Le grand magasin canadien-français
Des commandes d’articles en ligne et des livraisons à domicile par la poste ou par camion.
Ça vous dit quelque chose ?
Il ne s’agit pas d’Amazon, mais de Dupuis Frères (il est vrai qu’il s’agissait de commandes en ligne téléphonique).
Il y aura 100 ans dans quelques mois, le « magasin du peuple » ouvrait son comptoir postal et lançait l’indispensable catalogue qui y était associé.
Du commerce électronique avant la lettre ? « C’est très juste », commente Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal, spécialiste du commerce de détail et fondateur de la Chaire de commerce électronique RBC Groupe Financier. « Tout ce mode de fonctionnement-là était littéralement 70 ans avant son temps. »
Débuts modestes
L’aventure avait commencé au milieu des années 1860, quand Marie-Euphrasie Dupuis, veuve depuis peu, avait déménagé sa large marmaille de Saint-Jacques, dans Lanaudière, à Montréal. Dans une pièce de la maison que la famille louait rue Notre-Dame, elle avait lancé un petit commerce de mercerie. Son fils aîné Nazaire l’a réinstallé et agrandi dans la rue Sainte-Catherine en 1868, date qui marque la naissance officielle de l’entreprise.
Après la mort prématurée de Nazaire, en 1876, ses frères prennent le relais – d’où le nom de l’entreprise. Le benjamin Narcisse se joint à eux en 1882. La même année, le commerce s’installe rue Sainte-Catherine, angle Saint-André, où il restera jusqu’à la fin.
Narcisse était à l’affût des innovations techniques et commerciales.
« J’ai une photo de Dupuis Frères qui date de 1890 et on voit qu’ils ont déjà le téléphone et le télégraphe », souligne Frédéric Cloutier, collectionneur de catalogues, documents et objets relatifs à Dupuis Frères, qui tient également une page Facebook sur l’ancien grand magasin.
Les gens pouvaient téléphoner ou télégraphier pour commander des choses au magasin. Ils avaient déjà un service de livraison dans les années 1880.
Frédéric Cloutier, collectionneur
Les premiers catalogues
En 1921, Narcisse Dupuis a décidé de prendre le taureau anglophone par les cornes et d’offrir aux francophones un service postal et un catalogue en français pour concurrencer ceux d’Eaton et de Simpsons.
Le premier catalogue, imprimé à 20 000 exemplaires, tenait en 22 pages et présentait 587 articles.
Avec ce tirage modeste, les premières éditions cherchent surtout à s’inscrire dans le paysage urbain des concurrents anglophones, mais l’objectif ultime est de propager l’évangile de Dupuis Frères dans les régions et en campagne.
Les premiers influenceurs
Comme de nos jours, il existait alors des influenceurs dont la voix portait loin dans le réseau social. Dupuis était bien décidé à les mettre à profit.
Dans les années 1920, les catalogues anglophones sont déjà implantés dans les campagnes et Dupuis sait qu’il y a un marché à prendre avec des catalogues francophones.
Frédéric Cloutier
« Dupuis va jouer la fibre nationaliste », poursuit Frédéric Cloutier, qui tire une bonne part de ses vastes connaissances du Duprex, la revue mensuelle des employés publiée de 1926 à 1953, dont il détient la collection complète. « En s’alignant avec le clergé, on va envoyer dès les années 1925-1926 un propagandiste dans les campagnes. Un père de famille exemplaire va se promener en faisant annoncer par le curé du village qu’il allait être de passage dans les prochains jours. L’entente, c’est qu’il viendrait faire une projection dans le sous-sol de l’église d’un film approuvé par le clergé et qu’il ferait un discours sur l’achat chez nous pour promouvoir les catalogues de Dupuis. »
Il distribuait ensuite les catalogues aux paroissiens, rassurés de voir que l’ouvrage était gratuit.
« Il donnait un petit cadeau au curé, et sa job était faite. Ça a duré de 1925 jusqu’à la crise économique, vers 1930. »
En cinq ans, le catalogue de Dupuis s’était répandu dans tout le Québec.
