(Montréal) Enfin transactionnel. Plus de deux ans après l’annonce de sa création par le gouvernement Legault afin de stimuler l’achat local, Le Panier bleu, qui passera d’OBNL à société privée, permettra aux consommateurs de faire des achats directement sur la plateforme dès l’automne prochain, tout juste à temps pour les Fêtes.

Bien que le projet de plateforme transactionnelle, dont les investissements totalisent 22 millions de dollars, soit finalement en train de se concrétiser, il continue d’essuyer de vives critiques. Selon Marie Beaupré, cofondatrice de l’entreprise Les Mauvaises Herbes, le futur fonctionnement de la plateforme ne sera pas « collé » sur la réalité des entreprises. Elle avance même que Le Panier bleu 2.0 viendra « compétitionner » son propre site de ventes.

Une société privée

D’abord lancé en avril 2020 sous forme d’organisme à but non lucratif, Le Panier bleu, un site répertoriant des commerçants québécois, appartient maintenant à Plateforme Agora inc. Cette société privée, fondée en février 2021 selon le Registraire des entreprises du Québec, est constituée d’actionnaires minoritaires dont Desjardins, Le Fonds de solidarité FTQ, l’entreprise Lightspeed, qui se spécialise dans le commerce électronique, et le gouvernement du Québec (Investissement Québec). D’autres partenaires pourraient s’ajouter. Impossible toutefois de connaître le montant de la transaction.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alain Dumas, directeur général du Panier bleu

« L’acquisition de la marque de commerce Panier bleu par Agora est une transaction privée entre l’entreprise et l’OBNL et nous ne sommes donc pas en mesure de divulguer le montant de celle-ci », a répondu Alain Dumas, directeur général de la plateforme, quelques heures après que le gouvernement eut annoncé lundi que le site deviendrait transactionnel.

Le gouvernement ne voulait pas exploiter ce site-là, a affirmé le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, à l’occasion du point de presse tenu à Montréal visant à faire part des transformations que subira Le Panier bleu d’ici l’automne. « Ce n’est plus un OBNL, c’est Agora qui a acheté la marque de commerce Panier bleu. Le gouvernement a mis 12 millions. Il n’y a aucun actionnaire majoritaire. »

La nouvelle version du site représente un investissement total de 22 millions de dollars. À titre d’OBNL, avant cette annonce, le site avait reçu 4,4 millions en subventions de la part de Québec.

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Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie

Selon Alain Dumas, également sur place aux côtés du ministre, la plateforme devient une solution de rechange pour les consommateurs qui veulent encourager les commerçants d’ici. « On ne fermera pas Amazon demain et on en est conscients », a-t-il toutefois admis.

Selon une étude réalisée par NETendances, en 2021, 48 % des achats en ligne des Québécois se sont faits sur le site d’Amazon, contre 19 % chez des marchands québécois en ligne. Près de 46 % des répondants ont toutefois affirmé avoir l’intention de magasiner sur le site du Panier bleu lorsqu’il sera transactionnel.

En janvier 2021, près de neuf mois après sa création, Le Panier bleu avait annoncé la mise en place d’une plateforme québécoise d’achats en ligne regroupant tous les détaillants d’ici qui souhaiteraient y adhérer. Cette place de marché devait en principe permettre aux consommateurs d’y faire leurs emplettes à l’automne de la même année. Le projet ne s’est toutefois pas concrétisé.

Pourquoi la plateforme a-t-elle mis tant de temps à voir le jour ? « On n’a pas cherché à faire un site transactionnel, on a vraiment cherché à faire un écosystème complet, et l’écosystème demande plus d’efforts qu’on croyait au départ, reconnaît Alain Dumas. On ne voulait pas décevoir les gens. C’est pour ça qu’on a vraiment pris le temps de le faire. »

Critiques des commerçants

Vivement critiqué au moment de sa création parce qu’il ne permettait pas aux consommateurs d’y effectuer des transactions, Le Panier bleu laisse encore certains commerçants sceptiques, car ceux-ci devront se plier à des exigences qui ne correspondent pas nécessairement à leur modèle d’affaires. Pressentie pour que son entreprise compte parmi les premières inscrites à la version 2.0, Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises Herbes, qui se spécialise notamment dans la préparation et la mise en vente de produits naturels de soins corporels et ménagers, n’a pas l’intention de faire le saut… pour le moment.

