Les sommes que pourront réclamer les commerçants à la suite du règlement conclu dans le cadre du recours collectif contre Visa et Mastercard sont « ridicules », estime Michel Dépatie, propriétaire du Marché Dépatie, à Laval, qui s’inquiète pour la survie des marchands indépendants en raison des frais exorbitants que les entreprises de carte de crédit exigent toujours sur chaque transaction.

Celui qui agit également à titre de président du conseil d’administration de l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) milite depuis des années pour que le gouvernement fédéral fasse avancer le dossier. Il demande que les frais d’interchange imposés aux entreprises par les Visa et Mastercard de ce monde, chaque fois qu’un client règle sa facture avec sa carte, diminuent. Les libéraux de Justin Trudeau s’y étaient d’ailleurs engagés lors de la dernière campagne électorale.

En 2021, M. Dépatie a payé 250 000 $ de frais pour un total de 300 000 transactions. Par comparaison, les paiements Interac lui ont coûté 10 000 $ pour le même nombre de transactions.

Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), les commerçants doivent débourser entre 1,5 % et 4 % du montant total de la facture (avec les taxes) chaque fois qu’un consommateur règle une transaction avec sa carte.

Les cartes de crédit viennent énormément gruger les marges de profit de façon très, très, très importante. On travaille avec des marges bénéficiaires très minces en alimentation et ça vient affecter énormément la rentabilité de l’entreprise. C’est un gros problème.

Michel Dépatie, propriétaire du Marché Dépatie

Avant la pandémie, dans son supermarché, le taux d’utilisation de la carte de crédit par les clients s’élevait environ à 25 %. Il a maintenant atteint 35 %. « Si on se retrouve avec des taux d’utilisation de 75 %, 80 % ou même 90 %, ça sera la fin du commerce indépendant », prévient-il.

Selon les données révélées cette semaine par la firme d’analyse de crédit Equifax Canada, l’utilisation de la carte de crédit est en augmentation au pays. Les dépenses mensuelles liées à ce mode de paiement ont connu une hausse de 17,5 % au premier trimestre de 2022 par rapport au premier trimestre de 2021. Au Canada, c’est l’Ontario qui connaît la plus forte augmentation (20,4 %), suivi du Québec, qui a enregistré une hausse de 18,4 %.

« La demande comprimée et l’augmentation des déplacements à la suite de l’assouplissement des restrictions liées à la COVID-19, combinées à la hausse fulgurante de l’inflation, ont entraîné l’une des plus importantes augmentations des dépenses par carte de crédit de l’histoire », a déclaré Rebecca Oakes, vice-présidente, analyses avancées, d’Equifax Canada dans un communiqué.

Recours collectif

Par ailleurs, à la suite du règlement du recours collectif intenté en 2001 contre Visa et Mastercard, les commerçants qui en font la demande pourraient recevoir une portion des 131 millions que doivent verser les deux entreprises. Ils se feront ainsi rembourser en partie les frais imposés par Visa et Mastercard chaque fois qu’un consommateur utilise sa carte de crédit pour régler une transaction. Pour être admissible au remboursement, il faut avoir exploité un commerce entre le 23 mars 2001 et le 2 septembre 2021. Les entreprises doivent avoir également payé les frais d’interchange, explique Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales à la FCEI. Ce dernier qualifie cette décision de « bonne nouvelle ».

Les petits commerçants qui ont des revenus annuels inférieurs à 5 millions pourront réclamer jusqu’à un maximum de 600 $ et pour les plus gros, cette somme peut aller jusqu’à 5000 $. Les entreprises ont jusqu’au 30 septembre 2022 pour faire leur réclamation.

« C’est ridicule. Ce n’est rien », laisse tomber Michel Dépatie, dont les charges annuelles qu’il doit assumer pour les cartes de crédit dépassent largement le montant total du remboursement. Il a malgré tout l’intention de faire une réclamation.

« En vertu de ce règlement, les commerçants pourront également facturer des frais supplémentaires aux clients qui utilisent des cartes privilèges dans les provinces où c’est permis », souligne M. Guénette.

Les cartes de crédit privilèges qui permettent notamment aux utilisateurs d’accumuler des points engendrent des frais d’interchange beaucoup plus élevés que les autres types de cartes. À partir du mois d’octobre, les entreprises pourront donc réclamer une somme supplémentaire aux clients qui les utilisent. Seul le Québec ne permettra pas cette pratique en vertu d’une disposition de la Loi sur la protection du consommateur empêchant le commerçant de surfacturer, explique Jasmin Guénette.

« Nous, on veut que ça change », assure-t-il toutefois. La FCEI a bien l’intention de faire pression sur le gouvernement provincial à ce sujet.

Pour le propriétaire du Marché Dépatie, la vraie bataille concerne les frais appliqués sur toutes les cartes de crédit, sans distinction. Sinon, prévient-il, « on va se heurter à un mur ».