SNC-Lavalin déçoit de nouveau ses actionnaires en coupant leur dividende trimestriel de 80 %, ce qui aggrave du coup des résultats trimestriels rendus lourdement déficitaires par 1,8 milliard en frais de restructuration annoncés précédemment.

En conséquence, la valeur boursière attribuée à SNC-Lavalin a encore plongé de 9 % hier ; ses actions ont terminé la séance à 18,92 $, ce qui constitue un nouveau creux en Bourse depuis 15 ans pour le géant déchu du génie-conseil.

Au trimestre terminé le 30 juin, SNC-Lavalin a comptabilisé une perte nette de 2,12 milliards, par rapport à un profit net de 83 millions à la période correspondante l’an dernier.

Déception aussi du côté des revenus : ils ont atteint 2,28 milliards au deuxième trimestre, en baisse de presque 10 % par rapport aux revenus de 2,5 milliards comptabilisés à la même période l’an dernier.

« Même si ces résultats sont principalement conformes à l’annonce [de frais spéciaux] du 22 juillet dernier, ils démontrent une performance encore difficile du secteur de gros projets de construction chez SNC-Lavalin. Ils soutiennent aussi la décision de la direction de quitter le marché des projets par contrats à prix fixe », a indiqué l’analyste montréalais Benoit Poirier, chez Desjardins Marchés des capitaux, dans une note à ses clients-investisseurs.

En téléconférence avec les analystes, le président et chef de la direction par intérim de SNC-Lavalin, Ian Edwards, a admis « qu’il ne fait aucun doute que SNC-Lavalin affronte des défis difficiles ».

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Ian Edwards, président et chef de la direction par intérim de SNC-Lavalin

Au cours des derniers trimestres, nous avons établi des objectifs de résultats que nous n’avons pas atteints. C’est inacceptable.

Ian Edwards, président et chef de la direction par intérim de SNC-Lavalin

« C’est inacceptable pour moi et pour toutes les parties prenantes [actionnaires et créanciers, employés, clients, etc.] qui ont mis leur confiance en SNC-Lavalin pour qu’elle fasse ce qu’elle a dit qu’elle ferait. »

Quant à la décision de couper le dividende trimestriel, qui passera de 10 à 2 cents par action, la direction de SNC-Lavalin la justifie par le besoin « d’assainir et de renforcer son bilan ».

Mal accueillie par les actionnaires, cette décision obtient toutefois l’aval d’analystes, dont Benoit Poirier.

« Je soutiens la décision de réduire le dividende compte tenu de la pression continue sur son bilan », indique-t-il dans une note à ses clients-investisseurs.

Carnet de commandes

Quant au carnet de commandes, l’un des indicateurs clés des perspectives d’affaires de SNC-Lavalin, il est comptabilisé à 15,68 milliards en fin de deuxième trimestre, en hausse modeste de 3 % sur un an.

De l’avis de l’analyste Frédéric Bastien, de la firme Raymond James, l’obtention récente de nouveaux contrats de génie-conseil aux Émirats arabes unis et dans le sud des États-Unis « montre que SNC-Lavalin continue de remporter des contrats à l’extérieur du Canada ».

Mais, selon l’analyste Maxim Sytchev, de la Financière Banque Nationale, SNC-Lavalin « manque de clarté » dans sa stratégie visant à s’assurer que les contrats à prix fixe restants – qui constituent le quart du carnet de commandes – seront livrés sans autres mauvaises surprises.

« Selon certaines estimations, SNC-Lavalin pourrait avoir besoin de 500 millions à 1 milliard pour mener à bien ces projets, compte tenu du manque de résultats probants jusqu’à maintenant », indique M. Sytchev dans une note à ses clients-investisseurs.

Du point de vue de l’analyste Krzysztof Smalec, de la firme américaine Morningstar, le « risque de problèmes d’exécution supplémentaires » sur l’inventaire de projets par contrats à prix fixe chez SNC-Lavalin pourrait nuire à son « redressement sur quelques années afin de remettre en valeur des atouts intéressants dans ses activités d’ingénierie ».

Révision d’activités

Il y a une semaine, alors qu’il avisait d’une autre séquence de frais de restructuration de plus de 1 milliard, Ian Edwards avait annoncé que SNC-Lavalin quitterait le marché des contrats à prix fixe – où elle doit absorber les dépassements de coûts – pour se recentrer sur le marché des services d’ingénierie, moins risqués financièrement.

En réponse aux questions d’analystes, hier, M. Edwards a indiqué que la volatilité des résultats liés aux dépassements de coûts des contrats à prix fixe demeurait la « cause fondamentale de la sous-performance de l’entreprise ».

Par ailleurs, le président par intérim de SNC-Lavalin a réitéré qu’un examen de « toutes les options » concernant les activités dans le secteur des ressources, très mal en point depuis plusieurs trimestres, demeurait parmi ses « hautes priorités à court terme ».

SNC-Lavalin a récemment été critiquée publiquement par son plus important actionnaire, la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui a réclamé des actions décisives et rapides pour redresser une situation qualifiée d’« inacceptable ».

Depuis le début de l’année, la Caisse a vu la valeur boursière de sa participation d’environ 20 % au capital-actions de SNC-Lavalin fondre de quelque 875 millions.

En réaction aux résultats trimestriels, hier, la Caisse indiquait que « nous prenons note de l’intention de l’entreprise de s’attaquer à la tendance actuelle de la performance et nous allons continuer à suivre la situation ».

Rappelons qu’en plus de ses défis de redressement, SNC-Lavalin fait face à des accusations criminelles de fraude et de corruption pour des gestes qui auraient été faits en Libye entre 2001 et 2011. Un verdict de culpabilité pourrait écarter l’entreprise des contrats d’origine fédérale au Canada pendant une décennie.

Six moments clés depuis un an

Octobre 2018 : La direction révèle que le Service des poursuites pénales du Canada ne négociera pas d’accord de réparation relativement aux accusations de fraude et de corruption déposées par la GRC pour des gestes commis en Libye

Janvier 2019 : Avertissement entourant les résultats futurs et dévoilement d’un « sérieux problème » (dépassement de coûts) lié à un projet au Chili qui sera plus tard associé à un contrat avec l’entreprise étatique Codelco

Février 2019 : Pour la première fois depuis 1992, une réduction du dividende (de 65 %) est annoncée.

Mai 2019 : La performance de début d’exercice déçoit les attentes, mais la direction conserve ses perspectives intactes.

Juin 2019 : Le départ du PDG Neil Bruce est annoncé. Ian Edwards est nommé pour prendre la relève de façon intérimaire.

Août 2019 : Pour la deuxième fois en six mois, une réduction substantielle du dividende (- 80 %) est annoncée.

— Richard Dufour, La Presse