Alors qu’il défend depuis un mois sa décision de congédier le cofondateur et PDG de Gildan, Glenn Chamandy, le conseil d’administration du fabricant montréalais de vêtements accuse un important actionnaire dissident de violer une loi antitrust américaine, ce que cet actionnaire réfute.

Le conseil d’administration de Gildan soutient que le fonds de couverture américain Browning West a enfreint la loi américaine Hart-Scott-Rodino en accumulant des blocs d’actions de Gildan depuis un mois de façon à détenir une participation suffisante lui permettant de demander la tenue d’une assemblée extraordinaire des actionnaires afin de voter le retour en poste de Glenn Chamandy et de reconstituer le conseil d’administration.

En vertu de la loi canadienne sur les sociétés par actions, un actionnaire ne peut demander la tenue d’une assemblée extraordinaire qu’en détenant plus de 5 % des actions d’une entreprise.

La loi antitrust américaine Hart-Scott-Rodino oblige quant à elle un investisseur militant à aviser la Federal Trade Commission et le département américain de la Justice de ses intentions, et à respecter une période d’attente de 30 jours avant d’acquérir des titres avec droit de vote au-delà d’un certain seuil de propriété afin de laisser le temps aux autorités d’examiner le dossier.

Browning West détenait 4,8 % des actions de Gildan lorsque cet actionnaire américain s’est opposé publiquement, le 14 décembre, au congédiement de Glenn Chamandy survenu quatre jours plus tôt. Cette déclaration publique faisait de Browning West un actionnaire actif ou militant, et le fonds de couverture a par la suite demandé, le 9 janvier, la tenue, sans délai, d’une assemblée extraordinaire en précisant avoir augmenté à 5 % sa participation dans Gildan.

Gildan soutient que Browning West vient tout juste de l’informer qu’il déposerait un document conforme à la loi, « en retard et sous protêt pour éviter la responsabilité pour son défaut de respecter la loi ».

En laissant entendre que son dépôt était effectué sous protêt, Browning West amplifie ses erreurs et démontre sa réticence à assumer la responsabilité pour ses actes et son manque de compétence pour mener une bataille de procurations.

Le conseil d’administration de Gildan

« Sans les actions acquises en violation de la loi, Browning West n’aurait aucun droit légal de demander une assemblée », ajoute le conseil dans une déclaration formulée dimanche soir.

Browning West répond que le conseil cherche à invalider sa demande d’assemblée extraordinaire en se fondant sur une fausse prémisse.

« Il est évident que Browning West ne pose aucun problème antitrust substantiel à aucune autorité concernée. C’est pourquoi cette manœuvre ne fait que renforcer nos arguments en faveur de la révocation d’une majorité d’administrateurs », dit Browning West dans une déclaration envoyée à La Presse en soirée dimanche.

Une porte-parole de Browning West précise que la loi Hart-Scott-Rodino n’a pas été violée, car l’entité détenant les actions de Gildan n’est pas constituée aux États-Unis et que Gildan n’est pas non plus une entreprise ayant son siège social aux États-Unis.

Selon Browning West, le conseil fait des dépenses absurdes aux dépens des actionnaires en engageant plusieurs cabinets d’avocats, deux banques d’investissement, une boîte de relations publiques, un solliciteur de procurations et un enquêteur privé.

Browning West dit aussi avoir reçu des informations non sollicitées selon lesquelles le conseil tente de faire taire les actionnaires qui s’expriment en leur envoyant des lettres juridiques menaçantes.

L’actionnaire américain affirme que Gildan a retenu les services de son conseiller juridique, une « tactique déplorable qui pose de sérieux problèmes juridiques et éthiques ». Cet investisseur se dit préoccupé par le fait que des informations confidentielles de Browning West ont été partagées avec Gildan et ses conseillers et que la conduite du conseil ne fait que valider sa campagne.

Recours judiciaire ?

La question est maintenant de savoir si Gildan entamera un recours judiciaire contre Browning West ou si l’entreprise décidera plutôt de déterminer une date pour une assemblée extraordinaire ou de fusionner une assemblée extraordinaire avec l’assemblée générale annuelle des actionnaires habituellement organisée en mai chaque année.

L’analyste Martin Landry, de la firme Stifel/GMP, croit que la date de l’assemblée extraordinaire pourrait être fixée dans plusieurs mois plutôt que dans les semaines à venir. « Ce délai prolongé devrait donner au nouveau PDG Vince Tyra le temps d’établir son plan et de le communiquer aux investisseurs, ce qui pourrait lui permettre de gagner l’appui d’actionnaires en cours de route. »

Selon cet expert, plus l’assemblée extraordinaire tarde à se tenir, moins Glenn Chamandy a de chances d’être rétabli dans ses fonctions.

Glenn Chamandy a été destitué de son poste de PDG le 10 décembre. Le conseil avait justifié sa décision par des divergences liées au plan de succession et en soulignant que Glenn Chamandy souhaitait aller de l’avant avec une stratégie d’acquisitions risquée de plusieurs milliards de dollars.

Une dizaine d’actionnaires institutionnels indépendants, contrôlant environ 35 % des actions de Gildan, ont publiquement exprimé leur opposition au congédiement de Glenn Chamandy dans les dernières semaines.