« Pour être sur Le Panier bleu, il faut être en mesure d’offrir nos produits avec le transport gratuit lorsque la facture dépasse 59,99 $, donne-t-elle en exemple. Si on jette un coup d’œil sur les sites des entreprises québécoises, pour avoir la livraison gratuitement, c’est rarement avec une facture inférieure à 70 $. Sur notre plateforme, on offre le transport gratuit à partir de 119,99 $. »

C’est comme si on nous disait : "Les entreprises, vous allez devoir vous arranger pour absorber le coût de la livraison".

Marie Beaupré, cofondatrice des Mauvaises Herbes

Mme Beaupré critique également le fait que sur Le Panier bleu, les commandes devront être traitées en deux jours. Une mission impossible, selon elle, pour des petites entreprises qui fonctionnent avec une équipe restreinte. Parfois, Les Mauvaises Herbes peuvent mettre jusqu’à sept jours pour gérer des achats en ligne.

« Je ne dis pas que c’est inintéressant, dit-elle en soulignant les nombreux efforts déployés. Mais ils ont quand même une grosse pente à remonter en termes de confiance des entrepreneurs et des clients. Disons que le premier départ n’a pas été super fructueux. »

Mode de fonctionnement et commissions

Pour le moment, le site transactionnel est en version bêta. Près de 100 marchands sont affichés sur cette « plateforme test » accessible à un nombre restreint de gens. Les consommateurs pourront y « magasiner » à partir de l’automne. Il sera alors possible d’effectuer une transaction directement sur la plateforme sans être redirigé vers le site du commerçant.

Impossible pour le moment de connaître le nombre de détaillants qui apparaîtront sur le site. Le Panier bleu invite les commerçants à s’y inscrire. Selon M. Dumas, Le Panier bleu ne s’est pas fixé d’objectif. « On veut être certains de couvrir toutes les régions du Québec, toutes les catégories de produits. »

Pour la première année, les commerçants qui souhaitent s’inscrire n’auront aucuns frais à payer. Par la suite, ils devront effectuer des paiements mensuels. Par contre, Le Panier bleu retiendra une commission sur chaque transaction pouvant varier entre 7 % à 15 %, selon la catégorie. Ainsi, dans le secteur de l’alimentation, la plateforme recevra 7 % du montant de la facture et dans le cas des vêtements, par exemple, 14 %.

Bien que la société souhaite éventuellement mettre en place une logistique de traitement des commandes, d’entreposage et de livraison, les consommateurs ne verront pas de camions aux couleurs de la plateforme circuler dans les rues. Le Panier bleu fera affaire avec des partenaires externes.

Des marchands québécois… et des produits d’ailleurs

Les détaillants qui voudront avoir une vitrine dans la nouvelle place de marché devront être québécois, en ayant leur siège social dans la province. Les entreprises doivent être détenues par au moins 50 % de Québécois. S’il s’agit d’une enseigne étrangère, elle pourra s’afficher sur le site si 75 % de ses magasins sont détenus par des franchisés de la Belle Province. Pour illustrer ses propos, M. Dumas a donné en exemple Sobeys, dont près de 95 % des magasins IGA sont propriétés de gens d’ici. Enfin, les articles vendus doivent se trouver au Québec au moment de la transaction.

En contrepartie, les produits offerts sur la plateforme ne seront pas tous made in Quebec. « On ne fera jamais de téléphone ou de télévision au Québec, a rappelé le ministre Fitzgibbon. Mais je préfère que les consommateurs les achètent à un marchand de proximité sur Le Panier bleu que sur Amazon. »

Les avantages

Par ailleurs, quels sont les avantages pour les commerçants, particulièrement ceux qui gèrent déjà un site transactionnel, de s’afficher sur Le Panier bleu ? « Le premier avantage, c’est vraiment une question de visibilité, répond Alain Dumas. Les investissements, ce n’est pas seulement pour la technologie. Ce sont des investissements pour faire connaître le site. Les commerçants sont obligés de dépenser des sommes énormes en publicité pour attirer des gens sur leur site. »

Il souligne également que la plateforme s’occupera du service à la clientèle et s’acquittera des frais reliés à l’utilisation d’une carte de crédit.

Mais pour Marie Beaupré des Mauvaises Herbes, les avantages ne pèsent pas assez lourd dans la balance. « Ce genre de plateforme-là, c’est une façon d’occuper l’espace et d’atteindre des clients que je n’atteindrais pas autrement, estime-t-elle. Mais ultimement, j’aime mieux les ramener chez nous. Tant qu’à y être, je vais pousser mes ventes sur mon site où je n’ai pas besoin de payer d’abonnement ni de commission. »