Chaque samedi, un de nos journalistes répond à l’une de vos questions sur l’économie, les finances, les marchés, etc.

« Ma question concerne les taux d’intérêt (encore) et les banques. À quel point est-ce que les banques sont liées au taux directeur pour établir par exemple le taux hypothécaire qu’elles proposent ? Une grande banque canadienne n’est pas assez indépendante financièrement pour pouvoir se démarquer du marché et proposer un taux hypothécaire à, disons, 4 % ? » – Jean-François Gauthier

Les pages économiques des journaux parlent constamment de l’évolution des fameux taux directeurs des banques centrales, dans tous les pays. Peu d’articles toutefois se penchent sur la véritable dynamique qui les lie aux intérêts que paient monsieur et madame Tout-le-Monde sur leur prêt hypothécaire.

Alors, pourquoi donc les banques et les caisses doivent-elles suivre le « diktat » du taux directeur que détermine la Banque du Canada ?

En gros, parce que c’est la « banque des banques ».

Les banques centrales s’appuient sur l’énorme puissance financière des États, qui leur ont délégué le pouvoir d’émettre de la monnaie : aucune autre institution n’a les reins aussi solides. En conséquence, aucune autre organisation ne peut offrir de prêts à de meilleurs taux d’intérêt qu’elles non plus.

Taux directeur, taux plancher

Le « taux directeur » que détermine une banque centrale devient donc le taux plancher dans un pays ou dans une zone monétaire comme celle de l’Union européenne.

Il s’applique sur les prêts les moins risqués : les « financements à un jour », que les banques et les caisses s’accordent entre elles quotidiennement pour régler les paiements de cartes de crédit, les virements et les chèques de leurs clients. Ces prêts ne durent que le temps d’équilibrer les comptes à la fin de la journée.

Ce sont les financements les moins risqués : « Un prêt d’une journée à l’autre, c’est pratiquement de l’argent liquide », résume Jean Boivin, directeur général du BlackRock Investment Institute et ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada.

En ce moment, ce taux directeur est de 5 % au Canada, après la série de neuf hausses décrétées depuis 2022 pour calmer l’inflation.

Pour une institution financière, la question est la suivante : pourquoi accorderais-je un prêt hypothécaire à ce client à 4 % d’intérêt, alors que je pourrais déposer cette même somme à la Banque du Canada à 5 % d’intérêt, à un risque pratiquement nul ?

« La possibilité de se tourner vers la banque centrale, c’est ce qui impose le taux directeur », résume Jean Boivin.

Le particulier a beau jouir d’un bon emploi stable, être millionnaire – milliardaire même –, lui prêter de l’argent restera toujours plus risqué que d’en déposer à la Banque du Canada.

Par-dessus le taux de 5 % que lui offrent les autres institutions financières, les banques ajoutent donc une « prime » pour les prêts qu’elles accordent aux particuliers et aux entreprises, nécessairement plus risqués.

En ce moment, elles offrent des taux variables de 6,25 %.

Les prêts hypothécaires à taux fixe sur trois, cinq ou sept ans suivent quant à eux d’autres taux à plus long terme, comme ceux des obligations gouvernementales.

Les banques ne prêtent pas leur propre argent

Eh non, les institutions financières ne sont pas suffisamment indépendantes du marché pour sortir de cette logique. En fait, elles ne le sont pas du tout : « Au final, ces prêts, les banques les financent avec leurs propres emprunts », explique l’économiste en chef du Mouvement Desjardins Jimmy Jean. Elles doivent donc nécessairement exiger plus d’intérêts que ce qu’elles doivent payer elles-mêmes.

« Prêter en bas du coût de leurs propres emprunts, ça pourrait donner lieu à des enjeux et devenir difficile du point de vue de la profitabilité, dit Jimmy Jean. C’est important que les institutions financières restent à flot, sinon ça crée des problèmes immédiats dans l’économie. »

Pour imaginer les conséquences dramatiques que pourrait avoir un crédit trop facile, pas besoin de science-fiction.

Aux États-Unis, les prêts hypothécaires dits subprimes ont largement contribué à déclencher la Grande Récession de 2008, dans tout l’Occident. Les banques accordaient ces financements à des clients à haut risque, à des taux « promotionnels » qui augmentaient dans le temps.

Quand la valeur des maisons est tombée, c’est toute la machine économique qui s’est enrayée.