(Montréal) Les employeurs du Québec demandent au gouvernement d’agir d’urgence et avec force pour s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre.

À l’approche de la présentation de la mise à jour économique du gouvernement Legault, six grandes organisations d’employeurs ont livré vendredi à Montréal une liste de cinq demandes afin de contrer ce qu’elles qualifient de crise sans précédent.

« Il faut appeler un chat un chat : on est devant une crise, la crise de la pénurie de main-d’œuvre », a déclaré le vice-président pour le Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), François Vincent.

Son collègue Karl Blackburn, président du Conseil du patronat (CPQ), en a rajouté. « Pour ceux et celles qui prétendent que la pénurie de main-d’œuvre est un heureux problème, malheureusement, c’est une catastrophe économique », a-t-il laissé tomber, disant espérer que « la voix de tous les employeurs du Québec soit entendue ».

Accélérer et régionaliser l’immigration

En tête de liste, les organisations réclament une accélération du processus d’immigration, blâmant les délais beaucoup plus longs au Québec qu’ailleurs au pays, surtout que la pandémie a freiné l’arrivée de nouveaux immigrants.

« Il y a beaucoup de personnes qui finissent par abandonner leur projet d’immigration au Québec et qui choisissent de s’établir dans une autre province, où les délais sont plus courts. Ils peuvent en effet être quatre fois moins longs ailleurs au Canada », a déploré le président de l’Union des municipalités (UMQ), Daniel Côté. « Il faut que Québec et Ottawa s’entendent pour réduire les délais, pour régler les dossiers. C’est urgent. »

Toujours en immigration, elles réclament une plus grande régionalisation de l’immigration pour combler les besoins en région. Le président de l’UMQ n’a pas manqué de rappeler au passage que « plus de 70 % des nouveaux arrivants s’installent dans la grande région métropolitaine tandis que 70 % des postes vacants se retrouvent à l’extérieur du Grand Montréal ».

Les organisations d’employeurs insistent également sur l’instauration de mesures pour garder ou ramener les travailleurs plus âgés en emploi, attirer les travailleurs autochtones, intégrer les personnes handicapées et les personnes judiciarisées.

Enfin, elles réclament un soutien aux PME pour requalifier la main-d’œuvre et un appui pour faciliter l’implantation de nouvelles technologies et la modernisation des entreprises.

La question des salaires, un faux débat ?

L’argument souvent évoqué selon lequel plusieurs des emplois à combler n’intéressent personne parce qu’ils offrent des salaires trop faibles pour être attrayants ne tient pas la route, selon Karl Blackburn, du CPQ. « La pénurie de main-d’œuvre touche tous les secteurs. Que ce soit du travail à 30 000 $ par année, 40 000 $, 50 000 $, 100 000 $. Il y en a même jusqu’à 250 000 dollars par année. Ce n’est pas vrai que la pénurie de main-d’œuvre affecte seulement des travailleurs à bas niveau. »

Le commerce de détail, incluant la restauration, souvent pointé du doigt en telle matière, s’est d’ailleurs ajusté, a soutenu le directeur général du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), Jean-Guy Côté. « Il y a eu une augmentation de salaire dans l’industrie dans les derniers mois. Malheureusement, ce n’est pas assez ; ça nous prend plus de gens. »

« Ce n’est pas une mauvaise chose l’augmentation des salaires, a pour sa part affirmé le président de l’UMQ, Daniel Côté. Mais peu importe la notion salariale, ça ne donne pas plus de gens sur le terrain pour offrir des services et pour travailler dans les entreprises. »

Et Karl Blackburn n’a pas hésité, lui, à brandir le spectre de l’inflation galopante advenant une poussée trop forte des salaires. « Ne perdons pas de vue la spirale inflationniste dans laquelle on se retrouve présentement. […] Si celle-ci continue, ça risque de coûter beaucoup plus cher à tout le monde parce qu’il y aura des rehaussements de taux d’intérêt. »

Des pertes de contrats et de clients

François Vincent, de la FCEI, a présenté des chiffres qui ont de quoi faire réfléchir : alors que le quart (26 %) des dirigeants de PME disaient refuser des ventes et des contrats à cause de la pénurie de main-d’œuvre, cette proportion grimpait à 35 % en mai pour se situer maintenant, en novembre, à 45 % des PME qui doivent refuser des contrats et des ventes.

La présidente-directrice générale de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx, est allée plus loin. « Il y a même des entreprises qui nous ont dit : écoutez, j’ai des clients que je dessers depuis cinq ans, dix ans, et je les délaisse. Je leur annonce que je ne peux plus les desservir parce que je n’ai pas la capacité de le faire. »

Bien qu’elles représentent, à l’exception de l’UMQ, des employeurs privés, les organisations ont insisté sur le besoin de mettre en place de telles mesures pour combler également le manque d’employés dans le secteur public. « La pénurie, on le voit depuis plusieurs mois, ça ne touche seulement le milieu privé. Ça touche également le milieu de la santé. On parle d’éducation, on manque d’éducatrices dans les garderies », a rappelé Mme Proulx.