La facture bondit d’au moins un demi-milliard de dollars chez Nemaska Lithium, entreprise phare de la filière québécoise des batteries détenue à 50 % par Québec. Ce projet de mine et de transformation coûtera au bas mot 2 milliards, mais le gouvernement Legault promet que les efforts financiers tirent à leur fin.

Matériaux, équipements, main-d’œuvre… Lorsque la construction d’un nouveau complexe n’a pas débuté, le contexte inflationniste peut rapidement avoir un impact sur les budgets.

« On n’a même pas commencé à construire l’usine et chaque jour la facture monte », illustre une source gouvernementale au fait du dossier, mais qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement, pour donner une idée de l’ampleur du phénomène.

Invité à commenter ces informations, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, ne se défile pas. En entrevue avec La Presse, il n’écarte pas la possibilité que la somme totale soit encore plus élevée.

« Si vous parlez de l’usine et de la mine, vous avez raison, dit-il. Ce qui était 1,5 milliard il y a deux ans a forcément augmenté. On finalise le montage financier. Nous n’avons pas le chiffre précis. Mais c’est sûr qu’on y va. On ne veut pas perdre de temps. »

Cette décision d’aller de l’avant a récemment été officialisée par l’État québécois et l’autre copropriétaire, Livent, fournisseur de lithium transformé qui compte Tesla et BMW parmi ses clients. Elle s’accompagne cependant d’un effort financier considérable : jusqu’à 250 millions pour chacun des partenaires. À Québec, le Conseil des ministres a donné le feu vert à cette nouvelle injection de capitaux le 24 mai dernier.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon

Si la somme est déboursée en totalité, cela fera passer à 425 millions les capitaux investis par le gouvernement Legault dans la nouvelle mouture de l’entreprise, qui s’était placée à l’abri de ses créanciers à la fin de 2019 – ce qui avait fait perdre plusieurs dizaines de millions de dollars aux contribuables.

Essentiel

Dans le parc industriel et portuaire de Bécancour, Nemaska Lithium ambitionne de produire de l’hydroxyde de lithium – essentiel dans la fabrication des batteries lithium-ion pour véhicules électriques – en transformant le lithium extrait de la mine de Whabouchi, à environ 300 kilomètres de la baie James. Ce projet est l’une des cartes du gouvernement Legault pour attirer des fabricants de cathodes – qui représentent environ 40 % du coût d’une batterie – au Québec.

Un exemple : Ford, le premier client de Nemaska Lithium, songe sérieusement à venir s’installer à Bécancour pour y fabriquer des cathodes. Le constructeur automobile américain achètera jusqu’à 13 000 tonnes par an d’hydroxyde de lithium produit par l’entreprise québécoise. C’est environ le tiers de la production annuelle de son usine, dont le démarrage est prévu en 2026. Les travaux de construction viennent de débuter.

Professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM, Michel Jébrak n’est pas étonné de la flambée des coûts chez Nemaska Lithium. En plus de l’environnement inflationniste, on tente une incursion dans un tout nouveau secteur, fait remarquer le spécialiste.

L’inflation, tout le monde la vit, et l’industrie minière n’y échappe pas. Les dépassements de coûts, c’est aussi parce que l’on découvre la transformation. Cette partie est complètement contrôlée par les Chinois. Nous n’avons pas encore tout le mode d’emploi. Au fur et à mesure que l’on précise la taille des opérations, on va s’apercevoir que ça coûte plus cher.

Michel Jébrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM

On devrait avoir une meilleure idée du portrait d’ici la fin de l’été. Cela pourrait survenir « au mois d’août », affirme M. Fitzgibbon. Cet exercice devrait également coïncider avec l’annonce de nouveaux clients. Une facture plus importante pour le projet ne rime pas nécessairement avec d’autres chèques, affirme le ministre. Par exemple, des clients pourraient effectuer des « prépaiements » chez Nemaska Lithium même si l’usine de transformation n’a pas encore démarré.

« Au fur et à mesure que les clients lèvent la main, et il y en a plusieurs […], on peut demander cela aujourd’hui, dit le ministre. On n’aurait jamais pu exiger cela en 2018. Mais maintenant, ce produit [l’hydroxyde de lithium] est tellement recherché qu’on peut avoir des exigences. »

Risqué, avec du potentiel

Malgré les centaines de millions de dollars des contribuables en jeu dans ce dossier, M. Fitzgibbon souligne qu’à « ce moment-ci, il y a zéro subvention dans Nemaska Lithium ». Sans fournir de chiffres, il laisse entendre que la valeur de l’investissement a grimpé et que l’État québécois pourrait bien réaliser un profit lorsqu’il deviendra actionnaire minoritaire ou qu’il liquidera sa participation.

Depuis le début de l’année, Nemaska Lithium a perdu ses deux principaux dirigeants. Le poste du président et chef de la direction Spiro Pippos avait été supprimé en début d’année, et le départ du chef de l’exploitation Rober Beaulieu a été annoncé le mois dernier. M. Fitzgibbon est clair : c’est Livent qui sera responsable de la gestion des activités quotidiennes.

Consultez Un premier client, mais des patrons qui partent

L’histoire jusqu’ici

27 décembre 2019 : Nemaska Lithium se protège de ses créanciers.

24 août 2020 : Québec reprend l’entreprise avec la firme Groupe Pallinghurst.

2 mai 2022 : Livent rachète des intérêts de Pallinghurst.

24 mai 2023 : Québec et Livent injectent conjointement 500 millions dans Nemaska Lithium.

En savoir plus
  • 450 millions US
    Valeur de la participation de Livent dans Nemaska Lithium, selon son plus récent rapport trimestriel
    Livent
    71 millions
    Somme perdue par l’État québécois dans la débâcle de la première mouture de l’entreprise
    gouvernement du québec