Le devoir de patriote
Le comptoir postal proprement dit, à la fois entrepôt et service de traitement des commandes, s’était d’abord installé dans un édifice de quatre étages, sur le boulevard Saint-Laurent, angle Saint-Viateur.
En 1930, 300 personnes y travaillaient, en majorité des femmes.
« Aujourd’hui, évidemment, on est capables de faire exactement la même chose avec beaucoup moins de personnes, parce que tout ça est informatisé », observe Jacques Nantel, en référence à la robotisation des entrepôts d’Amazon. « Il n’en demeure pas moins que la logique est exactement la même. »
Dès 1931, le comptoir postal répond à 10 000 commandes par mois.
Dupuis Frères s’affiche comme le grand magasin canadien-français. Forme précoce de Panier bleu, l’achat local est promu.
Dans son catalogue automne-hiver 1931-1932, le mode d’emploi de la page 3 garantit une expédition 24 heures après réception de la commande, avec l’assurance d’un prix imbattable : « Il ne vous en coûte jamais rien pour faire votre devoir de patriote », y lit-on.
La livraison est effectuée par camion dans la région montréalaise, et par la poste en région.
Très loin, en région.
Preuve que la maison Dupuis desservait les hameaux les plus éloignés et les moins connus, le Musée canadien de l’histoire détient un mandat-poste pour le paiement de la commande de M. Joseph Lavigne, au fabuleux montant de 2,19 $ (42,41 $ en 2020). Il avait été émis le 22 juin 1933 à Milnikek, dans la vallée de la Matapédia.
La localité a disparu en 1934 quand un embâcle a emporté ses 40 maisons… et son bureau de poste.
Le comptoir de la rue Brewster
Le comptoir postal du boulevard Saint-Laurent devient bientôt exigu.
« Le gros problème de beaucoup de nos détaillants, dans une perspective locale, de Panier bleu et autres, ce n’est pas tant l’aspect site web, c’est vraiment l’aspect logistique, insiste Jacques Nantel. Et ça, je trouve ça ironique parce que nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, eux, étaient capables de le faire. »
En l’occurrence, cet arrière-grand-parent s’appelait Albert Dupuis. Fils d’Alexis, un des nombreux membres de la fratrie d’origine, il avait reçu les rênes des mains de son oncle Narcisse en 1924. C’est pour mater le monstre logistique qu’au milieu des années 1930, il a acquis à Saint-Henri un vaste bâtiment de cinq étages, situé à proximité de la voie ferrée pour faciliter la réception et l’expédition des marchandises.
L’édifice de la rue Brewster, une véritable usine bientôt munie de convoyeurs et de tubes pneumatiques, occupait 12 500 m2. Construit en 1900, il existe toujours.
Rentabilité limitée
Mais était-ce rentable ?
Sur le site du Musée canadien de l’histoire, on souligne que selon les documents d’une commission d’enquête sur le commerce de détail publiés au milieu des années 1930, la division du comptoir postal de Dupuis Frères a fait état de déficits récurrents de 1925 à 1934. Les pertes s’élèvent à 9800 $ en 1928 et atteignent 68 000 $ en 1934, au cœur de la Grande Dépression.
« Il est vrai que ça prenait beaucoup de monde sur le plan logistique, par contre, le grand avantage de la vente par catalogue, comme c’est encore le cas aujourd’hui par le web, c’est que les gens payaient avant de recevoir les produits », fait toutefois valoir Jacques Nantel. « De sorte que vous aviez, et ce n’est pas banal, un apport en termes de liquidités. »
Chez ma grand-mère c’était mon père/Qui s’déguisait en père Noël pour faire accroire/Que les cadeaux ça v’nait pas tout’ de Dupuis Frères.
23 décembre, paroles de Pierre Huet, popularisée par Beau Dommage
Une institution
« Les catalogues distribués partout au Canada, de plus en plus nombreux, atteindront le million en 1943 », écrit Josette Dupuis-Leman, arrière-petite-fille de Marie-Euphrasie, dans son ouvrage Dupuis Frères, le magasin du peuple, paru en 2001.
