En raison du système mis en place pour augmenter le prix du pain tranché en gros, les ménages canadiens auraient déboursé quelque 4,3 milliards de dollars en surplus pour acheter cet aliment de base. Un montant plus élevé que l’amende record de 50 millions imposée à Canada Bread pour sa participation dans l’affaire.

« On avait estimé que [le stratagème] qui a duré 14 ans entre 2001 et 2015 – et qui impliquerait plusieurs autres entreprises – avait coûté entre 350 $ et 400 $ aux familles canadiennes en moyenne », évalue Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie.

Alors que Statistique Canada recensait 12,4 millions de ménages en 2008, on peut présumer que les sommes versées « en trop », selon Sylvain Charlebois, oscilleraient entre 4,3 milliards et 4,9 milliards.

Ainsi, le directeur du laboratoire estime que les entreprises impliquées ont fait d’énormes gains.

Or, le Bureau de la concurrence du Canada, qui poursuit son enquête « sur les allégations de fixation des prix visant d’autres entreprises, notamment Metro, Sobeys, Walmart, Tigre Géant et Aliments Maple Leaf », a refusé d’avancer des chiffres.

Il est souvent « très difficile » d’attribuer une valeur précise à la somme gagnée par une entreprise en raison d’un accord de fixation des prix (ou au surcoût payé par les victimes), a-t-on déclaré.

« En vertu de la loi, c’est l’accord lui-même qui constitue l’infraction, de sorte que notre enquête ne vise pas à déterminer combien une entreprise a gagné [ou quelle somme a été surfacturée aux clients] », commente Sarah Brown, porte-parole du Bureau de la concurrence. Elle affirme que les amendes ont un effet dissuasif sur les activités illégales.

Rappelons que, à la suite d’accords de fixation des prix en octobre 2007, Canada Bread a augmenté ses prix pour certains produits de pain frais de 12 cents ou 14 cents l’unité, selon le produit. Le Bureau de la concurrence souligne également qu’à la suite d’accords de fixation des prix en mars 2011, Canada Bread a augmenté les prix de certains produits de pain frais de 14 cents l’unité.

Les ventes annuelles de Canada Bread (Bon Matin, POM, Villaggio, Dempster’s, etc.) pour sa catégorie « produits de boulangerie frais » pour l’année 2007 étaient de 946 millions, et de 1,1 milliard pour 2011. Les produits de boulangerie qui ont fait l’objet de la fixation des prix ne représentaient pas toutes les ventes de cette catégorie, mais une majorité d’entre elles.

Canada Bread a versé 16,8 millions de dollars en dividendes à ses actionnaires en 2011, alors que 6,1 millions de dollars avaient été versés en dividendes au cours de chacune des quatre années précédentes.

Canada Bread était une entreprise inscrite à la Bourse de Toronto dont 90 % des actions étaient contrôlées par Aliments Maple Leaf durant les années où les arrangements illégaux ont été observés. L’entreprise mexicaine Grupo Bimbo a acheté Canada Bread en 2014 dans une transaction évaluée à 1,8 milliard de dollars.

De 2007 à 2011, Aliments Maple Leaf a ainsi touché un total de 37 millions en dividendes de la part de Canada Bread.

Grupo Bimbo soutient ne pas avoir été informée de la conduite antérieure, affirme ne pas l’avoir découverte au cours du processus d’achat, et précise n’avoir pris connaissance du stratagème de manipulation des prix du pain qu’en 2017.

Richard Lan était le grand patron de Canada Bread à l’époque des manœuvres illégales. Au même moment, il était également chef de l’exploitation du groupe alimentaire chez Aliments Maple Leaf.

Selon les faits rapportés, en 2007 et en 2010-2011, un ou plusieurs cadres supérieurs du boulanger Weston ont conclu plusieurs arrangements relatifs aux prix directement avec Richard Lan. Il est aujourd’hui retraité et il n’a pas été possible de lui parler jeudi.

Chez Aliments Maple Leaf, la direction dit ne savoir « absolument pas » pourquoi Canada Bread ou son propriétaire aurait conclu un accord de reconnaissance de culpabilité. « Nous n’avons connaissance d’aucun acte répréhensible de la part de Canada Bread ou de sa haute direction pendant la période où nous avons été un actionnaire », avance une porte-parole par courriel.

« Nous avons toujours agi de manière éthique et légale. Nous n’avons aucune connaissance d’activités inappropriées ou anticoncurrentielles, nous ne nous y sommes jamais livrés et nous nous défendrons avec vigueur contre toute allégation du contraire. »

D’autres révélations

Grupo Bimbo dit envisager toutes les options juridiques contre ceux qui sont responsables de la conduite ayant mené à l’enquête du Bureau de la concurrence.

Selon Sylvain Charlebois, l’enquête du Bureau de la concurrence qui vise d’autres entreprises pourrait lever le voile sur « d’autres révélations troublantes ».

Il déplore toutefois la lenteur des démarches. « Ça fait presque six ans qu’on n’entend pas parler de l’enquête. C’est quand même long. »