à la lourdeur bureaucratique d’un programme fédéral –, le constructeur d’autobus scolaires et de camions électriques poursuit son régime minceur en passant au peigne fin d’autres dépenses.

Dépenses de loyer, honoraires professionnels, consultation et développement de produits : l’entreprise québécoise, soutenue financièrement par Québec et Ottawa, semble vouloir retourner toutes les pierres dans l’espoir d’atténuer les pressions financières qui l’affligent depuis plusieurs mois maintenant.

Le couperet est une fois de plus tombé dans l’entreprise établie à Saint-Jérôme, dans les Laurentides, jeudi. Quelque 120 personnes qui occupaient des « fonctions corporatives et de développement de produits » perdent leur gagne-pain. Ces nouvelles coupes portent à 370 le nombre d’emplois supprimés depuis novembre dernier. Lion évoque une fois de plus les « retards » d’un programme fédéral, ce qui met à risque la moitié de son carnet de commandes.

« Nous regrettons profondément l’impact que cette décision aura sur nos employés », a déclaré son fondateur et chef de la direction, Marc Bédard. « Cependant, il est essentiel que nous ajustions nos effectifs à l’évolution de notre environnement. »

L’argent public dans Lion Électrique

  • 2008-2021 : 7 millions en subventions du gouvernement du Québec pour la recherche et développement
  • 2021 : 19 millions d’Investissement Québec (IQ) pour l’achat d’actions
  • 2021 : 100 millions en prêts de Québec et Ottawa
  • 2022 : 15 millions en prêts de la Caisse de dépôt et placement du Québec
  • 2023 : 98 millions prêtés par IQ et le Fonds de solidarité FTQ

M. Bédard n’était pas disponible pour accorder des entrevues, jeudi. Lion estime que les compressions annoncées depuis l’automne dernier lui permettront d’économiser annuellement 40 millions sans avoir d’incidence négative sur la capacité de ses usines de production à Saint-Jérôme et à Joliet (Illinois).

Inquiétude

Les nouvelles compressions ont continué à alimenter les craintes des investisseurs. À la Bourse de Toronto, jeudi, le titre de Lion a touché un nouveau creux (1,28 $) avant de terminer à 1,33 $, en recul de 7,6 %, ou 11 cents. Sur Wall Street, où l’action de Lion est également négociée, le titre a glissé à un niveau inférieur à 1 $ US – une première.

Le spécialiste québécois des autobus scolaires et camions électriques est sous forte pression financière. Il ne restait que 30 millions US dans ses coffres au début de l’année. Sa facilité de crédit lui offrait 63 millions supplémentaires. Cela paraît peu étant donné que Lion, qui est toujours déficitaire, a « brûlé » 110 millions US l’an dernier.

L’entreprise estime cependant que sa vague d’investissements visant à achever sa chaîne de montage aux États-Unis et son usine de batteries à Mirabel est terminée, ce qui devrait lui offrir un peu de répit. Elle estime que ses dépenses d’investissement devraient être inférieures à 10 millions US cette année.

Lourdeur bureaucratique

C’est le Fonds pour le transport en commun à zéro émission (FTCZE), en place depuis plus de deux ans, qui donne des maux de tête à Lion. Ce programme vise à stimuler l’électrification dans des créneaux comme le transport collectif et le transport scolaire. Il peut couvrir jusqu’à 50 % des coûts d’acquisition.

Bon nombre de commandes annoncées par Lion étaient conditionnelles aux subventions fédérales. Même si le FTCZE est en place, l’argent se fait toujours attendre. Ce voyant rouge est apparu sur le radar d’analystes financiers.

« Les clients de Lion sont toujours confrontés à des retards, ce qui entraîne une augmentation des stocks et l’annulation de certaines commandes », souligne l’analyste Rupert Merer, de la Financière Banque Nationale, dans une note envoyée à ses clients.

Le Québec dispose déjà de son propre programme d’électrification du transport scolaire, mais dans le reste du pays, la plupart des provinces misent sur le FTCZE pour y accélérer le virage électrique. Ce sont les transporteurs scolaires qui doivent effectuer les démarches auprès d’Ottawa pour avoir droit aux subventions. Dans un courriel, Lion qualifie ce processus de « complexe », avec des délais qui « continuent à s’accumuler ».

L’entreprise convient qu’un déblocage se refléterait rapidement sur sa performance.

« Si le FTCZE accélère le traitement de ces dossiers et approuve le financement de projets de transport scolaire, cela aura un impact positif sur nos livraisons en lien avec les commandes que nous avons déjà et d’autres commandes pourraient également s’ajouter », explique Lion, sans toutefois fournir de données précises.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre Pierre Fitzgibbon

Interrogé à l’Assemblée nationale sur les mauvaises nouvelles annoncées par Lion, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a plaidé pour une amélioration de l’efficacité des mesures fédérales.

Ce qu’ils [Lion] produisent fonctionne. Les Québécois qui utilisent les autobus électriques sont satisfaits. On est satisfait au Québec de l’adoption d’autobus électriques. On aimerait voir le fédéral faire la même chose.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Un dossier avance

Des nouvelles encourageantes pourraient attendre Lion. Dans une lettre datant de décembre dernier, le ministre fédéral du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, Sean Fraser, réitérait son offre de subventions à Lang Bus (Ontario) pour une commande de 200 exemplaires du modèle LionC de Lion Électrique. La Presse avait évoqué cette missive en février dernier. La commande en question avait été annoncée en 2021.

Selon une source fédérale, le délai dans ce dossier n’est pas attribuable au Ministère et un dénouement positif semble envisageable. Dans sa lettre, M. Fraser soulignait que le gouvernement fédéral était prêt à financer la commande à hauteur de 33 %, soit 21,6 millions.

Reste à voir quand cette entente pourrait être annoncée en bonne et due forme et si d’autres accords sont finalisés entre Ottawa et des transporteurs scolaires établis à l’extérieur du Québec.

Avec la collaboration de Charles Lecavalier, La Presse

L’histoire jusqu’ici :

27 novembre 2023 : Lion effectue une première coupe : 150 personnes sont licenciées au Canada et aux États-Unis.

29 février : Le quart de soir se retrouve au neutre à l’usine de Saint-Jérôme : 100 personnes sont mises à pied.

18 avril : Pour la troisième fois en six mois, Lion réduit son effectif. Quelque 120 personnes sont licenciées dans ses bureaux.

En savoir plus
  • 250
    Nombre de personnes licenciées au Canada et aux États-Unis en novembre dernier
    Source : Lion Électrique
    100
    Nombre de mises à pied à l’usine de Saint-Jérôme en février dernier
    Source : Lion Électrique