Le magasin de la rue Sainte-Catherine, agrandi plusieurs fois, est reconstruit à neuf en 1937 sur les plans du réputé architecte Henri S. Labelle, et s’étend encore davantage sur le quadrilatère à la fin des années 1940.
En 1950, l’édifice de sept étages, où travaillent quelque 1000 personnes, compte une centaine de rayons et une soixantaine de services.
Le comptoir postal occupe de son côté 500 employés.
À l’est du boulevard Saint-Laurent et partout en province, voire dans le Canada francophone, le catalogue Dupuis Frères est devenu une institution.
« C’était extrêmement important, pour plusieurs raisons, constate Jacques Nantel. La première, c’est que beaucoup plus que la parade du père Noël, les vitrines de chez Eaton ou autres, toute la magie de Noël venait par le catalogue, pour la majorité des gens. Parce qu’il faut comprendre que nous, nous vivons dans une société qui est à 75 % urbaine. Mais à l’époque, jusque dans les années 1960, les ratios étaient inversés. Si vous étiez à la campagne, tout commençait par le catalogue de Noël. »
Des catalogues sans prix
Les catalogues du comptoir postal de Dupuis Frères ont été publiés de 1921 à 1962. Frédéric Cloutier les possède presque tous.
Son sous-sol en est encombré.
Frédéric Cloutier détient environ 160 catalogues de Dupuis Frères.
« J’ai probablement la collection la plus complète sur le sujet », soutient-il.
Détenteur d’un baccalauréat en histoire, il a commencé à collectionner les catalogues en dilettante, à la fin des années 1990.
« En 2007, j’ai croisé sur mon chemin un monsieur qui s’appelait Ronald Chabot, un très grand collectionneur de catalogues qui est devenu mon professeur », raconte-t-il.
L’homme lui a conseillé de se spécialiser dans les catalogues de Dupuis Frères.
Ce qu’il s’est appliqué à faire dès l’année suivante.
« J’ai accumulé énormément de documents. Le fonds est probablement rendu patrimonial. »
Il a commencé à tenir une page Facebook sur Dupuis Frères en 2018, pour marquer le 150e anniversaire de la fondation de l’entreprise.
Ses recherches lui ont permis de rencontrer quelques anciens employés de Dupuis et plusieurs de leurs descendants. Au passage, il a accumulé une impressionnante somme de connaissances sur l’entreprise. Tout ce travail est bénévole.
« C’est comme une quête sur le terrain, c’est ce que j’aime, explique le collectionneur. Je ne me qualifierais pas d’historien, bien que j’aie un bac en histoire, mais le travail sur le terrain, rassembler les histoires, c’est intéressant. Et puis toute la connaissance que j’ai pu acquérir, si ça dort dans ma tête, ça ne va pas loin. Si je peux la mettre en ligne, c’est mieux. »
Faisons un petit survol historique des catalogues avec lui.
> Consultez la page Facebook de Frédéric Cloutier sur Dupuis Frères
Les débuts
Le premier catalogue de Dupuis Frères est publié en août 1921.
« De 1921 à 1926, ce sont de petits catalogues, précise Frédéric Cloutier. Ce sont presque des encarts, des catalogues de 30 à 40 pages, surtout jusqu’en 1924. Clairement, ils étaient destinés au début à la haute bourgeoisie. On voulait frapper l’imaginaire, on voulait montrer qu’on était à la hauteur des Simpsons et Eaton. Ce n’était pas pour les cultivateurs, parce que les objets qu’on annonçait étaient hors de prix, comme des manteaux de fourrure à 200 $. Les catalogues de 1921 à 1925 sont très soignés. Je pense qu’on voulait montrer qu’on était plus qu’un petit magasin, qu’on était un grand magasin. »
L’âge d’or
Dès que la distribution s’étend en campagne, les catalogues s’épaississent.
« À partir de 1925, environ, on commence à faire de beaux catalogues, avec quelques pages en couleurs, des catalogues de 200 pages, relate Frédéric Cloutier.Pour moi, l’âge d’or des catalogues les plus beaux, c’est 1925-1932, chez Dupuis. »
La crise
La crise économique puis la guerre viennent alors aplatir la bourse des acheteurs et l’épaisseur du catalogue. « À partir de 1931-1932, on enlève la couleur, on diminue le papier. »
Une clientèle ecclésiastique
Le catalogue de Dupuis Frères se distinguait par « l’importance de tous les objets religieux, que vous n’aviez évidemment pas dans le catalogue Eaton », relève Jacques Nantel.
