Le déploiement de dizaines de milliards de dollars vers des projets d’« économie verte » aux États-Unis prévu dans la loi budgétaire de lutte contre l’inflation (Inflation Reduction Act ou IRA), adoptée récemment à Washington, pourrait nuire aux ambitions du Québec dans certains secteurs.

Selon une analyse préparée par l’Institut du Québec, en partenariat avec l’Alliance Switch qui regroupe des intervenants d’affaires et environnementaux, des secteurs clés de l’économie verte au Québec comme l’hydroélectricité, la production d’hydrogène vert et le développement de la « filière batterie » pour soutenir l’industrie des véhicules électriques pourraient voir leur compétitivité remise en question par l’ampleur des budgets et des projets prévus dans la législation américaine.

« Bien que l’IRA (Inflation Reduction Act) favorise les partenariats nord-américains, il n’est pas dit que les entreprises québécoises pourront systématiquement tirer profit de ce nouveau marché », prévient Emna Braham, directrice générale de l’Institut du Québec (IDQ).

« Par exemple, l’IRA ne prévoit aucune clause pour restreindre à l’Amérique du Nord l’approvisionnement en véhicules électriques spécialisés et commerciaux tels que les camions et les autobus, une niche dans laquelle le Québec tente de se positionner. »

Hydroélectricité

Dans le marché des énergies renouvelables, notent l’IDQ et l’Alliance Switch dans leur rapport d’analyse, « l’hydroélectricité du Québec pourrait être moins concurrentielle » si les investissements massifs en fonds publics prévus en énergies solaire et éolienne aux États-Unis pour en accroître la production de 40 % d’ici dix ans devaient « faire diminuer le prix de cette énergie au fil du temps, alors que selon les prévisions d’Hydro-Québec, le coût d’approvisionnement en électricité devrait plutôt s’accroître au Québec ».

Hydrogène vert

Dans le secteur émergent de l’hydrogène vert, les ambitions d’affaires du Québec pourraient aussi être mises à mal si, « avec le soutien des aides gouvernementales, l’hydrogène vert américain se vend deux fois moins cher d’ici dix ans qu’il n’en coûte actuellement au Québec pour produire ce gaz », avertissent l’IDQ et l’Alliance Switch dans leur rapport.

Dans ce contexte, souligne Luc Belzile, économiste principal de l’IDQ, « il reste maintenant à savoir jusqu’où le Québec est prêt à engager des fonds publics pour permettre à cette filière de l’hydrogène vert d’être concurrentielle à l’international ».

Filière batterie

Selon l’IDQ et l’Alliance Switch, l’ampleur des aides financières aux projets d’économie verte qui sont prévus dans la loi budgétaire américaine (IRA) pourrait également « mettre des bâtons dans les roues du gouvernement québécois, qui tente d’attirer des producteurs de cellules de batterie » dans le cadre de sa stratégie de développement de la filière batterie.

Comment ? « Pour attirer de tels investissements, le Québec pourrait se trouver en concurrence directe avec certains États américains qui pourront compter sur des incitatifs supplémentaires » de la part du gouvernement fédéral à Washington.

Dans un tel contexte anticipent l’IDQ et l’Alliance Switch, « il se peut que le Québec ait avantage à se concentrer sur certains volets de sa stratégie [de filière batterie] et à en délaisser d’autres ».

Minéraux techniques

Les analystes de l’IDQ et de l’Alliance Switch anticipent que le secteur minier au Québec profitera de la demande accrue de minéraux techniques essentiels à la production de véhicules électriques. Cette demande accrue pourrait découler de la bonification des crédits d’impôt aux acheteurs et utilisateurs américains de véhicules électriques.

Comme la demande pour de tels minéraux est déjà en forte hausse, il s’agit d’une véritable occasion d’affaires pour le Québec.

Denis Leclerc, président et chef de la direction d’Écotech Québec, membre de l’Alliance Switch

Toutefois, dit-il, « pour en tirer profit pleinement, le Québec devra mettre en valeur ses minéraux techniques en les transformant en produits à forte valeur ajoutée, tout en s’assurant du respect des normes environnementales et de l’acceptabilité sociale des projets d’extraction et de transformation ».

« Les investisseurs et les clients des sociétés minières de minéraux techniques tiennent de plus en plus compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leur choix de projets miniers et de fournisseurs de minéraux techniques », souligne pour sa part Martin Vaillancourt, directeur général du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec et membre de l’Alliance Switch.

« C’est pourquoi le Québec a tout avantage à ne pas réduire ses exigences en la matière. Au contraire, les entreprises de minéraux techniques qui se conforment au cadre québécois pourraient même prendre une longueur d’avance auprès des investisseurs. »

Les politiques québécoises les plus concernées

Plan pour une économie verte 2030

Il s’agit de la politique-cadre du gouvernement québécois pour la lutte contre les changements climatiques et l’adapatation à ces derniers. Elle vise une réduction des émissions de GES au Québec de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990, en misant fortement sur l’électrification des transports.

Stratégie de développement de la filière batterie

Cette stratégie du Québec repose sur trois actions prioritaires : 1) exploiter et transformer les minéraux pour fabriquer des composantes de batterie ; 2) produire des véhicules commerciaux électriques ; 3) développer le recyclage des batteries grâce aux technologies québécoises d’avant-garde.

Plan pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques

Alors que la demande pour les minéraux critiques et stratégiques est en forte croissance, ce plan vise à positionner le Québec en favorisant l’exploration, la mise en valeur et l’exploitation de ces minéraux, ainsi que leur recyclage et leur utilisation optimale.

Plan d’action pour la relance des exportations.

Ce plan vise à rehausser la valeur des exportations à 50 % du PIB de l’économie du Québec.

Parmi les secteurs ciblés comme prioritaires, celui des technologies propres et d’économie verte bénéficie d’une attention particulière.

Source : analyse de l’Institut du Québec et de l’Alliance Switch