Quand il a pris les commandes d’Aveos au printemps 2011, Joe Kolshak a été surpris de constater à quel point Air Canada était un client difficile. Pour ce vétéran de l’industrie, cette relation turbulente est l’une des principales causes de l’écrasement du spécialiste de la maintenance.

« En 30 ans dans l’industrie, je n’ai jamais vu un fournisseur et un client être impliqués dans autant de litiges, a relaté l’homme, mercredi, à la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. Chaque facture était contestée. »

M. Kolshak, qui a occupé des postes de direction chez Delta Air Lines et United Airlines au cours de sa carrière, était interrogé, par visioconférence, dans le cadre du procès de l’action collective d’au moins 150 millions intentée par d’anciens salariés d’Aveos contre le transporteur aérien, dont les audiences se poursuivent pour la deuxième semaine.

À son avis, la crise de liquidités ayant secoué l’entreprise est essentiellement attribuable à deux facteurs : la discorde entourant les factures et l’annulation, la réduction et le report de travail de maintenance qui aurait été décidé par Air Canada – le principal client d’Aveos, qui représentait plus de 90 % de ses revenus.

« Je ne veux pas montrer qui que ce soit du doigt, mais c’était une relation très difficile », a expliqué M. Kolshak, aujourd’hui retraité et résidant d’Atlanta, en Géorgie.

Pendant son témoignage, l’ancien président et chef de la direction d’Aveos a également dû répondre à plusieurs questions des avocats de la défense, qui ont remis en question certaines de ses affirmations afin de démontrer que l’entreprise éprouvait des difficultés financières depuis plusieurs années.

Par ailleurs, a souligné la défense, des mécanismes de règlement des différends permettaient à Aveos d’obtenir des sommes d’argent pour les contrats qui faisaient l’objet d’un arbitrage.

Responsable de la maintenance des avions du plus important transporteur aérien au pays, Aveos avait subitement mis la clé sous la porte, en mars 2012, de ses centres situés à Montréal, Winnipeg et Mississauga. Cette fermeture avait été à l’origine de recours judiciaires à l’endroit d’Air Canada, à qui l’on reprochait de ne pas respecter la loi fédérale.

Environ 2600 salariés, dont 1800 au Québec, avaient perdu leur emploi. L’action collective couvre la période de 2012 à 2016 – année où la loi fédérale a été modifiée par Ottawa. Les plaignants veulent aussi démontrer qu’Air Canada a volontairement provoqué la débâcle d’Aveos.

Un plan déboulonné

M. Kolshak misait sur une stratégie visant à accroître et à diversifier le bassin de clients. Mais à la fin de 2011, le volume de travail diminuait et l’attitude d’Air Canada changeait. Au moins 16 millions en revenus se sont envolés pendant les deux premiers mois de 2012, selon Aveos.

« Au début de 2012, Air Canada avait exigé de ne pas toucher aux moteurs qui se trouvaient chez nous, a-t-il raconté. Nos employés étaient prêts, mais nous avions l’ordre de ne pas y toucher. Nous ne pouvions donc pas toucher des revenus. »

N’ayant pas pu se préparer à un tel changement de cap, Aveos s’est donc retrouvée avec plusieurs centaines d’employés qu’elle devait payer et qui « n’avaient rien à faire », selon son ex-dirigeant. Il n’était pas possible d’effectuer des mises à pied immédiates puisqu’un préavis de 60 jours était nécessaire, a-t-il ajouté.

Dans l’industrie, la précarité financière d’Aveos commençait à inquiéter, a raconté M. Kolshak, qui s’estimait menotté lorsque venait le temps de convaincre de possibles clients.

« Je me souviens de discussions avec Southwest Airlines à propos de moteurs, a-t-il relaté. Il y avait des progrès jusqu’à ce que leur responsable de la maintenance me dise : ‟Nous avons entendu que vous alliez fermer vos portes. Pourquoi devrions-nous considérer une offre de votre part ?” »

Contre-interrogé par la défense, l’ancien président d’Aveos s’est brièvement impatienté à la suite de questions sur la responsabilité d’Air Canada en rétorquant que les activités des centres de maintenance n’auraient pas eu à cesser si le transporteur aérien avait respecté ses engagements.

Air Canada avait offert un financement de 15 millions à Aveos lorsque l’entreprise s’était placée à l’abri de ses créanciers. Pour M. Kolshak, il s’agissait d’un prêt qui ne réglait pas le problème de fond et qui aurait permis à la société aérienne de devancer plusieurs créanciers.

« C’est en quelque sorte comme si un pompier mettait le feu à une maison avant de revenir pour l’éteindre », a illustré l’ancien président du spécialiste de la maintenance.

Selon lui, ce financement n’aurait jamais été nécessaire si Air Canada avait « respecté son contrat d’exclusivité » avec Aveos et si la compagnie aérienne avait accepté de payer les sommes dues à son fournisseur.

Les audiences doivent se poursuivre jusqu’à la fin du mois.