(Québec) Cet été La Presse fait un retour aux sources en compagnie de grands entrepreneurs québécois en revisitant les lieux où leur entreprise a débuté, pour revivre l’époque de leur démarrage. Aujourd’hui, Christiane et Jean-Yves Germain, cofondateurs du Groupe Germain.

« Nos échecs nous ont remis les pieds sur terre »

Au milieu des années 80, leurs restaurants Le Cousin Germain et le Saint-Honoré à Sainte-Foy « marchaient tempête ». Christiane et Jean-Yves Germain se croyaient invincibles. En quête d’inspiration d’un nouveau concept de resto, ils se sont rendus à New York où ils sont tombés amoureux de l’hôtel-boutique où ils séjournaient. Les deux décident alors de transformer l’immeuble de bureaux appartenant à leur père pour créer l’Hôtel Germain-des-Prés à Sainte-Foy.

C’est sur la terrasse du restaurant Bistango, au rez-de-chaussée de l’Hôtel Alt de Québec, que Christiane et Jean-Yves Germain me reçoivent. C’est ici que la sœur et le frère, issus d’un couple de restaurateurs bien connus à Québec, ont construit l’Hôtel Germain-des-Prés, qui a été transformé en 2007 en Hôtel Alt.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le premier hôtel de Christiane et Jean-Yves Germain, l’Hôtel Germain-des-Prés, a été transformé en 2007 en Hôtel Alt.

« On avait eu beaucoup de succès avec nos restaurants. Le Cousin Germain appartenait à notre père, mais c’est nous qui l’exploitions. Le Saint-Honoré a été notre première propriété. À un moment, au début des années 80, on exploitait quatre restaurants et on avait 600 employés », rappelle Christiane Germain.

S’ils se croyaient invincibles, c’est aussi à cette époque qu’ils ont appris la vulnérabilité lorsqu’ils ont acquis une franchise de restaurant Giorgio – une nouvelle chaîne qui démarrait à l’époque. Cela s’est rapidement transformé en échec.

Ils ont fermé le Giorgio pour ouvrir un restaurant de côtes levées en misant sur une recette de sauce qu’ils avaient chèrement payée à un restaurateur de Chicago. Nouvel et cuisant échec.

« Avec le recul, on est contents d’avoir connu ces échecs quand on était jeunes. Ça nous a remis les pieds sur terre et ça nous a appris à être plus prudents par la suite », évalue aujourd’hui Christiane Germain.

Audacieux quand même

La prudence ne leur enlève toutefois pas un sens certain de l’audace, puisqu’au retour de leur voyage à New York à l’hôtel Morgan, en 1986, ils ont mis sur pied leur projet de construire un hôtel dans l’édifice de bureaux qui appartenait à leur père à Sainte-Foy. L’immeuble abritait au rez-de-chaussée son restaurant Le Fiacre, un célèbre steak house de 500 places.

« On voulait tenter autre chose. On restait dans l’industrie du service et de l’hospitalité, mais on développait un nouveau volet où on pouvait bâtir notre propre marque », souligne Christiane Germain.

« Mon père a accepté de nous louer la bâtisse, enchaîne Jean-Yves. On a racheté les baux des locataires et on a ajouté trois étages aux cinq étages existants tout en creusant des stationnements souterrains », précise son frère Jean-Yves.

Pour financer ce projet audacieux, Christiane et Jean-Yves Germain ont mis sur pied une Société de placements dans l’entreprise québécoise (SPEQ), un véhicule qui permettait aux investisseurs de profiter de déductions fiscales.

Il faut souligner que deux des trois partenaires que nous avons réunis à l’époque sont encore avec nous et continuent d’investir dans nos nouveaux projets.

Jean-Yves Germain, coprésident du Groupe Germain

Mais n’empêche, le financement de la construction de l’Hôtel Germain-des-Prés s’est réalisé avant même que la SPEQ soit opérationnelle, ce qui ne se ferait pas aujourd’hui.

« On a ouvert nos portes en avril 1988, mais on n’a obtenu notre financement d’opération qu’en janvier 1989. C’était effectivement audacieux », confirme Jean-Yves Germain, coprésident du Groupe Germain, responsable de la gestion et du développement des affaires du groupe.

« Notre complémentarité, c’est ce qui nous a toujours aidés », observe Christiane Germain, qui s’occupe davantage du marketing et des opérations du Groupe Germain.

Et au départ, elle en faisait beaucoup dans son nouveau rôle d’hôtelière.

