Des chaînes et des enseignes fort appréciées ont néanmoins disparu, laissant derrière elles des souvenirs sans prix. Tout au long de la semaine, cinq de ces magasins sont évoqués par nos lecteurs – plus de 700 avaient répondu à notre appel à tous.
Aujourd’hui : Pascal

Une seule vis. Minuscule de surcroît.

Mais dans les souvenirs de Camile Roberge, elle donne la pleine mesure de l’attention dévouée que les commis des grandes quincailleries Pascal portaient aux clients.

PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Pour Camille Roberge, la quincaillerie Pascal était l’équivalent d’« un gros RONA » au service à la clientèle irréprochable.

On parle d’une lointaine époque, bien sûr.

Le magasin Pascal était un hybride de Canadian Tire et de Réno-Dépôt avant la lettre.

C’était un gros RONA. Je ne pense pas qu’il y ait un Québécois de la région de Montréal qui n’ait pas acheté au moins une fois chez Pascal.

Camile Roberge

Son magasin de prédilection était situé au centre commercial Le Boulevard, à Saint-Léonard.

« C’était un endroit où le service était chaleureux, se remémore-t-il. C’était des bonhommes qui quelquefois avaient l’air taciturne, mais quand on leur adressait la parole, ça coulait bien. Ils étaient très serviables. »

Dans son souvenir, ils étaient tous âgés de 50 à 60 ans. « Des lunettes, les cheveux grisonnants. C’était à peu près tous le même modèle », décrit-il en riant doucement.

Ils avaient inventé le service à la clientèle avant le temps.

Camile Roberge

Notre homme parle en connaissance de cause.

« J’ai été vice-président d’une chaîne de magasins, un nom qu’on ne voit plus aujourd’hui : United Cigar Stores. J’ai été gérant des ventes chez Laura Secord et j’ai gagné ma vie pendant 30 ans à faire de la formation dans le commerce de détail : service à la clientèle, merchandising, gestion des stocks. »

Bref, il a ses « lettres de créance, en commerce de détail », lance-t-il avec un rire franc.

Rétrospectivement, et avec la perspective de sa longue expérience, il se souvient d’un magasin un peu brouillon, qui vendait un peu de tout pour la maison, avec une prédominance dans le vrac.

Ce n’était pas des magasins fashionable comme aujourd’hui. Mais quand même, il y avait une atmosphère qui faisait qu’on se sentait à l’aise d’aller magasiner là, de fouiller et de toucher à tout. On se sentait chez nous.

Camile Roberge

Il s’y rendait pour des fusibles, des ampoules, mille petits riens domestiques. « Dès que j’avais besoin de vis, de clous, d’un petit outil, c’est là que j’allais. » Pas de gros outils, toutefois. Il n’était pas un grand bricoleur, à l’époque. Il s’y était peut-être procuré « un rabot parce qu’[il s’était] fait une bibliothèque, ou une égoïne, mais ça se limite à ça ».

Une égoïne, les enfants, c’est une longue scie sans fil, mais sans électricité non plus, dont on se sert principalement de nos jours comme instrument de musique.

Du désordre alphabétique

Camile Roberge raconte que lors d’une conférence donnée à Québec, un spécialiste américain avait montré la photo d’un étalage où des sièges de toilette côtoyaient des boîtes à outils. Leur proximité était justifiée par l’ordre alphabétique : Toilet Seat et Tool box. « C’était un peu ce qu’on trouvait chez Pascal aussi », constate-t-il.

Mais ces contraventions aux meilleures pratiques du marchandisage sont rachetées par une anecdote qui est restée boulonnée dans sa mémoire.

L’évènement s’est produit au milieu des années 1960, estime l’homme de 76 ans.

« À l’époque, le dessus de la cuisinière était à bascule, relate-t-il. On pouvait soulever le dessus. Et il y avait une petite vis, en avant, qu’on pouvait serrer pour que ça ne bouge pas. Et je me souviens que sur la cuisinière de ma mère, la vis était rognée. On ne pouvait plus la visser. »

Drame.

Muni de l’objet fautif, il s’est rendu au Pascal voisin et s’est dirigé vers le rayon des clous, vis et boulons.

