Les entreprises du groupe Trigone peuvent reprendre leurs activités jusqu’en janvier prochain au moins, le temps que la cour se penche sur la demande du constructeur, qui conteste l’annulation de ses licences.

Dans la décision qu’il vient de rendre publique, le Tribunal administratif du travail (TAT) juge que le « préjudice sérieux et irréparable » sur les projets en construction de Trigone l’emporte sur les inconvénients que présentent les activités du groupe pour l’intérêt public et la sécurité.

Le TAT motive sa décision en soulignant qu’une douzaine de projets totalisant 2000 logements ne pourront être terminés s’il ne suspend pas l’annulation des licences.

Dans les faits, la demande de contestation comprenait plutôt une liste de 11 projets totalisant 2353 habitations en chantier. Trigone fait valoir que leur achèvement est menacé par la décision du Bureau des régisseurs de la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), qui a ordonné l’annulation de toutes ses licences le 30 septembre.

Ces projets « sont affectés considérablement par l’annulation immédiate des licences, mais ils ne peuvent pas raisonnablement tous s’arrêter complètement du jour au lendemain », écrit le juge administratif dans sa décision, rendue publique le 14 octobre.

Il ajoute que l’annulation des licences concerne un total de 1380 employés de Trigone et de ses sous-traitants, « qui sont également susceptibles de pertes de contrat et d’emploi ».

À terme, la sanction du régisseur contre le groupe pourrait être infirmée en appel, comme l’ont demandé ses propriétaires, Patrice St-Pierre et Serge Rouillard. Le cas échéant, ils subiraient un « préjudice sérieux et irréparable » si la décision était appliquée dans l’intervalle, « en raison de la perte de relations d’affaires avec [leurs] sous-traitants et des départs inévitables de leurs employés ».

Dans leur contestation au nom de Trigone, les avocats Marc-André Boutin et Agnès Pignoly, du cabinet Davies, affirment que le régisseur a commis huit erreurs de droit justifiant la contestation de sa décision et ont demandé sa suspension d’urgence.

Selon eux, Trigone doit conserver ses licences en attendant l’audition de la cause sur le fond, histoire de pouvoir terminer les habitations en chantier. « Pour la prochaine semaine seulement, les demanderesses doivent livrer pas moins de 70 unités à des clients », affirmaient-ils dans leur requête du 4 octobre.

Contacté par La Presse, Patrice St-Pierre se réjouit de la décision, mais réserve ses commentaires. « Heureusement, on vit en démocratie et on a des tribunaux pour se défendre », dit-il.

La Régie dit prendre acte de la décision, mais s’abstient de la commenter « par respect pour le processus judiciaire et administratif ». « Les entreprises liées aux Habitations Trigone pourront reprendre leurs activités d’entrepreneurs jusqu’à ce qu’une décision sur le fond de l’affaire soit prise par le TAT, confirme le porte-parole Sylvain Lamothe. Le processus n’est pas terminé. »

« Aucune volonté d’amélioration »

Dans sa décision du 30 septembre, qui compte 136 pages, le Bureau des régisseurs de la RBQ reproche à Trigone une série de « manquements contemporains et répétitifs », pour lesquels « les intimées et leurs dirigeants n’ont démontré aucune volonté d’amélioration ».

Le régisseur lui reproche notamment le non-paiement de dettes liées à des jugements que des compagnies du groupe Trigone ont perdus, de fausses déclarations, des menaces à la sécurité publique, ainsi que la mauvaise qualité de leurs immeubles et de leur service après-vente.

Après avoir suspendu cette décision, le TAT entendra la cause sur le fond du 19 au 21 janvier prochains.

Pour contester l’annulation de ses licences, le groupe allègue notamment un manque d’impartialité lors de l’enquête de la RBQ et dans la décision du régisseur.

À cet égard, les avocats de Trigone évoquent une rencontre fortuite avec le PDG de la RBQ, Michel Beaudoin, en novembre 2019, alors que l’émission La Facture de Radio-Canada préparait un reportage sur les nombreuses déficiences dans les constructions du groupe.

« Si tu passes à la TV, c’est que tu dois pas t’être occupé comme il faut de tes clients », aurait-il déclaré à Patrice St-Pierre, l’un des deux propriétaires.

L’enquête de la Régie s’est enclenchée avant même la diffusion du reportage, en janvier 2020.

Précision : une version antérieure de ce texte mentionnait un reportage de La Facture en octobre 2020. Radio-Canada a bien publié un article sur Trigone à cette époque, mais l’émission de La Facture en question sur les problèmes dans les constructions du groupe a plutôt pris l’antenne en janvier 2020. Nos excuses.