Peut-on dire d’un forfait cellulaire qu’il offre des « données illimitées » quand sa vitesse sera réduite de plus de 99 % après un certain seuil ?

C’était la grande question posée dès 2019 par les associations de consommateurs lors de l’apparition de ces forfaits de « données illimitées » au Canada. Ce sera à la Cour supérieure d’y répondre, si elle autorise une action collective déposée au début du mois visant les trois géants canadiens des télécommunications, Bell, Telus et Rogers.

Menée par le cabinet montréalais LPC Avocats et Lex Group, cette demande d’autorisation a été déposée dans un premier temps le 4 décembre dernier contre Rogers et sa filiale Fido. Quatre jours plus tard, dans une version amendée, on y a ajouté Bell et Telus, ainsi que leurs filiales Virgin et Koodo. L’action collective englobe tous les abonnés canadiens. Elle doit dans un premier temps être autorisée par un juge de la Cour supérieure.

« Lorsque des commerçants font des déclarations fausses et trompeuses et qu’ils essaient de profiter des consommateurs, c’est une violation flagrante de la loi », affirme en entrevue MJoey Zukran, qui pilote le dossier. « C’est une publicité mensongère et frauduleuse. »

500 fois plus lent

Essentiellement, la demande reproche aux trois entreprises et à leurs filiales de faire de la « publicité trompeuse » en offrant ces forfaits cellulaires de « données illimitées ». Les modalités varient d’un fournisseur à l’autre, mais le principe reste le même : l’abonné à ces forfaits obtient un certain volume de données mobiles, généralement entre 10 et 100 Go, à pleine vitesse. Selon le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), la vitesse moyenne de téléchargement mobile était de 125 Mb/s en 2022.

Pour les forfaits de données illimitées, la vitesse est plafonnée après un certain seuil et tombe à 256 ou 512 kbit/s, soit une vitesse jusqu’à 500 fois plus lente que la moyenne canadienne.

Rogers fait également l’objet d’une autre dénonciation, concernant son forfait « Partout chez vous » ou Roam Like Home, en anglais. On reproche ici à Rogers d’affirmer faussement que ce forfait, offert pour les voyageurs aux États-Unis et dans 185 destinations internationales, permet d’obtenir le même service à l’étranger qu’au Canada.

Dans les faits, note-t-on dans la requête, l’utilisateur voit sa vitesse considérablement diminuée dès qu’il se connecte à un réseau à l’étranger. On note que Bell et Telus ne prétendent pas, de leur côté, que l’utilisateur obtient à l’étranger le même service qu’au Canada.

Vidéotron épargné

Bell, sur son site internet, soutient que cette vitesse de 512 kbit/s est suffisante « pour l’accès au courriel, la navigation sur le web et la messagerie ».

« On ne peut rien faire de fonctionnel à ce niveau de vitesse », affirme au contraire MZukran.

On peut effectivement à 512 kbit/s recevoir des courriels ou des textos, utiliser des applications de géolocalisation comme Waze et, avec certaines limites, se connecter à des plateformes comme Spotify ou TuneIn. Impossible toutefois d’accéder à du contenu vidéo et à de la musique haute définition, et il faudra environ 30 secondes pour afficher une photo de 2 Mo.

Fait à noter, la requête précise d’entrée de jeu que Vidéotron, qui n’utilise pas le terme « données illimitées » dans ses forfaits et dont la plupart des abonnés sont au Québec, n’est pas visé par cette action collective.

La raison, suppose le cabinet LPC dans sa requête : « Vidéotron connaît le test du “consommateur crédule et inexpérimenté » » en vigueur au Québec en vertu de la Loi sur la protection du consommateur.

« Ils sont très bien au courant de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada en ce qui concerne la fausse publicité », estime MZukran.

Selon la requête du cabinet LPC, le test serait différent dans ce domaine entre le Québec et le reste du Canada. « Au Québec, en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, la Cour suprême a tranché. Le test consiste à évaluer l’impression générale qu’a une publicité sur le consommateur crédule et inexpérimenté », explique l’avocat.

Dans une version précédente, le cabinet Lex Group n’était pas mentionné comme étant également le coordonnateur de cette demande d’action collective.