Pendant longtemps, le catalogue contiendra des instructions sur la prise de mesures pour les soutanes et vêtements liturgiques.
Dupuis Frères publie même des catalogues à vocation exclusivement religieuse, « quelque part entre 1927 et 1942 », indique Frédéric Cloutier. « C’étaient des catalogues de 30 ou 40 pages, destinés principalement aux curés, parce qu’il y avait une ou deux pages seulement pour les religieuses. »
Plongez en 1940
Le site catalogues.quebec, tenu par deux passionnés, se spécialise dans les catalogues des années 1970 à 1990. Ils ont numérisé le catalogue Dupuis Frères automne-hiver 1940-1941, qu’on peut intégralement feuilleter en ligne.
> Consultez le catalogue Dupuis Frères automne-hiver 1940-1941
Les colorées années 1940
Avec la prospérité, « la couleur revient dans les années 1940 », explique Frédéric Cloutier.
Le Duprex
De 1926 au début des années 1960, Dupuis Frères publie un journal pour ses employés, Le Duprex. Frédéric Cloutier possède la collection complète de 16 volumes de 12 numéros, qu’il lit au hasard et à l’occasion. « C’est ce qui me donne des anecdotes sur l’histoire du magasin. »
Duprex, contraction de Dupuis et Rex, roi en latin, était aussi le nom de la marque maison.
Les années 1950
« Dans les années 1950, on fait encore des catalogues, mais ils ne sont peut-être pas aussi beaux que ceux de Simpsons et Eaton, note Frédéric Cloutier. On a peut-être pris du retard un peu. »
Les années 1960
« J’étais secrétaire général aux HEC lorsqu’on a accueilli les archives de Dupuis, et ça m’a donné l’occasion de les regarder, indique le professeur Jacques Nantel. Le catalogue de Dupuis Frères avait un graphisme qui avait mal vieilli à bien des égards. Dans les années 1960, il ressemblait encore beaucoup à celui des années 1950. Or, les catalogues d’Eaton avaient évolué, il y avait plus de couleurs, plus de photographies. »
L’homme qui dirigeait le catalogue
Pendant une vingtaine d’années, Jacques Tison a dirigé la production du catalogue Dupuis Frères. Sa fille nous fait part de ses lointains souvenirs.
Dans son livre Dupuis Frères, le magasin du peuple, Josette Dupuis-Leman raconte que sa sœur Renée, la plus jeune des filles d’Albert Dupuis, rêvait depuis l’adolescence de travailler dans l’entreprise familiale.
Peut-être pour éloigner Renée du magasin, raconte-t-elle, leur frère aîné Raymond, devenu président en 1945 après le décès de leur père Albert, l’a expédiée au Comptoir postal.
« Elle y fut engagée pour un salaire minimal comme l’adjointe du gérant du catalogue, Jacques Tison, écrit Josette. Sa tâche consistait à préparer des textes pour les pages du catalogue ; son patron les révisait avant de les envoyer à l’imprimerie. »
Quand on lui a transmis la citation, Madeleine, la plus âgée des enfants survivants de Jacques Tison, a revécu les circonstances de l’arrivée de Renée.
« La mère de Renée Dupuis qui aimait bien papa voulait que sa fille soit avec lui parce que c’était un gentleman et qu’elle serait en sécurité », s’est-elle remémoré.
Jacques-Édouard Tison (tout le monde l’appelait Jacques) avait été engagé au catalogue au début des années 1930.
« Papa avait commencé comme rédacteur, relate Madeleine Tison. Avec le temps, il est devenu ce qu’on appelait le gérant du catalogue. »
Ses souvenirs remontent doucement, avec d’étonnantes saillies.