L’attachant commis attendait derrière son comptoir.

Camile Roberge a alors produit le corps du délit.

« Je lui ai dit : “Je m’excuse de vous déranger pour pas grand-chose. Est-ce que vous auriez une petite vis qui ressemble à ça ?” »

« Le commis m’a répondu : “On a tous les vices, chez Pascal, monsieur.” »

Le commis était pince-sans-rire – une expression quincaillière.

Muni de la vis incriminée, le commis s’est dirigé vers son arrière-boutique avec l’assurance d’un juge de la Cour suprême.

« Il est revenu au bout de 10 minutes avec une petite vis, exactement le modèle que je cherchais. Je n’en revenais pas ! »

— Combien ?

— Oh un gros six sous. »

« Six sous ! »

À peu près un demi-sou pour chaque minute qu’il y avait consacrée. Ou 30 cents l’heure.

« Et tout ça avec une bonhomie absolue ! Pas en rechignant parce que je prenais son temps ! »

Pendant une vingtaine d’années, Camile Roberge a donné des formations sur le service à la clientèle dans les commerces de détail.

« Si ces magasins avaient tous fait comme Pascal, j’aurais crevé de faim ! C’est l’image qui me reste de chez Pascal. »

J’ai ce couteau. C’est mon beau-père qui l’avait acheté chez Pascal dans les années 1960. Il est toujours très utilisé, et quand je le fais affûter, on me dit que c’est une très bonne qualité.

C. Morier

Des monstres et des dragons, aussi

On ne trouvait pas que de minuscules vis, chez Pascal.

Certains y achetaient aussi des espèces de dragons crachant le feu, ou des monstres bruyants dont les dents acérées creusaient des sillons dans le métal – aux yeux d’un jeune garçon, du moins.

Au tournant des années 1960, le père de Jean Latrémouille possédait dans Hochelaga-Maisonneuve quelques immeubles d’habitation, dont il faisait lui-même l’entretien.

Quand il avait besoin d’un outil spécial, il allait au Pascal sur Bleury et Saint-Antoine. C’était le magasin Craig, comme on l’appelait dans le temps.

 Jean Latrémouille

Contrairement aux autres magasins, celui-là avait une section semi-industrielle.

« Mon père connaissait les gérants de la place, on était bienvenus. Je parle des années 1950 et 1960. »

Un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître…

Pour réparer la plomberie antédiluvienne – et pour éviter les déluges –, son père devait fileter les extrémités des tuyaux de fer afin de les visser aux coudes et raccords.

« On avait acheté une machine pour fileter, avec quatre pattes. On était allés au magasin sur Craig. Mon père s’y était rendu deux ou trois fois pour vérifier si c’était le bon appareil. C’était quand même assez dispendieux. »

L’objet motorisé était impressionnant, même avec le regard rétrospectif d’un adulte.

« Ça avait l’air d’un cheval, cette affaire-là. Il y avait des serres et des bras de deux ou trois pieds de long. »

Dans un même souci d’efficacité, son père avait acquis au même endroit un chalumeau industriel pour décaper la peinture sur les boiseries ou les garde-corps.

« C’était une torche, décrit-il. Il y avait une petite pompe pour mettre de la pression, et une petite valve en haut. On l’ouvrait et ça coulait dans un petit réservoir sur le dessus, qu’il fallait faire chauffer. »

« Quand la partie supérieure était chaude, ça créait une flamme comme un lance-flamme. »

Avec sa poignée latérale, le sympathique appareil avait à peu près la taille et l’allure d’une ancienne cafetière à percolation.

Jean et son frère étaient incapables de s’en servir « parce que c’était trop pesant ».

Devenu un vigoureux adolescent, Jean a appris à l’utiliser pour décaper les escaliers et les plafonds des immeubles du paternel.

Il en brosse un tableau coloré : « C’était long et c’était chaud ! La peinture brûlante nous tombait sur la tête ! Et ça sentait le diable ! »

D’impérissables souvenirs…

L’autre côté du miroir

Le hasard – ou la nostalgie – a plus tard voulu que Jean Latrémouille voie l’autre côté du décor.

