(GIVE, Danemark) L’industrie éolienne, à qui on doit des centaines de milliers de turbines produisant de l’électricité propre, est née dans une région du Danemark notoirement venteuse, le Jutland.

C’est ici, il y a près de 50 ans, après que l’embargo pétrolier de 1973 eut réduit l’approvisionnement de l’Occident, que des inventeurs et des machinistes se sont mis à échanger des idées sur la façon d’exploiter le vent qui balaie cette étendue plate séparant la mer du Nord des îles qui forment le reste du Danemark. Si d’innombrables personnes ont perfectionné ces machines à hélice qui se dressent sur les côtes, les plaines et les montagnes, aucun n’a eu plus d’influence qu’un habitant du Jutland nommé Henrik Stiesdal.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE STIESDAL

Un prototype pleinement fonctionnel de fondation flottante Stiesdal TetraSpar est installé depuis juin 2021 à 10 km au large des côtes norvégiennes, en mer du Nord. Il porte une turbine éolienne de 3,6 MW de Siemens Gamesa.

À 21 ans, il a construit une éolienne rudimentaire pour éclairer la ferme de ses parents. Plus tard, il a été coconcepteur d’un rotor à trois pales qui a mené à l’éclosion d’une industrie mondiale de plusieurs milliards de dollars. Ses inventions ont donné lieu à un millier de brevets, et Henrik Stiesdal est reconnu comme un pionnier dans ce domaine d’expertise très danois.

À 66 ans, il continue. Après avoir travaillé pendant 40 ans pour des firmes devenues les géants de l’énergie éolienne d’aujourd’hui, M. Stiesdal a lancé une jeune pousse qui porte son nom. Il travaille sur des moyens novateurs de produire une énergie propre et abordable, tout en luttant contre le changement climatique.

Dans son usine de Give, une petite ville au milieu du Jutland, des soudeurs assemblent d’énormes structures tétraédriques, conçues par M. Stiesdal, qui porteront des éoliennes flottantes. Constituées de tubes et ressemblant à d’énormes jouets Lego, ces fondations semi-submersibles portent le nom de TetraSpar. Un prototype pleinement fonctionnel est installé depuis juin 2021 à 10 km au large des côtes norvégiennes. La structure couvre une surface équivalant à deux terrains de football.

PHOTO CHARLOTTE DE LA FUENTE, THE NEW YORK TIMES

Dans l’usine Stiesdal de Give, une petite ville au milieu du Jutland, des soudeurs assemblent d’énormes structures tétraédriques, conçues par Henrik Stiesdal, qui porteront des éoliennes flottantes.

À proximité, des ingénieurs testent une machine ressemblant à une série de piles de plateaux de cafétéria. C’est un prototype d’électrolyseur, un dispositif qui prend de l’eau et en tire de l’hydrogène, un gaz appelé à remplacer les combustibles fossiles.

Captation de CO2

À deux heures au nord se trouve un autre prototype : un four industriel appelé SkyClean, qui cuit les déchets agricoles – comme le fumier et la paille –, empêchant leur contenu en carbone de s’échapper dans l’atmosphère et d’y former du dioxyde de carbone.

Ce grand gaillard au franc-parler ne craint pas de travailler avec de l’hydrogène – gaz explosif – dans son sous-sol. Stiesdal parie que ses technologies contribueront à réduire de beaucoup les émissions de gaz à effet de serre. Il tient aussi à ce que le Danemark et l’Europe du Nord restent à l’avant-garde maintenant qu’augmente le financement de la transition énergétique pour sevrer le monde des combustibles fossiles.

M. Stiesdal s’implique alors que l’industrie des énergies renouvelables en Europe du Nord est en plein marasme.

Les grands fabricants d’éoliennes de la région – dont son ancien employeur Siemens Gamesa Renewable Energy – sont en difficulté en raison de la hausse des coûts et de la lenteur de l’approbation des projets. On craint que les Chinois, qui ont déjà accaparé la fabrication de panneaux solaires, fassent de même dans l’éolien.

M. Stiesdal a levé environ 100 millions de dollars pour sa société auprès d’un petit groupe d’investisseurs. Sa famille détient environ 20 % de la société, qui emploie 125 personnes. Afin de réduire ses coûts et de se concentrer sur l’innovation, il veut accorder des licences pour ses nouveaux produits, laissant la fabrication à d’autres.

Après sa retraite de Siemens Gamesa, où il était chef des technologies, M. Stiesdal a cherché de nouveaux projets. Il s’est tourné vers les éoliennes flottantes, qui ouvrent l’accès aux eaux trop profondes pour les éoliennes posées au fond marin. Les éoliennes flottantes permettent d’exploiter de vastes étendues loin des côtes, mais elles coûtent plus cher, notamment parce qu’elles ne sont pas produites à la chaîne. M. Stiesdal veut changer cela.

Des éoliennes ancrées par 200 m de fond

Copenhagen Infrastructure Partners a cofinancé un prototype de base flottante d’éolienne appelée TetraSpar, conçue par M. Stiesdal.

Ce design servirait pour de futurs parcs éoliens, notamment au large d’Eureka, dans le nord de la Californie. Le prototype de fondation flottante TetraSpar est pleinement fonctionnel depuis un an. Il est ancré au large de la Norvège, par 200 m de fond, et porte une turbine éolienne de 3,6 MW de Siemens Gamesa.

« L’objectif premier d’Henrik est que les flotteurs puissent être produits intelligemment », dit Torsten Smed, cofondateur de Copenhagen Infrastructure Partners. Cela veut dire en série, et de façon à ce qu’on puisse assembler sans soudure les pièces de la structure, puis la turbine, depuis le quai. Le tout est ensuite remorqué en mer jusqu’au parc éolien, à des kilomètres au large.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE STIESDAL

Les flotteurs sont fabriqués en série, puis déplacés à un quai où la structure est assemblée avant d’y jucher une éolienne. Le montage se fait sans soudure.

L’entreprise fabrique ces structures dans le Jutland pour un futur parc éolien au large de l’Écosse. Elle utilise des robots et d’autres technologies pour rester compétitive malgré le coût élevé de la main-d’œuvre au Danemark.

Production d’hydrogène vert

Avec des chercheurs de l’Université technique du Danemark, M. Stiesdal met aussi au point des électrolyseurs destinés à réduire le coût élevé de la production d’hydrogène vert (produit sans émissions). Climatologues et industriels estiment que l’hydrogène sera nécessaire pour alimenter les industries lourdes, telles que l’acier, et comme combustible des avions et camions.

Ses électrolyseurs sont encore au stade des essais, mais M. Stiesdal a déjà conclu un accord de fabrication avec Reliance Industries, un géant indien de l’énergie.

Il construit aussi une version à grande échelle de SkyClean, sa machine de capture du carbone, qui utilise la chaleur pour fixer le carbone des déchets agricoles dans des pastilles ressemblant à du charbon de bois.

L’entreprise de M. Stiesdal, comme beaucoup de jeunes pousses, perd de l’argent, mais il prédit la rentabilité d’ici 2024. Il croit réussir, car ses technologies sont adaptées à un petit pays comme le Danemark, qui compte moins de 6 millions d’habitants.

Les produits ne sont pas de très haute technologie et ne requièrent pas beaucoup de main-d’œuvre : ils sont fondés sur une approche pratique et sur une main-d’œuvre bien formée, issue d’un système universitaire accessible.

« À bien des égards, ils ressemblent à mes premières innovations il y a 45 ans. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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