« Ses rédacteurs étaient beaucoup des Français. Je me souviens d’une qui s’appelait Alice Zlata, qui avait été l’interprète de Bécassine en France quand ça avait été mis à la radio ! »
Elle relève elle aussi que le catalogue contenait beaucoup plus de dessins que de photos.
« Il y avait des dessinateurs extraordinaires. Je me souviens que papa nous montrait par exemple une paire de souliers dessinés et tu ne pouvais pas voir la différence entre une photo et le dessin. Ses dessinateurs étaient souvent des Anglais. Est-ce que c’était le temps de la guerre, ou après la guerre, et que ces gens-là avaient des talents particuliers ? Peut-être qu’à cette époque, les dessinateurs francophones étaient très rares dans Montréal. »
Elle se rappelle leurs noms : M. Kelsey, M. Pinker, Tom Stock.
« Papa, c’était ses meilleurs amis, ces gens-là. »
Pendant longtemps, son père a travaillé le samedi matin.
Quand c’était la date de parution, tout rushait en même temps. À cette époque, tout était fait à la main. Il ne rentrait pas à la maison, il passait la nuit dans le département des lits, puis il recommençait à travailler le lendemain matin.
Madeleine Tison
Elle avait visité son bureau, situé dans l’édifice du comptoir postal, rue Brewster, à Saint-Henri. « Il y avait de grandes fenêtres, c’était éclairé, c’était bien. Il avait un grand bureau. C’est tout ce que je me rappelle. »
Mais la discussion ranime de lointaines images.
« C’est fou, hein, je vois encore la teinte du catalogue, brun-beige, sans couleur. Je me souviens qu’on utilisait les monte-charge pour la marchandise. Il n’y avait pas de bel ascenseur. »
Surtout, elle n’a pas oublié la qualité de la langue. « Les professeurs se servaient du catalogue pour la qualité du français », constate l’ancienne traductrice, qui parle en connaissance de cause.
« Être rédacteur en français et diriger quelque chose en français, à cette époque-là, c’était une gloire, poursuit-elle. Moi, j’étais super fière de mon père. »
La famille Dupuis a vendu l’entreprise à une société de gestion en 1961. En janvier 1963, quelques mois après la parution du dernier catalogue, le comptoir a fermé ses portes.
« Papa est allé travailler un bout de temps au magasin de la rue Sainte-Catherine », conclut Madeleine.
Il a pris sa retraite peu de temps après.
Le petit train
L’auteur de l’article doit confesser un lien sentimental qui teinte sans doute son objectivité : Jacques Tison était son grand-père (vous aurez compris que Madeleine est par conséquent sa tante).
Permettez ici un glissement temporaire vers un ton plus personnel.
J’ai visité un jour mon grand-père au magasin Dupuis, rue Sainte-Catherine, un peu avant Noël.
C’était au début des années 1960, j’avais sans doute 3 ans et demi. Je me souviens d’être monté extrêmement haut – au quatrième étage, peut-être – et de m’être réjoui de voir mon moustachu grand-père se pencher vers moi. Mais son apparition a vite été éclipsée par le train miniature qui parcourait le « royaume des jouets ». Réplique électrique d’un train de passagers tiré par une locomotive diesel, ses voitures étaient creusées de sièges dans lesquels les enfants pouvaient s’asseoir pour une tournée sur rails, à la décoiffante vitesse d’un quart de mètre à la seconde.
Retour à l’austère rigueur journalistique.
Au début des années 1970, l’entreprise a démoli son magasin de la rue Sainte-Catherine à l’élégante façade Art déco pour ériger la Place Dupuis – un complexe à usage multiple qui n’a pas marqué l’architecture montréalaise.
« Le début de la fin de Dupuis – ce n’est pas la cause, mais c’est concomitant –, c’est quand ils ont mis cet édifice-là à terre et qu’ils ont construit leur tour, observe Jacques Nantel. Financièrement, ç’a été le début des gros problèmes. »
Symbole du désarroi de l’entreprise, le petit train électrique, peint de couleur métallique, a été transformé en anachronique véhicule spatial dans les années 1970. Il a roulé jusqu’à la faillite de Dupuis et la fermeture du magasin, en janvier 1978.
Ne restait plus que le mince catalogue des souvenirs.