Faute d'appui de la part de l'opposition, la ministre Julie Boulet devra, selon toute vraisemblance, renoncer à sanctionner les conducteurs dont l'alcoolémie excède 0,05. Alors, essayons autre chose, soyons des pionniers.

Au point de vue scientifique, l'abaissement du taux maximal d'alcoolémie chez les conducteurs se justifie: les perturbations sur la conduite causées par l'alcool commencent à être manifestes au-delà de 0,5 pour mille - notamment la diminution de l'attention et de la capacité de réaction.

 

Mais l'adoption de ce nouveau seuil serait injuste, diront certains - la tête vous tourne avec un verre alors que votre voisin de table enchaîne les tournées sans broncher - et, surtout, elle ne serait pas facile à faire respecter. Les policiers seraient sans doute forcés de contrôler tous les automobilistes (et pas seulement ceux qui ont une conduite bizarre), car une alcoolémie légèrement supérieure à 0,5 est plus facile à dissimuler que des taux de 0,8 et au-delà. C'est injuste mais c'est ainsi: nous ne sommes pas tous égaux devant l'alcool.

 

C'est vrai que, entre 0,8 et 0,5, la différence est extrêmement sensible, mais il ne s'agit pas d'une mesure symbolique pour autant, comme l'a si justement rappelé le fondateur de Nez rouge, Jean-Marie De Koninck : «On a dit que seulement 6 % des accidents causés par l'alcool sont le fait de conducteurs dont l'alcoolémie varie entre 0,05 et 0,08. Mais 6 % de 200 morts, c'est 12 morts!» Et c'est 12 de trop.

 

Alors pourquoi ne pas pousser le bouchon un peu plus loin dans le goulot de la bouteille? Permettre aux automobilistes de prendre le volant après avoir bu de l'alcool, n'est-ce pas là de l'hypocrisie? La question mérite d'être à nouveau posée. S'il apparaît essentiel d'apposer sur les paquets de cigarettes que «fumer tue», pourquoi ne pas bannir complètement l'alcool au volant? Nos politiciens auront-ils le courage de le faire? Ce qui manque, c'est une véritable éducation, une véritable conviction. Le discours doit être très simple: quand on conduit, on ne boit pas.

 

Trop de personnes sous-estiment les risques qu'ils prennent, notamment à cause de l'effet euphorisant de l'alcool: altération rapide du champ de vision, de la vigilance, augmentation immédiate du temps de réaction au freinage. En outre, l'alcool désinhibe et fait prendre des risques... Autant de facteurs pouvant favoriser l'accident mortel.

 

Si les effets peuvent varier en fonction des caractéristiques de chacun (poids, taille), ils sont dangereux pour tout conducteur. Et point n'est besoin d'être saoul pour ne plus être maître de son véhicule; l'alcool agit bien avant l'état d'ivresse. Pourtant, la majorité des conducteurs restent persuadés qu'ils sont capables de maîtriser la situation. Les gens ne sont pas toujours conscients de la gravité des faits ni de la sanction, d'ailleurs.

 

Il apparaîtrait plus logique d'interdire complètement l'alcool au volant. Une mesure qui permettrait certainement d'éviter des drames. Encore faudrait-il rassurer l'industrie de la restauration et des bars...

Et le cellulaire?

Des dangers de la conduite avec facultés affaiblies à ceux liés à l'utilisation d'un téléphone cellulaire au volant, il n'y a qu'un pas. Le projet de loi 42 entend interdire son usage au profit d'un dispositif mains libres. D'accord, mais est-ce moins dangereux?

 

Pas si sûr. Une étude réalisée il y a cinq ans (les habitacles de nos voitures sont devenus encore plus distrayants depuis) par le Transport Research Laboratory en Grande-Bretagne concluait que conduire avec un téléphone cellulaire, mais également avec un dispositif mains libres, s'avère plus dangereux que conduire sous l'influence de l'alcool.

 

Selon cette même étude, le temps de réaction des conducteurs ayant un téléphone cellulaire dans la main était de 30 % plus lent que celui d'un automobiliste ayant 80 mg d'alcool pour 100 millilitres de sang, et de 50 % plus lent par rapport à une conduite normale. Malgré la liberté qu'offre un dispositif mains libres, l'utilisation d'un téléphone cellulaire provoque une distraction mentale dont les effets peuvent se prolonger quelques minutes après la fin de la conversation.

 

L'étude britannique a également détruit le mythe selon lequel utiliser un téléphone cellulaire ne distrairait pas plus qu'écouter la radio ou parler avec un passager.

 

Dire que l'utilisation du téléphone est plus dangereuse que l'alcool est-il exagéré? Je ne sais pas. Mais entre deux maux, la ministre Boulet a choisi le moindre, puisqu'il ne sert à rien de mettre en place des lois qui ne peuvent être appliquées. Soyons réalistes: l'interdiction du mainslibres était inapplicable. En effet, comment la police aurait-elle déterminé si le conducteur parle ou s'il chante?