« Avec nos restaurants, on a toujours été dans l’industrie de l’hospitalité. Mais quand on a ouvert les portes de l’hôtel, j’ai accompagné notre premier client jusqu’à sa chambre », confie la coprésidente dans un vaste éclat de rire.

Une aventure qui se poursuit

L’aventure hôtelière est devenue rentable dès la deuxième année d’exploitation du Germain-des-Prés. Il a fallu toutefois attendre près de 10 ans avant qu’un deuxième établissement ouvre ses portes, dans le Vieux-Québec, en 1997.

Le Groupe a traversé des années plus difficiles, notamment lors de la récession de 1991, avant de reprendre l’édifice de l’Hôtel Le Dominion pour en faire un Hôtel Germain. Puis ç’a été l’ouverture d’un premier Germain à Montréal en 1999 puis d’un autre à Toronto en 2003.

Depuis, le Groupe Germain a posé son empreinte sur le vaste territoire canadien, de St. John’s (Terre-Neuve) à Calgary en passant par Halifax et Saskatoon. Dix-huit hôtels sont exploités sous l’enseigne Germain, Alt ou Alt+, et deux nouveaux vont s’ajouter au cours de la prochaine année.

Jamais je n’aurais pensé en 1988 qu’on aurait un jour une chaîne de 20 hôtels au Canada.

Christiane Germain, coprésidente du Groupe Germain

« Dans ma tête, je savais qu’il y en aurait d’autres qui viendraient. On avait un concept novateur avec des lits confortables, des télécommandes qui n’étaient pas vissées à la table de lit, des peignoirs et des douches vitrées ouvertes sur la chambre », réplique pour sa part Jean-Yves Germain.

Ni le frère ni la sœur ne voient la fin de cette aventure qu’ils ont entreprise il y a maintenant 31 ans.

Le Groupe Germain en quelques chiffres

18 : nombre d’hôtels sous les enseignes Le Germain, Alt et Alt+. Deux nouveaux établissements vont ouvrir en 2020 et Le Germain de Montréal va rouvrir cet automne après des rénovations majeures.

1250 : nombre d’employés

5 millions : nombre de clients-invités par année

1988 : année de fondation

Quatre questions aux Germain

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Chambre de l’Hôtel Alt de Sainte-Foy

Quelle a été votre meilleure décision des 30 dernières années, celle qui vous a été la plus profitable ?

Christiane Germain : La meilleure décision, ç’a été d’ouvrir l’hôtel ici à Québec. C’est ici que tout a commencé. Si on ne l’avait pas fait, rien ne serait arrivé par la suite. C’est la décision qui a été la plus déterminante, celle qui a eu le plus de répercussions par la suite.

Quel est l’évènement ou le coup qui a été le plus difficile à encaisser au cours des 30 dernières années ?

Jean-Yves Germain : Ç’a été nos difficultés à trouver du financement lorsqu’on avait pourtant déjà ouvert quatre hôtels. On sollicitait des gens de Québec inc. en leur présentant nos projets de nouveaux hôtels et on ne suscitait pourtant aucun intérêt chez eux. Malgré le chemin parcouru, on était ignorés. Ç’a été dur à prendre.

Cela fait plus de 30 ans que vous développez votre entreprise. Vous allez encore ouvrir deux nouveaux hôtels l’an prochain. Comment vous expliquez-vous que peu d’entreprises affichent aujourd’hui cette volonté de s’inscrire dans la durée ?

Jean-Yves Germain : Les gens développent leur entreprise, et rendu à une certaine taille, ils ont le choix. Est-ce que je me rends au prochain stade de développement où je vends à un intégrateur ? Beaucoup décident de vendre rapidement.

Christiane Germain : Je pense que ce qui explique notre longévité, c’est notre complémentarité, Jean-Yves et moi. On a poursuivi notre développement parce qu’on se partageait la tâche sans se marcher sur les pieds. Ça s’est fait naturellement.

Quel conseil donnez-vous aux jeunes entrepreneurs qui décident de lancer leur entreprise ?

Christiane Germain : Si tu fais cela pour l’argent, ne le fais pas. Ça n’a jamais été une motivation pour moi. L’important, c’est de faire ce que tu aimes.

Jean-Yves Germain : C’est tout à fait vrai. Le mot « dividende », ça a pris du temps avant qu’on l’entende. Durant les 15 premières années du Groupe Germain, on a travaillé très fort sans qu’on se paie de bons salaires. Il faut être patient, tenace et croire à ce que tu fais.