Un courtier déclaré coupable d’avoir racheté des données confidentielles sur des clients de Desjardins veut convaincre le chien de garde de l’industrie de se rétracter et de reprendre l’enquête à zéro. Selon son avocat, des documents rendus publics récemment démontrent que le vol de renseignements n’a eu lieu qu’après les faits qui lui sont reprochés.

Le comité de discipline de l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) a pourtant déjà tranché. Selon l’organisme, Mathieu Joncas a acquis des renseignements sur « 150 000 à 200 000 » clients du Mouvement sans leur consentement. Le courtier a reconnu avoir remis ces informations à un collègue en janvier 2017.

Le hic : en décembre, la Cour supérieure a rendu publiques des centaines de pages de documents concernant l’enquête sur le vol, à la demande des médias. Selon certaines déclarations, le principal suspect, Sébastien Boulanger-Dorval, a dit en mai 2019 qu’il vendait des informations dérobées « depuis 15 mois ».

Selon ces aveux, les données volées n’auraient donc pu être disponibles à la revente qu’en février 2018, soit plus d’un an après les achats de listes de Mathieu Joncas.

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Mathieu Joncas a acquis des renseignements sur « 150 000 à 200 000 » clients du Mouvement sans leur consentement. Le courtier a reconnu avoir remis ces informations à un collègue en janvier 2017.

Le Mouvement affirme par ailleurs que Sébastien Boulanger-Dorval est le seul employé soupçonné d’avoir dérobé des données confidentielles.

« Ces faits nouveaux […] rendent improbable que la liste provienne d’une institution financière, affirme dans sa requête l’avocat de Mathieu Joncas, Olivier Desjardins. Surtout, l’on ne peut plus conclure à un lien entre l’intimé et le vol de données de chez Desjardins, dont la seule source est M. Sébastien Boulanger-Dorval. »

Lors d’une audition devant le comité de discipline mardi, l’avocat de Mathieu Joncas, Olivier Desjardins, invoque aussi le rapport d’enquête de la Commission d’accès à l’information (CAI) sur le vol, publié en décembre 2020. Selon ce document, les lacunes dans la sécurité chez Desjardins ont permis d’y puiser des données confidentielles « sur une période de 26 mois » avant que le Mouvement ne s’en rende compte en mai 2019.

Selon le rapport de la Commission, le vol était donc théoriquement possible à partir de mars 2017, soit deux mois après les faits reprochés à Mathieu Joncas.

« Là on va arriver à la conclusion claire nette et précise : en décembre 2016 et janvier 2017, ce qu’on a vendu ne peut pas venir de chez Desjardins, a prétendu son avocat devant le comité de discipline. C’est physiquement impossible. Le voleur n’a pas accès à ce moment-là aux données et il n’a même pas commencé la revente. »

Contacté par La Presse, le Mouvement dit ne pas pouvoir se prononcer sur la demande de rétractation du courtier. « Pour notre part, l’ex-employé a exfiltré des données pendant au moins 26 mois, et ce, tel que mentionné dans les communiqués des commissaires publiés en 2020 », souligne cependant la porte-parole Chantal Corbeil.

Le rapport du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, rédigé en collaboration avec la CAI, mentionne effectivement une période d’« au moins » 26 mois.

100 000 $ pour les listes

Mathieu Joncas a reconnu avoir acheté des listes de clients de Desjardins contenant des informations financières, en payant environ 100 000 $ à Jean-Loup Leullier-Masse. La police soupçonne ce prêteur privé de Montmagny d’avoir lui-même acheté des données volées à Sébastien Boulanger-Dorval, avant de les revendre.

En 2021, Mathieu Joncas avait toutefois tenté de convaincre le comité de discipline que les données qu’il avait acquises pouvaient être calculées à partir de sources publiques. Sans succès. L’organisme a plutôt conclu qu’il s’agissait bien de renseignements confidentiels que le courtier avait obtenus sans consentement.

En plus des coordonnées des clients, ils contenaient des soldes hypothécaires, des taux d’intérêt, de l’information sur le crédit utilisé et sur les primes d’assurance vie.

En septembre, le comité de discipline a aussi jugé Mathieu Joncas coupable de ne pas avoir collaboré à l’enquête et de s’être placé en conflit d’intérêts en agissant à la fois comme courtier et comme prêteur privé avec certains clients.

Le syndic de l’OACIQ a contesté la demande de rétractation de Mathieu Joncas sur sa culpabilité.

Les parties se retrouveront devant le comité de discipline le 24 mars. Le chien de garde du courtage immobilier devra alors décider s’il prononce une sanction contre le courtier, ou s’il retire son verdict de septembre, pour éventuellement ordonner la reprise de l’enquête.

Les suspects dans l’enquête sur le vol de données chez Desjardins ne font toujours l’objet d’aucune accusation.

En savoir plus
  • 9,7 millions
    Nombre de personnes touchées par le vol massif de données chez Desjardins
    Rapports de la Commission d’accès à l’information et du commissaire à la protection de la vie privée du Canada
    200,85 millions
    Somme que Desjardins a mise de côté pour une entente de règlement à l’amiable après le dépôt d’actions collectives en lien avec le vol de données
    Desjardins