« D’habitude, on a la couenne dure, les éleveurs, on en a vu d’autres crises […], mais celle-là est très difficile. » Le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval, se demande pendant combien de temps certains pourront tenir le coup alors que la grève se poursuit à l’abattoir d’Olymel situé à Vallée-Jonction.

Exaspérés, épuisés psychologiquement et confrontés à d’importantes pertes financières, les éleveurs accueillent comme une « claque au visage » la décision des travailleurs de l’usine située dans Chaudière-Appalaches qui ont voté à 57 % contre l’entente de principe intervenue entre le syndicat affilié à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et l’employeur.

« Des producteurs veulent avoir l’espoir que ça rouvre [l’abattoir], a dit M. Duval, mercredi, entouré des quatre membres de son exécutif et du président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, au cours d’une conférence de presse où les émotions étaient à fleur de peau, à Longueuil. La prochaine fois, il faut que ça soit très rapide, parce que sinon, je vous le dis, des producteurs, ma crainte, c’est qu’il y en aille qui fasse des gestes qu’ils ne devraient pas. »

La nomination d’un médiateur par le ministre du Travail est accueillie favorablement par M. Duval. Mais après 23 séances de conciliation entre Olymel et le syndicat, « c’est fini, le placotage », a lancé le président des Éleveurs de porcs du Québec, en demandant l’intervention personnelle du premier ministre François Legault. De son côté, Olymel a invité ses travailleurs à reconsidérer leur position en prévenant que le conflit, s’il perdure, pourrait laisser des cicatrices à Vallée-Jonction, qui compte quelque 1100 syndiqués.

Après un conflit de travail ayant débuté il y a bientôt quatre mois, il y a 150 000 porcs en attente d’abattage – un nouveau record – selon l’association. Cela fait en sorte qu’il faudra environ six mois pour que la situation rentre dans l’ordre, selon M. Duval. Les problèmes financiers s’accumulent pour certains puisqu’ils ne peuvent vendre leurs bêtes. Le débrayage ne provoquera toutefois pas de ruptures de stock dans les supermarchés et restaurants.

Également éleveur à Sainte-Hélène-de-Bagot, M. Duval est bien placé pour saisir la détresse des producteurs et de leurs inquiétudes pour le bien-être de leurs animaux. Ceux-ci souhaitent retarder « le plus longtemps possible » ce qui est présenté comme de « l’abattage humanitaire », mais cela s’accompagne d’une facture salée, a-t-il dit.

Louis-Philippe Roy, éleveur de Saint-Michel-de-Bellechasse et deuxième vice-président des Éleveurs de porcs du Québec, a donné un aperçu de ce qu’il voit chez lui depuis maintenant plusieurs semaines.

Les porcs sont entassés, ce n’est pas des conditions qu’on aime voir comme producteur. La pression est forte sur les producteurs, leurs familles, c’est très dur.

Louis-Philippe Roy, deuxième vice-président des Éleveurs de porcs du Québec

Accompagné du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, le ministre du Travail, Jean Boulet, a exprimé sa « profonde déception » à propos de la tournure des évènements, tout en respectant « la décision des salariés ». Le médiateur Jean Poirier devait convoquer les parties mercredi après-midi.

« C’est un médiateur spécial qui a des pouvoirs accrus et qui va pouvoir convoquer les parties et s’assurer d’un règlement dirigé de ce conflit-là, a dit M. Boulet. On est dans le domaine privé, on ne peut pas imposer, on ne va pas adopter une loi, mais il faut donner tous les outils aux parties. »

Le ministre Boulet a réitéré que son « rôle est limité » puisqu’il s’agit d’un conflit de travail privé. « Je suis extrêmement sensible à leurs préoccupations. Je suis comme n’importe quel être humain, je ne suis pas capable de tolérer la vue de porcs qui s’entassent, qui grossissent et qui ont des problèmes de santé. »

Sur le réseau social Twitter, mercredi après-midi, François Legault a appelé les deux parties à régler le conflit en soulignant qu’elles étaient « tout près d’un règlement » et en faisant appel à leur « sens des responsabilités ».

Salaires et horaires

Les points en litige entre Olymel et le syndicat tournent autour des salaires, des horaires de travail et de la durée de la convention collective. Olymel estime avoir été « au bout de ses capacités à payer » sans compromettre la « viabilité et la pérennité de l’usine ».

Des options sont étudiées par l’entreprise, a expliqué son vice-président, Paul Beauchamp, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse. S’il n’est pas allé jusqu’à évoquer la fermeture de l’usine, le quart du soir pourrait écoper.

« Avec un conflit qui perdure, on peut perdre des travailleurs ailleurs dans le marché du travail, a-t-il dit. Il y avait déjà des difficultés au chapitre du recrutement. Si la grève s’étire et qu’on perd des employés, on n’aura plus la main-d’œuvre pour avoir un deuxième quart. »

La grève a déjà coûté « plusieurs dizaines de millions » à Olymel, selon M. Beauchamp. En vertu de l’entente de principe, les employés de Vallée-Jonction auraient bénéficié d’une « rémunération globale supérieure de 35 % » comparativement à d’autres concurrents canadiens, a-t-il plaidé. Au Québec, l’entreprise représente environ 80 % de la capacité d’abattage de porcs, selon l’UPA.

Mercredi, le président du Syndicat des travailleurs d’Olymel à Vallée-Jonction (CSN), Martin Maurice, n’avait pas retourné les messages laissés par La Presse sur sa boîte vocale. Le syndicat n’a pas commenté la nomination du médiateur.