Le gouvernement Trudeau a dû se défendre d'avoir cédé une partie de sa «souveraineté» dans les négociations de libre-échange qu'il pourrait entamer avec la Chine, hier, deux jours après avoir conclu in extremis un ALENA 2.0 avec Washington.

Une clause enfouie dans les milliers de pages de l'Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC), qui remplacera l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), prévoit que les trois pays membres du nouveau traité devront consulter leurs partenaires avant de signer une entente de libre-échange avec un pays à l'économie dirigée (« non-market country ») comme la Chine.

« Ça donne essentiellement aux États-Unis un droit de veto », a fait valoir à La Presse Paul Evans, professeur à l'Institut de recherches asiatiques à l'Université de la Colombie-Britannique.

L'expert s'est dit « stupéfait » par l'ajout de cet article (32.10) dans l'AEUMC. La Chine n'est nulle part mentionnée dans le texte, mais l'administration de Donald Trump a clairement exprimé sa désapprobation envers les pratiques commerciales de ce géant, en frappant notamment le pays avec des tarifs douaniers de plusieurs centaines de milliards de dollars.

TROIS MOIS D'AVIS

En vertu de l'article 32.10, tout pays membre de l'AEUMC devra informer ses deux autres partenaires au moins trois mois avant de commencer des négociations de libre-échange formelles avec un pays à l'économie dirigée. Le texte d'une éventuelle entente devra être présenté aux deux autres au moins un mois avant sa signature.

En cas de désapprobation, les pays pourront donner un préavis de six mois pour se retirer de l'AEUMC et conclure plutôt une entente bilatérale - par exemple, les États-Unis avec le Mexique, sans le Canada.

Cette clause pourrait vraisemblablement compliquer la tâche du Canada, qui a entamé il y a deux ans des discussions « exploratoires » en vue de ratifier un possible accord de libre-échange avec la Chine.

Deux sources gouvernementales ont affirmé à La Presse que l'article 32.10 n'empêcherait « pas du tout » le Canada d'aller de l'avant avec un éventuel traité avec le géant asiatique. Elles rappellent que les trois pays membres de l'ALENA ont déjà la possibilité de signifier un préavis de retrait de six mois - ce que Donald Trump avait menacé de faire à plusieurs reprises avant et pendant les négociations acrimonieuses de l'AEUMC.

« La seule chose qui est nouvelle là-dedans, c'est le devoir d'informer. Et c'est bon aussi pour nous que les autres pays nous informent. » - Une source gouvernementale

Dans un évènement tenu hier à Vancouver, Justin Trudeau a affirmé que le Canada cherchait toujours à « approfondir et améliorer » ses relations commerciales avec la Chine, un « acteur significatif et en croissance du commerce mondial ».

« VETO DE TRUMP »

Quoi qu'il en soit, les partis de l'opposition ont talonné le gouvernement Trudeau hier pour avoir davantage d'explications. Le député conservateur Dean Allison a qualifié l'article 32.10 de « veto de Trump », tandis que la néo-démocrate Tracey Ramsey a souligné que « le diable est dans les détails ».

La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a nié catégoriquement toute subordination du Canada à la volonté américaine. Elle a insisté pour dire que le Canada continuerait à diversifier ses partenariats commerciaux, comme il l'a fait récemment en ratifiant deux accords de libre-échange avec l'Europe et l'Asie.

« L'ALENA, en tant que traité, a toujours eu des mécanismes pour permettre aux parties de quitter, ce qui est essentiel, a lancé Mme Freeland. Et laissez-moi être claire : le Canada conserve sa pleine souveraineté et un contrôle complet dans ses relations commerciales. »

« SIGNAL » À LA CHINE

Le professeur Paul Evans croit malgré tout que l'article 32.10 de l'AEUMC « viendra consolider la perception que c'est maintenant l'Amérique du Nord contre la Chine ».

Sans citer l'article en question, le principal conseiller économique de Donald Trump, Larry Kudlow, s'est réjoui hier matin du poids qu'aura l'AEUMC face au géant chinois.

« Je crois que le continent en entier est maintenant uni contre ce que j'appellerais des pratiques commerciales injustes par vous savez qui : ça commence par un C et ça finit par un A », a-t-il dit en point de presse à Washington, en référence au nom de la Chine en anglais (China).

« Honnêtement, ça envoie le signal à la Chine que nous agissons en un seul bloc, et je crois que c'est très bien », a poursuivi M. Kudlow.

L'AEUMC devra être avalisé par les élus des trois pays membres avant d'entrer en vigueur en remplacement de l'ALENA. Donald Trump, qui ressort comme le grand gagnant de la négociation ardue des 14 derniers mois, a indiqué qu'il espérait signer le traité avant la fin du mois de novembre.