Les consommateurs renouent avec le magasinage en « présentiel ». Certains détaillants et centres commerciaux enregistrent même des niveaux de ventes et de fréquentation équivalents, voire supérieurs à ceux qu’ils atteignaient avant la pandémie.

Ce retour en magasin se confirme notamment à la lumière des dernières données recueillies par le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Son plus récent Baromètre, compilé par ORAMA Marketing, révèle que, en septembre 2021, 50 % des répondants affirmaient fréquenter les centres commerciaux aussi souvent qu’avant la pandémie, alors qu’à l’automne 2020, ils n’étaient que 18 %.

« [L’achalandage] revient à des niveaux qu’on avait prépandémie », affirme Salvatore Iacono, vice-président directeur aux opérations de Cadillac Fairview, propriétaire des Promenades St-Bruno, du Carrefour Laval et de Fairview Pointe-Claire. « Pour les mois de juillet et août, les ventes sont pratiquement au niveau qu’elles étaient prépandémie pour la première fois depuis les 18 derniers mois. C’est un très bon signe. »

Même constat du côté du Carrefour de l’Estrie, propriété de Groupe Mach, qui compte 150 boutiques et restaurants, où Daniel Durand, directeur principal, marketing et communications, dit avoir « l’impression que les gens ont retrouvé le plaisir de magasiner ». Pendant la saison estivale, on a noté une augmentation de l’achalandage allant de 8 % à 10 % par rapport à l’été 2019.

PHOTO IVANHOÉ CAMBRIDGE

Le centre commercial Carrefour de l'Estrie, à Sherbrooke

« Depuis mars, avril et mai, on ressent vraiment une recrudescence de l’achalandage, souligne M. Durand. À partir de juin, on a retrouvé des chiffres prépandémie. Juillet et août [ont été] des mois exceptionnels avec un achalandage supérieur à ce qu’on voyait prépandémie. »

Des détaillants qui comptent de nombreux magasins dans les centres commerciaux, comme La Vie en Rose, goûtent également au retour des « magasineurs ». En septembre, l’entreprise menée par François Roberge a noté une augmentation de 19 % de sa fréquentation par rapport à 2019. Pour les Promenades St-Bruno, cette hausse est de 45 %, alors qu’on note une augmentation de 16 % au Carrefour Laval. Sur un total de 204 magasins au pays, 128 sont situés dans des centres commerciaux.

Une hausse qui se fait attendre pour certains

Les détaillants ne connaissent toutefois pas tous encore ce retour à la « normale ». Et même dans le cas de La Vie en Rose, certains magasins éprouvent toujours des difficultés. « C’est certain que si on regarde dans les centres-villes canadiens, c’est difficile partout, admet M. Roberge. On parle de 50 % de baisse de trafic au Complexe Desjardins, au Centre Eaton, à Toronto aussi. »

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François Roberge, PDG de La Vie en Rose

Le Centre Eaton et la Place Montreal Trust enregistrent une fréquentation qui correspond à environ 35 % à 40 % de celle de 2019, confirme Ivanhoé Cambridge, filière immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a récemment confié la gestion de plusieurs de ses centres commerciaux à l’entreprise américaine JLL. Cela est « en grande partie associé au très faible taux d’occupation des immeubles de bureaux et la baisse notable du tourisme », indique Ivanhoé Cambridge dans une déclaration officielle envoyée à La Presse.

« Rappelons que depuis le début de 2021, nous avons eu deux périodes de fermeture en lien avec les mesures sanitaires relatives à la pandémie de COVID-19. Plus récemment, le passeport vaccinal a légèrement ralenti la fréquentation des foires alimentaires et des restaurants. »

De son côté, Lili Fortin, présidente de Tristan, soutient que pour l’ensemble de ses magasins, l’achalandage reprend, mais pas au même rythme qu’avant.

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Lili Fortin, présidente de Tristan

On n’est pas encore rendus à l’achalandage qu’on avait avant la pandémie. Je pense qu’il y a des gens qui ont encore peur de trop s’exposer en public. On est dans le vêtement de travail et il y a encore beaucoup de gens qui travaillent de la maison.

Lili Fortin, présidente de Tristan

« On anticipait un retour au bureau plus grand en septembre, dit-elle. Il y a beaucoup d’entreprises qui ont reporté en janvier. »

Spécialiste des souliers pour enfants, Linda Goulet, qui dirige Chaussures Panda, n’a pas complètement renoué avec ses ventes de 2019, nous a-t-elle affirmé après avoir comparé ses ventes des mois de mai à septembre de cette année avec celles d’il y a deux ans. Elle ne dispose pas de données sur la fréquentation de ses boutiques.

Concernant les ventes, la présidente de l’entreprise qui compte 22 magasins souligne néanmoins que la situation varie d’un endroit à un autre. « Chacun a ses particularités, tout dépend d’où on est situé dans le centre commercial, soutient-elle. Au Carrefour Laval, l’allée qui mène à notre magasin est à moitié vide. C’est sûr que l’achalandage ne se rend pas là. » Dans ce centre commercial, elle a atteint 70 % de ses ventes de 2019.

« Par contre, aux Promenades St-Bruno, où on est mieux situés, je fais 95 % de mes chiffres, ajoute-t-elle. On fait en moyenne 90 % de nos ventes. Il y a des magasins qui font 110 % et il y en a d’autres qui font 70 %. »

Selon elle, la température douce – qui fait que les bottes d’hiver ont été moins populaires en septembre que lors des années passées –, les problèmes d’approvisionnement et la pénurie de main-d’œuvre ont également pesé lourd dans la balance.

Si tous les détaillants ne connaissent pas les mêmes performances, ils ont tous fait le même constat : les clients qui se présentent achètent davantage.

« Les gens qui vont en magasin sont prêts à acheter, remarque Lili Fortin. On a des taux de conversion exceptionnels. On a des rotations de stocks. Quand une nouveauté arrive en magasin, elle se vend très rapidement. »

Relations locateurs-locataires

Autre point sur lequel tout le monde s’entend : les relations entre locataires et bailleurs ont évolué en mieux depuis le début de la pandémie.

Je pense qu’il y avait une incompréhension [de la part des centres commerciaux] qui pensaient que c’était à l’infini, le cash flow. Aujourd’hui, je me suis entendu avec tout le monde. On a trouvé un équilibre de partage de risque pour ce qui est des dépenses. Je suis extrêmement satisfait.

François Roberge, PDG de La Vie en Rose

« Il aura fallu la pandémie pour leur faire comprendre notre réalité, ajoute pour sa part Lili Fortin. Je pense qu’ils ont réalisé qu’ils avaient besoin des détaillants et pas juste des détaillants internationaux. Parce que les détaillants internationaux partent beaucoup plus rapidement que les locaux quand ça ne fonctionne pas. »

S’il assure que Cadillac Fairview « a travaillé » avec tous ses détaillants, Salvatore Iacono refuse de dire si des diminutions de loyer ont été consenties.

« On a travaillé avec certains clients pour restructurer certaines ententes d’une façon temporaire pour assurer leur avenir et s’assurer qu’on puisse offrir leur gamme de produits dans nos centres commerciaux », s’est-il contenté de répondre.

Chose certaine, le ton a changé. « Aujourd’hui, en 2021, c’est beaucoup plus agréable de discuter de loyer que ce l’était avant », assure Linda Goulet, un sourire dans la voix.