À l'époque où elle fabriquait le Bras canadien, à Montréal, on l'appelait le « fleuron de l'industrie aérospatiale canadienne ». Depuis le début de l'année, elle n'est plus canadienne. Quant à son statut de fleuron, il en a sérieusement pris pour son rhume, notamment depuis la perte il y a deux semaines d'un important satellite évalué à plus de 200 millions de dollars et le dépôt d'une action collective d'actionnaires. Explications.

Un fleuron

La Maxar que l'on connaît aujourd'hui est née en octobre 2017 de l'acquisition par la canadienne MacDonald, Dettwiler et Associés (MDA) de l'américaine DigitalGlobe.

L'entreprise compte aujourd'hui quatre divisions : MDA, SSL, DigitalGlobe et Radiant Solutions.

Son offre couvre entre autres les satellites de communication, d'observation et d'imagerie, les véhicules d'exploration spatiale, les systèmes d'information pour les avions et les navires, la vente d'images de la Terre et les systèmes d'analyse automatisée de l'imagerie satellite.

MDA emploie toujours environ 1900 personnes au Canada, entre autres à Montréal. L'entreprise s'est notamment rendue célèbre par sa participation aux projets du Bras canadien et des satellites RADARSAT.

Un titre qui s'écrase

Malgré un rebond de 6,6 %, hier, à la Bourse de Toronto, le titre de Maxar a encore perdu plus de 90 % de sa valeur depuis 13 mois, passant d'un peu plus de 85 $ à un prix de clôture de 6,88 $, hier.

La chute s'est en fait précipitée depuis la publication, en août dernier, d'un avis dévastateur provenant de Spruce Point Capital Management, un fonds d'investissement new-yorkais militant, celui-là même qui s'en est récemment pris à Dollarama.

Selon Spruce Point Capital, la direction de Maxar s'est lancée dans des acquisitions dans le seul but de masquer de façon comptable des erreurs du passé, a réalisé quelques magouilles comptables pour gonfler ses profits déclarés jusqu'à 79 % et ne pouvait faire autrement que de supprimer son dividende, compte tenu de ses faibles flux de trésorerie et de son fort niveau d'endettement.

Pas plus tard que lundi dernier, l'analyste Stephanie Price, de la CIBC, a ramené son cours cible sur 12 à 18 mois pour l'action de Maxar de 15 à 6 $US (le titre a terminé la journée d'hier à 5,14 $ sur les marchés américains).

« Nous entrevoyons un certain nombre d'obstacles à court terme. » - Stephanie Price, analyste à la CIBC

De façon générale, la communauté financière semble avoir de la difficulté à percevoir la situation de Maxar. Pour le quatrième trimestre, conclu le 31 décembre, les prévisions de revenus des analystes vont de 1,49 à 2,2 milliards US, un écart considérable.

Une action collective d'actionnaires s'est aussi mise en branle, articulée principalement autour des mêmes arguments que ceux de Spruce Point Capital.

Un marché en déclin

En juillet dernier, la haute direction de Maxar a annoncé son intention de se défaire de sa division de satellites de communication géostationnaires. Celle-ci a représenté environ le quart de ses revenus en 2018, mais à peine 5 % de ses profits. Pire, les revenus y sont en chute libre, même si l'entreprise estime toujours être le numéro un du marché. Bref, c'est un marché condamné à disparaître, estime-t-on.

Dans une présentation aux investisseurs réalisée à la fin novembre, le président et chef de la direction Howard Lance - il a depuis été remplacé - disait espérer pouvoir procéder à une annonce au cours du quatrième trimestre. Cette annonce n'est pas venue.

Un satellite à la poubelle

Comme si la pression n'était pas déjà assez forte, le ciel est un peu tombé sur la tête de Maxar au début de l'année. WorldView-4, le plus récent satellite commercial d'observation terrestre mis en orbite par la filiale DigitalGlobe en novembre 2016, a cessé de fonctionner.

Plus précisément, ce sont ses gyroscopes inertiels de commande d'attitude qui ont fait défaut, « empêchant le satellite d'amasser des images en raison de la perte d'un axe de stabilisation », a écrit l'entreprise dans un communiqué diffusé le 7 janvier dernier.

WorldView-4 avait encore une valeur de 155 millions US (200 millions CAN) dans les livres comptables de Maxar. Celle-ci devrait être comblée par un remboursement d'assurances de 183 millions US. Mais environ 85 millions US de revenus récurrents associés à ce satellite devraient disparaître.

« L'impact de cette perte est plus important qu'il n'y paraît par rapport à ses revenus annuels de 2 milliards », écrivaient les gestionnaires de Cote 100 dans leur lettre du 8 janvier dernier.

« Premièrement, il convient de se rappeler que la division "Imagery and Services" génère une marge d'exploitation d'environ 60 % comparativement à des marges de 28 % pour l'ensemble de l'entreprise. Maxar estime toutefois pouvoir conserver 10 à 15 millions des revenus perdus en utilisant d'autres satellites. À notre avis, l'entreprise verra ses bénéfices d'exploitation amputés d'environ 45 millions. »

Une dette qui pèse lourd

D'un point de vue financier, la situation de Maxar n'est pas sans rappeler celle de Bombardier. La dette nette actuelle de Maxar se situe à 3,1 milliards et pèse très lourd sur la confiance des investisseurs.

La plupart des analystes s'attendent par conséquent à ce que l'entreprise annonce, à l'occasion de ses prochains résultats trimestriels, probablement en février, la suppression du dividende annuel de 65 millions.

Quelques signes encourageants

Il y a quand même quelques signes encourageants à l'horizon. En excluant la division des satellites géostationnaires qui est à vendre, les revenus ont affiché une progression saine de 4,4 % après trois trimestres en 2018.

L'entreprise prévoit également conclure en 2020 la construction de la constellation de satellites WorldView Legion 1 et ne pas entreprendre la construction de WorldView Legion 2 avant 2024. Cela lui laisserait donc trois années (2021-2023) d'investissements en capitaux réduits, une oasis durant laquelle elle pourrait réduire sa dette.

Un autre actif important de l'entreprise est le terrain de 29 acres sur lequel est située l'une de ses usines, dans la Silicon Valley. Tout porte à croire qu'il sera vendu, ce qui permettra à l'entreprise d'engranger quelques centaines de millions de dollars de liquidités qui pourront servir à rembourser une partie de sa dette.

L'entreprise est aussi positionnée pour profiter de ce qu'elle estime être de « forts vents de dos » découlant de la hausse des budgets des gouvernements pour les dépenses de défense et de sécurité, ainsi que de la hausse de la demande pour de l'imagerie satellitaire dans le domaine commercial, par exemple par Google et Uber.

Elle est aussi sur les rangs, en collaboration avec Thales Alenia et en compétition avec Airbus, pour un important contrat de satellites de communication qui devrait être accordé par Telesat l'été prochain.

Infographie La Presse