(Toronto) L’escalade des tensions entre le Canada et l’Inde met en péril les relations commerciales et d’investissement délicates que les deux pays s’efforcent de faire progresser depuis des années, ont souligné vendredi des chefs d’entreprise.

Le premier ministre Justin Trudeau a accusé l’Inde, lundi, d’être impliquée dans le meurtre d’un homme recherché par les autorités de ce pays. Hardeep Singh Nijjar, militant sikh et citoyen canadien, a été abattu en juin devant un temple sikh dans une banlieue de Vancouver.

La situation s’est aggravée dans les jours suivants, les deux parties s’engageant dans un échange de représailles diplomatiques en expulsant mutuellement leurs représentants. L’Inde a également temporairement suspendu tous les services de visa pour les citoyens canadiens.

Le président-directeur général du Conseil de commerce Canada-Inde, Victor Thomas, a indiqué que le Canada s’efforçait de développer ses relations commerciales avec l’Inde, le pays le plus populeux au monde, avec la croissance économique la plus rapide parmi les grandes économies de la planète.

Les négociations commerciales sont maintenant affectées en raison du conflit entre les deux pays, le ministre canadien du Commerce ayant reporté une mission prévue en octobre en Inde.

Les entreprises aiment la stabilité et la prévisibilité, a rappelé M. Thomas. La situation actuelle est tout sauf cela.

« Au milieu de tout cela […], nous essayons de voir, vous savez, où les choses atterrissent et comment nous pouvons réellement naviguer vers l’avenir. »

Il y a quelques semaines à peine, M. Thomas avait déclaré que les chefs d’entreprise canadiens avaient de grands espoirs qu’Ottawa et l’Inde puissent signer un accord commercial des premiers progrès, largement considéré comme une étape importante vers un accord de partenariat économique global plus large.

Les négociations pour un accord couvrant des secteurs spécifiques ont commencé en 2010, ont été suspendues pendant cinq ans et ont finalement repris en 2022, mais le Canada a de nouveau suspendu le processus au début de septembre. La nouvelle avait suscité la surprise et l’inquiétude du monde des affaires, le gouvernement du premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, affirmant alors que les provinces étaient tenues dans l’ignorance.

La Saskatchewan représente une grande partie des exportations canadiennes vers l’Inde. Le Canada a envoyé pour 5,3 milliards de marchandises vers ce pays en 2022, soit 0,7 % des exportations globales, selon Statistique Canada. Les importations en provenance de l’Inde se sont élevées à 8,3 milliards, soit environ 1,1 % du total des importations globales.

Certains des principaux produits canadiens exportés comprennent les minerais et les minéraux non métalliques, en particulier la potasse, ainsi que les légumineuses comme les lentilles.

Impacts à long terme inconnus

M. Thomas a fait valoir qu’il existait un grand potentiel commercial inexploité entre les deux pays, mais qu’une grande partie des progrès semblait désormais gaspillée. L’homme d’affaires se trouvait en Inde cette semaine, avec une délégation, lorsque M. Trudeau a fait ses allégations. Les pourparlers ont alors été annulés, a-t-il précisé.

Bien que les impacts à long terme de cette situation soient encore inconnus, pour certains acteurs du monde des affaires, les choses changent d’heure en heure, a souligné Jonathon Azzopardi, PDG et président de l’entreprise manufacturière ontarienne Laval Tool & Mold, et administrateur de l’association canadienne des fabricants de moules.

Son entreprise devait rencontrer le gouvernement indien cette semaine au sujet de sa participation à des projets au cours de l’année à venir.

« Même s’ils en ont parlé gentiment, ils ont dit très clairement que cette situation entre le Canada et l’Inde devait trouver une solution […] avant qu’ils ne puissent aller plus loin », a expliqué M. Azzopardi.

Les relations d’affaires entre les deux pays ne sont pas égales compte tenu de la taille de l’Inde, a souligné M. Azzopardi. « Le Canada a plus besoin de l’Inde que l’Inde n’a besoin du Canada. »

Et à l’heure actuelle, les relations tendues entre les deux pays se trouvent sur un terrain difficile, a-t-il estimé.

« C’est le genre de choses qui peuvent rompre les relations pour de bon. Et l’Inde est déjà un pays très compliqué, avec lequel il est difficile d’établir des relations commerciales », a-t-il noté.

Le président de l’Association des fabricants de pièces automobiles, Flavio Volpe, s’est dit plus préoccupé par les conséquences à long terme du conflit pour son industrie que par tout impact immédiat, mais il espère également que le problème pourra être résolu.

Il n’y a pas beaucoup d’échanges commerciaux entre l’Inde et le Canada en ce qui concerne le secteur automobile, mais il y a beaucoup d’investissements canadiens dans le secteur manufacturier indien, a-t-il expliqué. Les accords existants se poursuivront malgré les tensions, a-t-il ajouté.

Toutefois, à plus long terme, le sentiment de sécurité est important pour les entreprises, a-t-il dit. Les investisseurs voudront savoir si les allégations de M. Trudeau sont vraies, pour s’assurer d’investir dans un pays qui respecte la primauté du droit.

Ainsi, selon la façon dont cela se déroulera, les progrès des investissements à long terme pourraient stagner, a prévenu M. Volpe.

La suspension des services de visa en Inde pourrait également avoir des conséquences majeures sur le monde des affaires, car le commerce et les investissements nécessitent souvent des déplacements, a observé M. Thomas.

« Tout se passe en temps réel. Et nous essayons tous de comprendre cela », a-t-il indiqué.