Devenu ingénieur industriel, il travaillait chez Bell Canada quand, en 1981, il a vu dans le journal La Presse une offre d’emploi pour un directeur de la distribution chez Pascal.

« Je connaissais les magasins Pascal par cœur, mais je ne connaissais rien à la distribution, raconte-t-il. Mais ma spécialité chez Bell était les études de rentabilité. »

L’entrepôt de Pascal avait en effet un grand besoin d’ordre et de méthode. Il comptait quelque 200 employés et une cinquantaine de chauffeurs pour les camions dont Jean Latrémouille avait aussi la responsabilité.

« Il n’y avait pas de plan d’entretien pour les camions. Ils réparaient à mesure que ça cassait », s’étonne-t-il encore.

La paperasse régnait. Les bons de commande étaient remplis à la main.

« On a modernisé beaucoup de choses, c’était au tout début des ordinateurs. »

Devenu membre de la Société de manutention du Québec, il a visité de nombreux entrepôts pour s’inspirer des meilleures pratiques.

Aux États-Unis, les premières quincailleries-entrepôts commençaient à apparaître, avec leurs étagères qui s’élevaient jusqu’au lointain plafond.

Pascal avait à cet égard une perspective à courte vue.

« Dans tous les magasins, la politique était que les étagères n’ont jamais plus de cinq pieds. Il fallait que le gérant puisse voir le magasin à la grandeur pour éviter le vol à l’étalage. »

Quand fut évoquée la timide éventualité d’élever les étagères à six pieds, « Pascal a dit : jamais on ne va faire ça. Imaginez le vol ! ».

Peut-être ne faut-il pas s’étonner que la quincaillerie se soit éteinte en 1991. En dépit de son nom, le magasin Pascal n’a pas connu de résurrection.

Quand j’étais petite, j’ai appris le nom « Pascal » bien avant le mot « quincaillerie » !

 S. Barker

Quand mon père a aménagé dans une RPA il y a deux ans, il s’est débarrassé de ses petits outils. Quelques-uns dans leur boîte et étiquette originales de la quincaillerie Pascal. Ça a fait renaître des souvenirs oubliés de mon enfance, quand il m’emmenait magasiner avec lui pour les travaux de rénovation qu’il finissait à temps partiel pour joindre les deux bouts !

D. Rhéault

Les concurrents de la nostalgie

Handy Andy

Handy Andy ! Chez nous, en Beauce, c’était le magasin de nos « grandes premières ». Premier vrai bâton de hockey. Premier vélo. Premier gant de baseball. Première perceuse. Première pinte d’huile pour ton premier bazou. Premier G.I. Joe. Un genre de Canadian Tire, mais à grandeur humaine. À Saint-Georges, quand tu voulais toucher à un morceau du paradis, tu devais descendre le grand escalier vers les jouets et les articles de sport.

L.-M. Caron

Direct Film

Aller faire développer un film chez Direct Film après avoir pris des photos avec mon Kodak !

N. Corriveau

La petite histoire de Pascal

Immigrant juif d’origine roumaine, Jacob Pascal ouvre en 1903 une première – et modeste – quincaillerie sur le boulevard Saint-Laurent, face au Monument-National.

Ses fils Maxwell, Hyman, Cecil et Arthur se joindront bientôt à lui.

Dès les années 1930, père et fils ouvrent des succursales dans divers quartiers de Montréal.

En 1950, lors de son agrandissement, le magasin amiral situé à l’intersection des rues De Bleury et Craig (maintenant Saint-Antoine) s’annonce comme « la plus grande quincaillerie au monde ».

Les descendants du fondateur créeront une division d’équipement pour l’hôtellerie et la restauration, une autre de fournitures industrielles, ainsi qu’une chaîne de magasins de meubles qui afficheront eux aussi le P rouge du logo bien connu.

À son apogée, l’entreprise a exploité 26 magasins au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

L’entreprise était toujours détenue par la troisième génération de la famille Pascal quand la chaîne de quincailleries a fait faillite en 1991.

La fermeture des 21 magasins encore ouverts a entraîné la perte de 1600 emplois. Sous la protection de la Loi des faillites depuis le mois de janvier précédent. Pascal devait environ 42 millions à 1400 créanciers.