(Toronto) La guerre de pouvoir chez Rogers Communication démontre des défaillances dans la façon avec laquelle les entreprises sont réglementées au Canada, disent des experts.

Selon Richard Leblanc, un professeur de gouvernance à l’Université York, les réglementations fédérales et provinciales sont obsolètes et permettent des pratiques antidémocratiques.

Deux catégories d’actions

« Rogers est un cas dont on doit tirer les leçons pour notre gouvernance des corporations qui ne tient pas compte de l’évolution », dit-il.

Il ajoute que la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique d’autoriser Edward Rogers, le président de la fiducie de contrôle de Rogers, à remplacer cinq membres du conseil d’administration sans tenir une réunion des actionnaires, démontre seulement que la province devrait mettre à jour ses règlements.

M. Leblanc soutient que la structure à deux catégories d’actions en place chez Rogers et d’autres grandes entreprises canadiennes pose problème. On devrait y ajouter des clauses de suspension ou un meilleur système de contrôle interne.

« L’élément le plus fondamental de la démocratie corporative est de permettre aux actionnaires d’élire les administrateurs à l’occasion des assemblées annuelles », lance-t-il.

Plaidoyer pour une commission fédérale

Le professeur affirme que la Colombie-Britannique est la seule province où le geste de M. Rogers pouvait être autorisé. Selon lui, cela souligne aussi l’absence d’une commission fédérale des valeurs mobilières pour coordonner les diverses règles. Les directives fédérales sur la gouvernance des entreprises n’ont pas été mises à jour depuis 2005, ce qui les rend « totalement inadéquates », juge-t-il.

La Canadian Coalition for Good Governance demande des changements aux règles entourant la structure à double catégorie d’action des entreprises.

Sa directrice générale, Catherine McCall, a récemment écrit dans un éditorial que cette structure où le poids d’une action pèse plus lourd qu’une autre contrevient aux principes de justice et d’imputabilité dont dépend le marché des capitaux. Selon elle, la création d’une valeur durable à long terme doit tenir compte de l’intérêt de l’ensemble des actionnaires.

Selon Daniel Waeger, de l’Université Wilfrid-Laurier, les investisseurs examinent si une entreprise est gérée par des administrateurs indépendants avant d’y placer ou non leur argent.

Si un actionnaire de contrôle a le droit de remplacer des administrateurs indépendants au cours d’une assemblée annuelle, le Pr Waeger se dit surpris que les lois lui permettent de le faire « si rapidement, sans cérémonie », comme c’est le cas pour Edward Rogers.

« C’est un peu étonnant, parce que la présence d’administrateurs indépendants favorise une structure équitable », commente-t-il.

Randall Morck, un professeur d’administration de l’Université de l’Alberta, croit que cette structure peut être utile, notamment dans le secteur des hautes technologies où le fondateur d’une entreprise peut avoir des connaissances spécialisées. Elle devient problématique lorsque la direction est confiée à la deuxième ou troisième génération.

« Cette concentration des pouvoirs devient un problème. C’est moins défendable », dit-il.

Il ajoute que la saga Rogers souligne les enjeux autour des fiducies familiales qui permettent aux très riches à diminuer l’impôt sur les successions.

« Dans un monde où nous nous inquiétons des inégalités extrêmes, il est raisonnable de s’interroger si une fiducie familiale doit exister dans une démocratie qui prône une certaine égalité économique. »